La convalescence
Le lendemain matin, lorsque nous nous éveillons, le plateau du petit déjeuné a déjà été déposé devant le chalet. Ce matin, Rocabot descend seul du lit. Il est un peu raide mais se déplace avec plus de facilité. Il récupère assez vite, les étirements et massages d’hier ainsi que la nuit de repos semblent lui avoir été profitables. Nous mangeons tous les deux puis nous retournons à la clinique. Cette fois, nous ne faisons qu’une courte pause. Noémie nous accueille et nous recommençons les étirements et les massages d’hier. Cette fois, c’est moi qui fais tous les mouvements avec Echo et l’infirmière me reprend quelques fois quand je suis perdue dans l’ordre des exercices ou quand je ne sais plus exactement comment faire tel ou tel gestes. Echo est un peu plus souple qu’hier. Connaissant les mouvements et se sentant de plus en plus rassuré au sein de la clinique, il se détend petit à petit. Comme hier, nous laissons Echo se reposer après cette séance. Je suis Noémie. Elle inspecte mes blessures. Comme je l’espérais, ma main a suffisamment cicatrisé pour que je puisse me passer de bandages. Noémie me confie une balle en mousse pour que je puisse exercer ma main à serrer puis desserrer ma prise. Pour mon bras, il faudra encore attendre quelques jours. Je la suis ensuite comme hier, dans ses consultations. Je découvre entre autres : Roucool, Rattatac, Tortipouss, Dinoclier… J’apprends énormément de choses sur les premiers soins et ces différents Pokémons. En fin d’après-midi, nous revenons voir Rocabot.
« Il va mieux, nous allons pouvoir commencer les promenades. Pour aujourd’hui, uniquement de la marche. Souhaites-tu y aller ? »
- Oui, ça me fera du bien de me promener aussi. » Je souris
- Veux-tu que je t’accompagne ? »
- Non, je pense que ça va aller. Ça va nous permettre de découvrir le parc. Nous irons à son rythme. »
- Très bien. Vous pourrez rentrer au chalet après. Rocabot aura bien travailler. Essaye de lui refaire faire quelques étirements pour qu’il ne soit pas raide demain. »
- D’accord. Prêt Echo ? »
- Roc ! » dit-il enthousiaste.
Je pars avec Rocabot à mes côtés. Nous allons d’abord vers le lac. Rocabot se débrouille bien. Il ne boite plus. Au début, il marche vite, je ne suis pas sûre qu’il arrive à tenir ce rythme. Je le fais ralentir. Je le menace de m’asseoir par terre et de ne plus bouger s’il ne ralentit pas. Il boude un peu. Mais cette petite frustration est rapidement derrière nous. Il a la truffe au vent, hume l’air et regarde avec attention les autres Pokémons qui batifolent dans l’eau. Il se raidit et je le sens plus tendu. J’essaye de le rassurer :
« Je suis là, Echo. Tout va bien se passer. Les Pokémons qui sont ici sont comme toi. Ils ont été blessés ou ils sont malades et ne vont pas chercher la bagarre. »
- Rrrr… » Grogne-t-il d’un air dubitatif.
- C’est Noémie qui m’a dit ça ! Elle est infirmière depuis longtemps. Elle sait plein de choses, tu sais. »
- Huuum… » Il semble toujours septique.
- On va rester à l’écart pour aujourd’hui. Ça te va ? »
- Roc. » Acquiesce-t-il.
Nous faisons le tour du lac. Rocabot tient bien le rythme. Au bout de 45 minutes, je remarque que Rocabot serre les mâchoires. Il doit commencer à avoir mal. Je lui impose un arrêt pour qu’il récupère. Puis nous rejoignons le chalet. Arrivés devant, Echo et moi, nous étirons tous les deux. Je me douche. Nous mangeons les plateaux qui sont encore apparus miraculeusement pendant que j’étais à la salle de bain. Je poursuis la lecture de mon livre. Il aborde les différentes techniques de combats. J’essaye d’enregistrer les attaques existantes me demandant lesquelles sont accessibles à Rocabot. Voyant les cicatrices sur ma main gauche, je réalise qu’il doit probablement connaitre au moins Morsure. Ce soir, Echo s’endort avant moi, probablement fatigué de la promenade. J’espère ne pas l’avoir trop poussé.
Le lendemain matin, lorsque j’ouvre les yeux, je vois Rocabot qui s’étire à côté de moi. Il semble bien se porter. Il saute du lit ! Décidément, il récupère vite. Il semble que la balade d’hier n’ait pas ravivé ses douleurs. Nous nous rendons au Centre. Je commence avec Echo notre routine du matin. Etirements, massages. Il y prend plaisir et s’applique dans les positions. L’infirmière nous rejoint, elle examine Rocabot.
« Je vois que tout se déroule bien. » Dit-elle. « Aujourd’hui, nous allons le laisser dans le parc. Il faut qu’il réapprenne à tolérer la présence des autres Pokémons. Caratroc, à toi ! » s’exclame-t-elle en lançant une Pokéball.
- Cara…troc ? » s’exclame une espèce de petite tortue à la carapace rouge percée de plusieurs trous.
- Voici Caratroc. Il s’agit d’un pokémon roche, tout comme Rocabot. Il est petit et calme. Je pense que Rocabot ne se sentira pas menacé par lui. » le présente Noémie.
- Grrr… » grogne Echo
- Je n’en suis pas si sûre… » dis-je en voyant le changement d’attitude de Rocabot.
- Essayons de leur donner un peu de temps. » Sourit l’infirmière. « Caratroc, veille à laisser suffisamment d’espace pour que Rocabot soit à l’aise. Tient lui compagnie. Tu n’as pas le droit de l’attaquer. Si tu te sens menacé, rentre dans ta carapace. Hoothoot viendra me prévenir. D’accord ? »
- Caratroc ! » acquisse le Pokémon tortue avec conviction.
- Echo, tu as entendu, il ne te fera pas de mal. » Dis-je en m’agenouillant et en caressant la tête de Rocabot.
- Roc. »
- C’est bien. Je reviens tout à l’heure, d’accord ? »
- Roc ! » aboit-il.
Nous laissons Caratroc faire connaissance avec Rocabot. Je les observe de loin. Caratroc s’est installé à proximité d’Echo sans l’acculer dans un coin du parc. Il semble lui parler avec animation. Echo s’est recroquevillé sur lui-même, il regarde avec méfiance Caratroc mais au moins il ne grogne plus.
« Ne t’inquiète pas. Caratroc n’en est pas à son premier accompagnement de Pokémon. » Tente de me rassurer Noémie.
- Ok… euh… Les Pokémons se parlent-ils entre eux ? » je demande à l’infirmière.
- Bien sûr ! »
- Mais ils se comprennent même s’ils ne sont pas de la même espèce ? »
- Oui. Tu auras sûrement remarqué que les Pokémons nous comprennent aussi tout à fait. »
- Oh… Rocabot comprend exactement tout ce que je dis ? »
- Oui. Tu n’avais pas remarqué ? » Me sourit l’infirmière.
- Je lui parlais machinalement. Je me disais qu’il comprenait globalement mes intentions. C’est chouette ! Mais si toutes les créatures se comprennent dans ce monde, pourquoi ne les comprenons-nous pas ? »
- C’est un mystère. Mais tu verras, avec le temps, tu les comprendras de mieux en mieux. »
Le reste de la journée, j’accompagne de nouveau l’infirmière dans son travail. Je gagne en assurance et elle me laisse faire de plus en plus de petits soins. J’approche toutes sortes de Pokémons. J’apprends leurs noms : Bulbizarre, Tignon, Chenipotte, Mimitoss, Goélise… Quand j’ai un peu de temps, l’infirmière m’a aussi confié pour tâche de jouer avec eux. Certains restent plusieurs jours à la clinique, leurs dresseurs ne sont pas là en permanence, ils se sentent seuls et sont inquiets. Les Pokémons appartenant aux soignants et moi-même organisons de petits jeux et animations pour les distraire et leur faire faire de l’exercice. Comme hier, en milieu d’après-midi, nous retournons voir comment se porte Echo. Je suis surprise en arrivant de voir que Rocabot est maintenant roulé en boule à côté de Caratroc. Il surveille les autres Pokémons mais semble accepter le Pokémon tortue comme allié. Lorsqu’il me voit arriver, il se lève et court vers moi. Je m’agenouille et le réceptionne dans mes bras.
« Salut Echo ! Tu t’es fait un nouvel ami. C’est bien ! »
- C’est bien Caratroc ! Tu peux revenir. » Dit Noémie. Caratroc disparait dans une lumière rouge qui file dans la pokéball que l’infirmière tient dans sa main.
- Roc ! » salut Rocabot.
- Tu le reverras demain. Pour le moment, si ça te va, Abi, vous allez pouvoir retourner faire une promenade. »
- D’accord. Ça te va, Echo ? On fait un peu plus loin qu’hier ? »
- Roc ! » jappe-t-il.
Nous partons tous les deux. Cette fois, nous traversons la grande prairie. Nous croisons des Nidoran, Tauros, Ecrémeuh. Echo reste juste à côté de moi lorsque nous les croisons mais garde son calme. Nous gagnons l’orée de la forêt et empruntons des sentiers étroits serpentant en lisière de bois. Echo ne montre quasiment plus de signes de faiblesse. J’apprécie vraiment ce moment de promenade avec Echo. Je ne sais pas si c’est parce que c’est le premier Pokémon que j’ai vraiment rencontré, si c’est notre combat contre les Malosses qui nous a rapproché, si c’est le fait que nous sommes tous les deux en train de panser nos plaies ou si c’est un peu tout ça à la fois… Mais je me sens bien avec Echo. A la fin de notre balade, nous faisons quelques étirements. Les soirées sont tranquilles, paisibles. Un bon repas, un peu de lecture et nous nous endormons tous les deux.
Les jours suivants s’enchainent sur ce rythme. Je n’ai bientôt plus besoin de pansement pour mon bras. Je commence les exercices de rééducation pour récupérer de la force. Rocabot m’accompagne en s’entrainant à faire des bonds et en courant pour raffermir ses propres pattes. Il passe de longs moments avec Caratroc avec qui il s’entend bien. Grace à lui, il accepte plus facilement la présence des autres Pokémons. Il reste encore méfiant mais l’infirmière Noémie pense que ça prendra encore du temps avant qu’il ne soit totalement à l’aise. C’est déjà bien qu’il arrive à nouer de nouveaux des contacts avec certains Pokémons.
Ça fait maintenant trois semaines que nous sommes à la clinique. Un matin, Noémie assiste à notre entrainement, notre session d’étirements et les massages que je fais à Echo. Elle nous interpelle :
« Rocabot a vraiment bien évolué. Il semble avoir complètement récupéré. Il va être temps de le relâcher dans la nature. »
- De le… relâcher ? » dis-je, surprise de cette nouvelle.
- Oui. C’est un Pokémon sauvage. Je pense qu’il est prêt à se débrouiller par lui-même. »
- Oh… oui… » dis-je d’un ton absent.
Je ne m’attendais pas à ce que les choses se terminent ainsi. J’avais presque oublié que cette période n’était que transitoire, que Rocabot devrait retrouver sa liberté, qu’il ne m’appartenait pas. Je ne sais pas pourquoi je me sens si désarçonnée par cette nouvelle. Je crois que je me disais qu’on resterait ensemble après avoir traversé tout ça. Mais qui suis-je pour vouloir le garder pour moi ? Il doit avoir hâte de retrouver son autonomie. C’est dans l’ordre des choses… n’est-ce pas ?
« Tu l’as beaucoup aidé, Abi. Sans toi, il ne s’en serait sûrement pas sorti. »
- Oui… Je n’ai pas fait grand-chose. Je… » je caresse d’un air absent Rocabot qui me regarde avec ses grands yeux. « Quand ? » je murmure d’une voix à peine audible.
- Pardon ? je ne t’ai pas entendu. » Me fait répéter l’infirmière.
- Quand doit-on le relâcher ? » je répète plus fort faisant des efforts pour que ma voix ne tremble pas.
- Je pense qu’on pourra le relâcher demain matin. Derrière le bois de la clinique, il y a un pré qui donne sur la campagne environnante. C’est un site parfait. » Me dit d’une voix douce l’infirmière.
- D’accord… est-ce que je peux rester avec lui jusque-là ? »
- Bien sûr. »
- Et… est-ce que je pourrai venir avec vous pour lui dire… au revoir ? » ma voix commence à trembler, surtout ne pas pleurer.
- Bien sûr, Abi. »
- D’accord. Merci. Je partirai demain alors, après avoir relâcher Ech… Rocabot. »
Je me reprends à la dernière seconde. Je n’ai surement plus le droit de l’appeler par ce nom que je lui ai donné. Les Pokémons sauvages ne portent pas de noms. Ce n’est pas un toutou. Il n’est pas à moi. Je ne suis pas spéciale pour lui. L’illusion a pris fin.
« Tu sais Abi, tu peux rester à la clinique si tu le souhaites. Tu as un bon contact avec les Pokémons et tu apprends vite. Tu ferais une bonne infirmière. Et ton bras n’est pas encore tout à fait remis. »
- Ça ira. Je suis restée bien plus longtemps que je n’aurai dû. Mon bras va bien. Je connais les exercices, je pourrai les continuer par moi-même. » Je réponds plus sèchement que je ne l’aurai voulu.
- D’accord. Je sais comme il est dur de voir partir les Pokémons qu’on a soigné. Mais c’est ce qui est le mieux pour eux. Ils ne peuvent pas rester enfermé toutes leurs vies. » Essaye-t-elle de me rassurer voyant que je suis affectée par cette annonce.
- Je comprends. Pas de soucis. » Je la coupe.
- D’accord. Je vous laisse dans ce cas. N’hésitez pas si vous avez besoin de quelque chose. » dit-elle en prenant congés.
Ça y est. Je le sens, je suis déjà en train de me renfermer sur moi-même. Je me blinde, comme je l’étais avant le mur. Pourquoi ai-je craqué ? Pourquoi ai-je laissé ce Pokémon stupide m’amadouer ? Pourquoi est-ce que je me suis arrêtée dans cette ruelle ? Je suis bien mieux seule, à ne m’occuper que de moi. C’est comme ça qu’on survit. C’est comme ça que je me suis toujours sortie des galères. C’est… Pourquoi ai-je le visage humide ? Pourquoi Rocabot se serre-t-il si fort contre moi ? Pourquoi… je pleure ?... Je pleure. Je ne veux pas être de nouveau seule. Je veux rester avec Rocabot. J’aime cette petite boule de poils… Je… Je repense aux paroles de l’infirmière « Ils ne peuvent pas rester enfermé toutes leurs vies. ». Je ne supporterai pas qu’on me mette des chaines. J’ai toujours eu trop soif de liberté. Je sens que Rocabot est comme moi, sur ce point. Je repense à toutes les balades que nous avons faites. Je le revois prendre plaisir à courir dans tous les sens, à aller explorer les sentiers, à se rouler dans la boue. Je comprends... C’est parce que je l’aime que je dois le laisser partir. Je relève les yeux. Face à moi, je contemple Rocabot, celui que j’ai appelé Echo, avec qui j’ai partagé les trois plus belles semaines de ma vie. Je lui souris.
« Allez le caïd ! On va profiter encore d’aujourd’hui. »
Toute la journée, je la passe avec Rocabot. Je ne participe pas aux consultations pour les autres Pokémons. L’infirmière Noémie respecte ce choix. Echo aussi à l’air de comprendre la situation. Comme moi, il fait tout son possible pour rester enjoué mais on voit que nous n’avons pas le cœur à la fête. Nous jouons, nous nous baladons. Au cours de ce que je sais être notre dernière balade, nous faisons une pause, comme nous en faisons maintenant systématiquement depuis une semaine. Ces pauses sont notre petit secret. Nous l’entrainons à utiliser ses pouvoirs. Le seul que j’ai pu deviner est Morsure, pour l’avoir subi. Nous avons trouvé un gros bâton dans le bois. Au début, je le tenais à bout de bras et Rocabot devait le mordre de toutes ces forces. De cette façon, sa prise s’est accrue de façon impressionnante. L’étau de ses mâchoires fera plus de dégâts que lorsque je l’ai rencontré. Depuis deux jours, je jette le bâton et Rocabot lance l’attaque Morsure en essayant de l’attraper au vol. Ça lui sera utile sur les cibles mouvantes. Pour le moment, il y a encore beaucoup de louper, mais j’espère que ces quelques jours d’entrainement lui permettront de se protéger à l’avenir des autres Pokémons. Ce soir, nous sommes d’humeur maussades. On se couche assez tôt l’un contre l’autre. Mais finalement, il nous faudra plusieurs heures pour nous endormir. Mon sommeil est agité de cauchemars. Je me revois dans mon monde initial. J’ai dû me remettre à courir…
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