Je me réveille le lendemain matin. A cinq centimètres de mon visage, je distingue une truffe humide surmontée de deux grands yeux qui me fixent avec intensité.

« Salut Echo. La notion de distance personnelle, tu connais ? » Je me redresse dans le lit.

Par la fenêtre, j’aperçois le ciel bleu. Je m’étire. Mon bras droit me fait toujours mal mais j’ai l’impression de pouvoir le bouger avec un peu plus de facilité. J’enfile des vêtements, ébouriffe les poils sur le crâne de Rocabot. Je dispose le coussin au pied du lit pour qu’Echo puisse descendre. J’ouvre la porte d’entrée, un plateau de fruits a été déposé devant la porte. Avec Rocabot, nous nous installons sous le porche pour manger sous le soleil matinal. Après un brin de toilette, je me dis qu’il faut sûrement que nous nous rendions au Centre. Mes pansements méritent d’être changés et je n’ai aucune idée de comment aider Rocabot à se rétablir. J’aimerai demander conseil à Noémie.

« Tu crois que tu vas pouvoir marcher jusqu’à là-bas, Echo ? »

- Roc ! » jappe-t-il en fronçant les sourcils l’air décidé.

- Tu es un vrai dur à cuir ! » je rigole.

Nous nous mettons doucement en route. J’ai l’impression que Rocabot boite un peu moins qu’hier mais notre progression est lente. Je fais attention que Rocabot ne s’épuise pas. Je lui impose deux pauses pendant l’allée. Je suis surprise de constater à quel point il est robuste. Je vois qu’il a mal et qu’il est fatigué mais je suis obligée de m’asseoir par terre pour qu’il accepte de s’arrêter. Le trajet qui nous a pris dix minutes hier nous en prend vingt ce matin. Lorsque nous arrivons, j’entre par la baie vitrée dans la section de convalescence, Rocabot sur mes talons. Mélofée qui s’occupe d’un renard à plusieurs queues me remarque et interrompt ses soins. Il me rejoint et me conduit à un box immense. A l’intérieur, je découvre Noémie assise à califourchon au sommet d’un immense serpent de pierre.

« Bonjour ! Je suis à vous tout de suite. Je finis d’appliquer cette huile sur Onyx. Il est âgé et les articulations entre les pierres constituants son corps sont inflammées. Voilà ! ça devrait te soulager. » dit-elle satisfaite.

Je la vois se laisser glisser le long du dos du serpent de pierre.

« Bonjour madame. Merci pour le repas d’hier et le petit déjeuné. Rocabot a bien mangé. Moi aussi d’ailleurs. »

- Appelle-moi Noémie. Vous avez bien dormi ? »

- Oui très bien, merci. Est-ce que je peux vous aider ? »

- Je vais déjà refaire tes pansements. Ensuite, nous nous occuperons de Rocabot. Pour le moment, nous allons le laisser se reposer. Rocabot, tu peux nous attendre dans le petit parc ? »

- Roc… » Dit-il l’air déçu de se retrouver mis à l’écart et se tourne vers moi semblant à la recherche de soutien.

- Il faut que tu te reposes, Echo. Je promets de revenir très vite te chercher. »

- Echo ? Tu lui as donné un nom ? » m’interroge Noémie.

- Euh oui… Désolée, je n’aurai peut-être pas du. »

- Non, pas de soucis. C’est un joli nom. Ce n’est pas habituel que les Pokémons sauvages acceptent d’être prénommés par quelqu’un qui n’est pas leur dresseur… J’imagine que l’expérience que vous avez vécue suffit à Rocabot pour t’en estimer digne. C’est bien ! »

Echo sort par la baie vitrée et se retrouve dans le petit parc. Noémie m’entraine dans une salle de soins à l’écart. Elle refait mes pansements. Ma main est en bonne état. Les traces de crocs de Rocabot commencent à cicatriser et je suis capable de faire des mouvements grossiers. Les traces de griffes sur mon bras ont meilleure mine. Si j’ai récupéré un peu d’amplitude de mouvements, les extrêmes m’arrachent tout de même une grimace et j’ai perdu en force.

« Je te montrerai des exercices pour que tu puisses récupérer progressivement. J’ai des élastiques pour travailler la force aussi. Le temps fera le reste. » Me rassure Noémie.

- D’accord. Merci. Et pour Rocabot ? »

- Allons-le voir. » Me sourit-elle.

Nous rejoignons Echo dans le petit parc. Il est une nouvelle fois à l’écart des autres, semblant tétanisé et grognant dès qu’un Pokémon fait mine de s’intéresser à lui.

« Cela prendra du temps avant qu’il ne se réhabitue à la présence des autres Pokémons. » Commente Noémie. « Bien ! Nous allons commencer par quelques étirements et massages aujourd’hui. » Reprend-elle avec plus d’entrain.

Nous nous installons à l’écart. L’infirmière fait faire à Rocabot des étirements de ses pattes avant et arrière puis de son dos en le faisant se tordre dans tous les sens. Elle m’explique dans le même temps les mouvements à faire, comment vérifier qu’ils sont bien exécutés et quelles positions doivent être éviter. Ainsi, je pourrai les faire faire à Echo même quand nous serons seuls. Echo semble prendre ça comme un jeu et suit les instructions avec enthousiasme. Si certaines positions lui font mal, il rabat ses oreilles en arrière, laisse parfois échapper un glapissement mais tient tout de même la stature.

« Il faudra le surveiller pour qu’il n’en fasse pas trop. Ce Rocabot est têtu. Il veut tellement bien faire qu’il ne prend pas en compte ses propres limites. » Me dit Noémie.

- Oui, j’avais déjà remarqué. Pour venir jusqu’ici, il a fallu que je l’oblige à prendre des pauses. »

- Tu as bien fait. » Me sourit-elle.

Une fois les étirements terminés, Noémie m’enseigne des mouvements de massage pour Rocabot. Elle me montre, puis je répète ce que j’ai vu. Elle corrige ma position quand je m’écarte du bon geste. Au début, je n’ose pas trop appuyer de peur de faire mal à Rocabot puis sur les instructions de l’infirmière, je gagne en assurance. Rocabot se détend progressivement. Nous l’entendons souffler de contentement. Après cette session relaxation, nous installons Echo dans un box individuel avec une petit niche.

« Laissons-le se reposer. » Me dit Noémie. « Je vais poursuivre les soins pour les autres Pokémons. »

- Puis-je venir avec vous et vous aider ? »

- Bien sûr. Mais ne force pas sur ton bras. »

- Je vous le promets. »

Nous allons d’abord nous occuper d’un Sabelette, un Pokémon belette de type sol. Noémie me raconte son histoire. Le dresseur de Sabelette est archéologue. Sabelette l’aide dans ces fouilles en creusant le sol. Lors de leur dernière expédition, il n’a pas vu qu’une roche était plus dure que les autres et l’une de ses griffes s’est cassée. Son dresseur l’a tout de suite amené au centre. La plaie a été nettoyée. La griffe de Sabelette va repousser, il est resté en surveillance pour quelques jours afin de s’assurer qu’il n’allait pas déclencher d’infection. Nous nettoyons la plaie, l’infirmière m’explique quel signe d’infection recherché. Heureusement, pour Sabelette, il ne présente aucun symptôme particulier. Son dresseur viendra le récupérer cet après-midi. Puis nous retournons vois le renard à plusieurs queues dont Mélofée s’occupait lorsque je suis arrivée. Il s’agit d’un Goupix, un Pokémon renard. Celui-ci a été bien amoché par un combat Pokémon. Son dresseur n’a pas voulu s’avouer vaincu et n’a pas prêté attention aux signes d’épuisement de son Goupix pendant le match. Il était opposé à un Pokémon eau contre lequel il est naturellement désavantagé. Notre objectif est de le réchauffer pour accélérer sa récupération. Il fait particulièrement chaud dans son box et nous l’ébouriffons au sèche-cheveux. Noémie lui donne aussi des baies très acides.

« Ces baies sont vivifiantes. Il ne faut pas négliger ce genre d’attention, elle donne souvent de bons résultats. Les Pokémons sont des créatures très résistantes, elles ont des capacités de régénération impressionnantes. » m’informe-t-elle.

La matinée touche à sa fin. Noémie m’invite à manger avec l’équipe. Je suis très bien accueillie. Après le repas, je passe voir comment va Rocabot. Quelqu’un lui avait déposé une gamelle qu’il a dévoré. Maintenant, il dort. Le repos lui fait le plus grand bien. Je rejoins Noémie et la suis tout l’après-midi dans ses consultations. Elle est très patiente et m’explique tout ce qu’elle fait. Elle me parle des différents Pokémons que nous rencontrons : leurs histoires, leurs caractères, leurs types. Nous rendons le Sabelette à son dresseur qui est très content. Il nous rassure en nous disant que même si Sabelette le rejoint, il ne le fera pas travailler pendant encore quelques jours. Il préfère qu’il se repose. Ses autres Pokémons ont pris le relai. Rhinoféros a été capable de détruire le rocher qui poser soucis et des Taupiqueurs creusent actuellement des tunnels. Je suis très curieuse de tout ce qui concernent les Pokémons mais n’ose pas demander plus d’informations. Ça fait des années que je me débrouille seule, et j’ai appris à me taire. L’après-midi passe très vite et le soir commence à tomber.

« Bon, c’est bien pour aujourd’hui. Tu m’as bien aidé ! » me félicite Noémie.

- On ne fait pas travailler Rocabot cet après-midi ? »

- Le trajet aller-retour jusqu’au chalet est suffisante aujourd’hui pour lui. Demain, nous pourrons intensifier le travail. »

- D’accord. »

Nous allons retrouver Rocabot dans son box. Puis, je repars seule avec Echo jusqu’au chalet. Nous faisons de nouveau deux pauses. Arrivée au chalet, je me lave en prenant bien soins de ne pas mouiller mes bandages, ce qui n’est vraiment pas facile. J’espère que demain, je pourrai me débarrasser de celui de ma main gauche qui cicatrise très bien. Quand je sors de la salle de bain, Rocabot bat de la queue et jappe vers la porte. Je vais ouvrir. Quelqu’un a de nouveau déposé des plateaux repas pour nous deux. Toujours pas de viande. Ça ne me manque pas vraiment vu que je n’avais que peu souvent l’occasion de m’en procurer dans mon monde. Rocabot est-il végétarien ? Je m’interroge. L’idée me semble saugrenu. Il ressemble fortement à un canidé qui sont des créatures plutôt carnivores chez moi… En même temps, je nous vois mal manger des Pokémons. Ce sont des êtres dotés d’une conscience très évoluée, capable d’interagir et cohabiter avec l’homme de ce que j’ai pu en observer… Et pas trace d’animaux classiques type poulet ou canard dans ce monde jusqu’ici… Gruuuump ! Je suis interrompue dans ma réflexion par mon estomac qui gargouille. Mangeons donc, il sera toujours temps de se poser des questions plus tard. Rocabot, pour sa part, ne s’est pas fait prier et s’est déjà jeté sur sa gamelle de croquettes et ses baies. « Morfale, va ! » je lui lance en rigolant. Après manger, je hisse Rocabot sur le lit à mes côtés. C’est plus facile ce soir, mon bras me tire un peu moins et Echo semble avoir repris de la vigueur dans ses pattes arrière. Comme hier, nous nous installons l’un à côté de l’autre et je me saisis du livre que j’ai commencé. J’arrive à la partie sur les relations entre dresseurs et Pokémons :

« Le lien entre un Pokémon et son dresseur est puissant et reste encore aujourd’hui bien mystérieux. Des études sont en cours pour essayer d’éclaircir la nature de ce lien, son étendu, et d’en comprendre les tenants et aboutissants. Encore aujourd’hui, nous ne sommes pas sûrs des raisons qui ont poussé les Pokémons et les humains à cohabiter ensemble. Il semblerait que le dresseur et le Pokémon vont progressivement faire évoluer la connexion qui les lie l’un à l’autre sur un mode symbiotique. Le dresseur percevra les fluctuations de l’humeur et l’état de santé de son Pokémon, bien mieux que lorsqu’il n’existe pas de lien scellé entre une personne et un Pokémon. Pour sa part, le Pokémon va progressivement savoir s’adapter aux attentes de son dresseur jusqu’à parfois les devancer de quelques centièmes de secondes donnant alors l’impression d’une transmission de penser entre les deux protagonistes. La source de ce lien semble prendre naissance au moment de la capture du Pokémon par la Pokéball. La capture Pokémon se fait uniquement sur des Pokémons sauvages. Un dresseur ne peut capturer de Pokémons ayant déjà établit un lien avec un dresseur. Elle se fait généralement à l’issue d’un combat Pokémon pour affaiblir le Pokémon sauvage. Lors de ce combat, le dresseur va pouvoir prouver au Pokémon sauvage ses capacités à le faire progresser par le partenariat qu’il essaye de créer. Le combat prend alors le rôle de test tant pour le dresseur que pour le Pokémon sauvage pour qu’ils puissent juger de ce qu’ils peuvent s’apporter l’un et l’autre. Une fois scellé, le lien avec le dresseur ne sera rompu qu’en cas de décès, d’abandon, ou de libération volontaire par le dresseur. Rarement, le Pokémon peut rompre le partenariat avec son dresseur s’il estime que le dresseur ne répond plus à ses besoins. Ceci reste un phénomène extrêmement rare, les Pokémons étant capables d’endurer divers traitements rudes pour satisfaire leurs dresseurs. Il est de la responsabilité du dresseur de veiller au bien-être de ses Pokémons en leur apportant nourritures, soins, et en leur permettant d’acquérir de nouvelles capacités qui peuvent éventuellement leur permettre d’évoluer. »

Incroyable ! Les relations entre les dresseurs et les Pokémons semblent encore plus complexes que je ne le pensais. Ça a l’air incroyable d’avoir un lien si particulier avec un autre être vivant. De plus, les Pokémons sont des êtres tout à fait différents de nous, avoir accès à leur façon de penser même à minima, apprendre à mieux les comprendre doit être passionnant. Perdue dans mes pensées, je m’endors, mon livre toujours ouvert à mes côtés, Rocabot veillant sur moi avant de s’endormir à son tour.