Begin
Au quatrième jour, nous arrivons à Begin, un petit village paysan. Les chaumières sont assez espacées les unes des autres et la place du village est marquée par le regroupement d’une église, une épicerie locale et une petite salle communale. Nous installons le cirque pour trois jours. L’installation est un peu plus restreinte que celle que nous avions à Nedirager. Lorsque je pose la question à Mathilda, celle-ci me répond que pour les arrêts de moins de cinq jours nous ne déballons pas tous les stands. Le soir de notre arrivée, Phil vient me voir alors que je m’entraine avec Line et les Passerouges.
- « Salut Abi. Je ne sais pas si tu te souviens… Je t’avais proposé qu’on travaille un numéro commun. Ça te dit toujours ? »
- « Oui, bien sûr. »
- « On commence demain matin, si tu veux. »
- « Ok, à demain. »
Phil s’en va. Lorsque je me retourne vers Line, j’essaye d’apparaitre le plus neutre possible tandis que mon cœur bat furieusement dans ma poitrine. Je ne dois pas être convaincante car Line m’adresse un sourire entendu.
Le lendemain matin, je retrouve Phil et son Reptincel à la grande tente. Phil m’explique qu’il préfère répéter directement sur la scène afin d’avoir une bonne idée de l’espace qu’il occupe et pour pouvoir s’assurer que de quelques endroits que ce soit du chapiteau, les spectateurs puissent profiter du numéro. Nous commençons l’entrainement. Reptincel est toujours aussi impressionnant et il manie ses flammes autant que ces balles. Yucca semble inspirée par les prouesses du Pokémon feu et rapidement elle tente de lancer ses poudres en même temps qu’elle rattrape les balles que je lui lance. Nous nous retrouvons dans un nuage coloré aux senteurs apaisantes. Je me sens très bien et petit à petit de moins en moins intimidée d’être avec Phil et Reptincel qui semblent extrêmement sûrs d’eux. Je perds la notion du temps jusqu’à ce que je sente la main de Phil se poser sur mon épaule. Je trésaille et me retourne vivement, prête à frapper. Phil retire sa main et me dévisage avec surprise.
- « Désolée. Je ne t’ai pas vu arriver. » je m’excuse, un peu honteuse de ma vive réaction.
- « Ça va. Il n’y a pas de mal. Qu’est-ce que tu en as pensé ? » me demande-t-il.
- « C’est pas mal pour une première session, je trouve. Yucca a l’air de bien s’entendre avec Reptincel. »
- « Je suis d’accord. On a encore besoin d’un peu d’entrainement et puis on montera sur scène ensemble. » me sourit-il.
Je fais un signe de la main à Phil et rappelle Yucca auprès de moi. Je rejoins Line et passe le reste de la matinée à m’entrainer avec elle, Akui et les Passerouges. Aujourd’hui, elle me laisse le violon et joue de la flute. Notre numéro prend de plus en plus de corps, je me sens à l’aise avec l’instrument et Echo semble apprécier sa sonorité car il se balance doucement de gauche à droite.
Pour les quelques jours suivants, je retrouve la routine que j’avais à Nédirager, m’entrainant le matin et aidant Victor ou Cédric l’après-midi. Phil et moi poursuivons nos sessions de jonglages ensemble. Nous sommes de plus en plus proches et cela se répercute sur la complicité dont nous faisons preuve lorsque nous échangeons nos balles. Dès qu’il me frôle, je me sens comme électrisée. Lorsqu’il me sourit, mon cœur bat vivement dans ma poitrine. Je ne saurai définir les émotions et sentiments qui me traversent. Ce qui est certain, c’est que ces rendez-vous matinaux sont devenus mon moment préféré de la journée. Et pendant que ma relation avec Phil grandit, celle que j’entretiens avec Aude se détériore d’autant. Je ne pensais pas que ce serait possible, et pourtant… Son ton lorsqu’elle s’adresse à moi est acerbe, elle n’hésite pas à me bousculer lorsque je suis sur son passage. Je ne perds plus une occasion de faire remarquer ces minauderies face à Phil.
Au bout de trois jours, nous quittons Begin et ces habitants. Quelques enfants sont venus voir le départ des caravanes. Une nouvelle fois, j’ai aidé Victor et Dan à ramener les Tauros et à les harnacher. Alors que je m’apprête à monter à l’avant de la roulotte avec Line, Cédric m’interpelle :
- « Abi ! ça te dit de monter avec moi, aujourd’hui ? »
- « Si tu me laisses les rênes ! » je lance.
- « … Euh, Line ? Elle a déjà conduit ? » demande-t-il.
- « Nop. » me trahit mon amie.
- « Allez, j’ai regardé faire Line depuis Nédirager… Tu n’y verras que du feu ! »
- « Monte déjà sur la roulotte et peut-être que je te laisserai essayer dans la journée. » me sourit-il.
- « Tu vas te faire disputer par Mathilda… » dit Line à Cédric en commandant à son Tauros de démarrer.
- « Seulement si elle le découvre. » je dis en montant m’installer à côté de Cédric.
Echo s’est installé sur mes genoux et profite du paysage. Cédric et moi, passons la matinée à rire et à discuter de tout et de rien. Peu avant le repas du midi, je finis par le convaincre de me laisser les rênes. Le Tauros renâcle un peu et Cédric m’apporte des conseils pour ne pas tirer sur les rênes et diriger la roulotte avec délicatesse. Evidemment, c’est bien plus compliqué que je ne m’y attendais. Alors que Tauros accélère un peu, je tire un peu trop fermement sur les rênes. Tauros secoue la tête en tout sens et rue avant de se lancer au triple galop. Cédric pousse un cri à côté de moi. Mon premier réflexe est de tirer plus fort ce qui énerve fortement Tauros qui se secoue d’autant plus. Notre roulotte sort du rang, dépasse celle de Line puis celle de Dan et va se perdre dans les champs environnants. J’entends la voix de Mathilda retentir derrière nous. Cédric prend mes mains dans les siennes et relâche doucement la pression que j’exerce sur Tauros. Il parle d’une voix forte mais avec une certaine douceur pour se faire entendre de lui. Tauros ralentit et finit par s’arrêter. Je descends de la roulotte et penaude m’avance vers Tauros.
- « Je suis désolée. Je t’ai fait mal et peur. Je te demande pardon. »
- « Taaaaauuu… » acquiesce-t-il, encore un peu agacé.
- « C’est qu’elle apprend. Ne fais pas ta mauvaise tête ! » intervient Cédric depuis le banc.
- « Rooos. » répond le Pokémon bovin en secouant la tête de haut en bas.
- « Bon, si Madame veut bien se donner la peine de remonter. Notre escorte nous attend et il vaut mieux ne pas la faire trop attendre. »
- « Aïe, aïe… Mathilda… » dis-je en rejoignant Cédric.
- « Oui et si tu n’y vois pas d’inconvénient, je vais garder les rênes un petit peu encore. »
Nous rejoignons les autres et reprenons notre place dans le convoi. Bien entendu, non sans avoir échapper aux remontrances de Mathilda. Derrière sa vive réaction, je crois déceler surtout une profonde inquiétude que nous ayons pu nous blesser. Cet écart nous a fait perdre pas mal de temps et nous en profitons pour faire la pause de midi. Dan vient nous aider à vérifier que la roulotte n’a pas été endommager et que Tauros va bien. Je m’occupe d’Echo qui a du mal à se remettre de ces émotions. Il regarde avec méfiance Tauros et gronde à bas bruit pendant tout le repas. Pour cet après-midi, je l’installe à l’intérieur de la roulotte car il refuse de monter sur le banc. Refroidie par ma mésaventure de ce matin, je me tiens à carreau et ne réclame pas les rênes. La soufflante de Mathilda me reste bien en mémoire et je suis surprise de voir Cédric si souriant et désinvolte. On dirait qu’il a déjà oublié ce qui s’est passé. Le soir, au moment d’installer le campement, Cédric ouvre la porte de sa roulotte et pousse un profond soupir. Je m’arrête alors que j’allais rejoindre Line et je lui demande.
- « Qu’est-ce qui se passe ? »
- « Notre escapade dans les champs ce matin, n’a pas plus à mes affaires… » marmonne-t-il.
- « Oups… » dis-je après m’être approchée de lui et avoir jeté un œil au capharnaüm qui règne dans la roulotte.
- « Oups ? c’est ta réponse ? » me taquine-t-il.
- « Je vais t’aider à ranger. » je lui souris.
- « Non, ne t’inquiète pas, je vais m’en sortir. »
- « J’insiste, c’est ma faute, c’est donc normal. »
Nous nous employons ensuite pendant environ deux heures à remettre de l’ordre dans tout son fatras. Finalement, ce travail qui pourrait sembler rébarbatif, se passe dans la bonne humeur, parce que nous passons notre temps à plaisanter. Line nous apporte des sandwichs qu’elle a confectionné discrètement dans les cuisines d’Isham car, ici, si on loupe le repas commun, c’est que nous n’avons pas faim. A un moment, Phil passe la tête par la porte alors que je suis écroulée de rire en découvrant la collection de photos de Racaillou qu’a constitué Cédric. J’ai juste le temps de croiser le regard fermé de Phil avant qu’il ne disparaisse à nouveau. Mon rire s’étrangle dans ma gorge.
- « Ça va ? Tu ne t’étouffes pas. Ce serait dommage de mourir parce que tu te moques de moi. » me demande Cédric. Il n’a pas vu son ami par la porte.
- « Oui, oui… » je réponds distraite.
Pourquoi Phil avait-il ce regard si contrarié ? Pourquoi j’ai l’impression d’avoir été prise en faute ? Je finis de ranger les affaires dans la roulotte puis souhaite une bonne nuit à Cédric et part rejoindre ma roulotte. Je ne peux m’empêcher de regarder autour de moi sur le chemin, si j’aperçois Phil. Mais je ne vois pas de trace de lui. Je dors d’un sommeil agité cette nuit. Je suis assise sur le banc d’une roulotte tirée par un Tauros en furie et flottant dans le ciel, le vide s’ouvre sous moi et je ne dois pas tomber. Un soubresaut me renverse, cependant, et je me retrouve à dégringoler vers les yeux au regard désapprobateur de Phil…
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