Chapitre 1
— Regarde, disait le brun à mes côtés.
Je relevais la tête de mon cahier sur lequel je dessinais plus que je ne prenais en note le cours de physique. Il tendait le bras vers la fenêtre, pointant du doigt une forme étrange dans le ciel.
Je plissais les yeux, ne comprenant pas ce que je voyais. D’autres élèves semblaient avoir remarqué qu’il se passait quelque chose d’étrange dans le ciel.
— Concentrez-vous, intervenait la professeure en voyant sa classe ne plus du tout suivre ses explications sur l’effet Doppler.
Elle jeta tout de même un regard, curieuse de voir ce qu’il se passait. Certains de mes camarades s’étaient carrément levés pour apercevoir l’objet volant.
— On dirait des gens, lâchait quelqu’un.
— Ne dites pas de bêtises, retournez à vos places, ordonnait Mme Julas. Ce sont juste de grands oiseaux.
Soudain, il y eut un bruit strident, semblable à rien de ce que j’avais pu entendre dans ma vie. La seconde d’après, les vitres explosèrent. Sam, à mes côtés, nous protégea des éclats de verre avec son sac, mais ceux plus proches se mirent à hurler. La prof ouvrit grand les yeux, incapable de réagir.
Je n’osais pas regarder les dégâts, détournant les yeux de mes camarades.
Le garçon attrapa ma main, j’attrapais mécaniquement mon sac et nous sortîmes de la salle. Dans le couloir, c’était le chaos. Il y avait du verre partout et plusieurs blessés. Nous traversâmes cet espace sans nous arrêter, ignorant certains appels à l’aide.
Je ne savais pas où voulait aller Sam, mais j’étais trop choqué pour réagir. Nous descendîmes d’un étage, puis encore un autre, avant d’arriver dans le hall principal du lycée. Par les grandes baies maintenant trous béants donnant vers l’extérieur, nous pouvions voir la rue. Les automobilistes sortaient de leur voiture pour essayer de comprendre ce qu’il se passait.
Une sirène de police ou bien d’ambulance retentit au loin.
La foule devenait de plus en plus dense autour de nous, tous voulaient sortir du bâtiment, comme nous, je crois.
Soudain, quelqu’un hurla et, alors que nous nous approchions enfin de la sortie, les haut-parleurs ordonnèrent :
« Les élèves du lycée Rosa Parks sont priés de retourner dans l’enceinte de l’établissement. »
Pourtant, le flux amenant vers la sortie ne diminua pas en puissance et nous fûmes poussés toujours plus fort vers le parvis. Ma main glissa de celle de Sam et je croisais son regard alors que nous étions séparés par la foule.
L’alarme de confinement en cas d’attaque terroriste retentit avec force, faisant monter la panique. C’était le genre d’alarme qui vous faisait croire à la fin du monde, ce qui avec le recul était totalement approprié.
« Veuillez, rejoindre vos classes respectives dans le calme. »
Pour le calme, on pouvait repasser. Car lorsque les volets de métal furent descendus automatiquement, certains se mirent à crier et à pousser encore plus forts, persuadés qu’ils auraient le temps de sortir. Ils ne réussirent qu’à écraser certains contre le fer.
J’avais ramené mes bras contre ma poitrine pour ne pas étouffer et essayais maintenant de m’extraire du monstre informe au millier de têtes. Des adultes étaient apparus, redirigeant des élèves vers des classes tandis que je restais bloqué contre un mur. Petit à petit, le hall se vida enfin, les portes claquèrent et je me retrouvais seule avec les corps inconscients de quelques-uns de mes camarades que la foule n’avait pas épargnés.
Je ne savais pas où aller.
Peut-être devrais-je rejoindre la salle que nous avions quittée avec Sam ? Ou alors, rentrer dans n’importe quelle pièce et attendre ? Où était passé Sam ?
Je me demandais si je n’allais pas avoir des ennuis, lorsqu’un gros bruit me fit sursauter. Quelqu’un tapait contre le rideau de métal. Un nouveau coup résonna et je reculais doucement jusqu’à ce que mon dos rencontre le mur opposé.
Qui est-ce qui pouvait frapper aussi fort ?
Je repensais à ce qu’un de mes camarades avait dit. Et s’il avait eu raison et que la chose dans le ciel était quelqu’un.
Ou quelque chose de dangereux.
Je risquais fort d’avoir des ennuis bien plus gros qu’un adulte en colère.
— Je suis en sécurité, chuchotais-je à moi-même comme si cela allait rendre ses mots plus vrais.
Je n’étais pas si loin de l’escalier principal et alors que je me décidais à monter dans les étages pour m’éloigner de l’entrée, un crissement résonna dans le hall.
C’était une lame. Cette dernière traversait le métal comme du beurre pour percer un trou. Elle glissa vers le bas sous mes yeux exorbités, agrandissant la percée. L’arme fut retirée dans un suintement et un œil à l’iris jaune se colla contre la paroi pour jeter un œil à l’intérieur.
La pupille se tourna vers moi.
Retenant un cri, je glissais le plus doucement jusqu’à la porte la plus proche. Mon cœur battait à tout rompre, résonnant dans ma tête alors que ma main attrapait la poignée froide.
La créature s’écarta, me laissant apercevoir des plumes. Des mains humaines se faufilèrent dans la fente et commencèrent à écarter les bords. Je ne restais pas plus longtemps, disparaissant derrière le battant.
Ce dernier menait au sous-sol du lycée qui servait de salle de sport, un lieu que j’avais peu fréquenté pendant ma scolarité. En témoignait mon corps frêle et léger qui ne faisait aucun bruit dans les escaliers.
Après avoir descendu quelques volées de marches, je me retrouvais devant une nouvelle porte que je poussais avant de la fermer à clé derrière moi. La créature m’avait surement vue descendre, je n’étais en sécurité que provisoirement.
Je n’allumai pas la lumière et me précipitai au fond de la pièce pour me cacher entre un grand poteau carré et une machine qui servait probablement à muscler quelque chose dans les jambes. Ma respiration résonnait si fort dans l’espace bas de plafonds que je mis l’une de mes mains contre ma bouche. Je tremblai au point d’en avoir mal aux muscles et transpirai à grosses gouttes. Il fallait que je me calme.
Je réalisai alors que j’avais encore mon sac sur le dos. Pour m’occuper, je le vidai méthodiquement. Un trieur avec des feuilles de cours divers, une trousse, un agenda, une règle bien trop grande, un déodorant, un briquet et deux barres de céréales. Et évidemment, mon téléphone.
Je savais qu’avec un déodorant et un briquet, il m’était possible de créer une sorte de lance-flamme, vestige du temps passé sur YouTube. Peut-être que je pourrais brûler sévèrement l’une de ces créatures avant qu’elle ne me tue. Les seuls objets coupants que je possédais étant mes ciseaux et mon cutter, je doutais de pouvoir m’en sortir vivant·e.
Je déverrouillais mon portable, la lumière éclairant mon visage tendu. Alors que j’ouvrais la section appel, un cri résonna au-dessus de moi, me faisant me figer.
Quelqu’un d’autre hurla, puis filtrèrent jusqu’à moi des bruits de course et d’autres bruits dont je ne voulais pas connaitre l’origine.
Peu importe ce qui attaquait, c’était entré.
Il y eut des sirènes et des coups de feu.
Le carnage dura longtemps.
Je me retrouvais les genoux repliés contre ma poitrine et les mains sur les oreilles pour ne pas entendre mes camarades périr à l’étage au-dessus. Mes larmes s’étaient arrêtées. Je me sentais impuissant·e. Je me sentais en sursis. Bientôt, ce serait mon tour.
Le temps passa, je ne savais pas depuis combien de temps je me trouvais ainsi dans le noir. Mes muscles étaient raides de ne pas avoir bougé depuis si longtemps. Je finissais par décoller mes mains de mes oreilles. Les bruits avaient cessé.
Je tendais l’oreille.
Il y avait encore des gens qui marchaient au-dessus. Mais comment savoir si c’étaient des survivants ou des tueurs ?
Une porte claqua. Mon cœur rata un battement.
Quelqu’un descendait les marches vers ma cachette. Je ne respirais plus.
J’entendais la poignée de la porte s’abaisser, mais sans s’ouvrir. Puis le silence reprit ses droits, me laissant croire que l’inconnu avait renoncé.
La porte en aggloméré explosa littéralement sous la force de frappe de l’intrus. Des morceaux arrivèrent jusqu’à moi et je sus que je n’avais aucune chance en face à face. Si je voulais survivre, il allait falloir être rapide et surtout, le prendre par surprise.
Lorsqu’il s’avança dans la pièce, je n’eus pas vraiment le temps de le détailler et je sautais hors de ma cachette, briquet tendu devant moi. J’appuyais sur l’aérosol, générant une flamme qui embrasa ses plumes. De stupeur, il lâcha son arme, aucun de mes camarades n’avait dû essayer de se défendre, et se mit à s’agiter dans tous les sens sous la panique.
Parfait. Sans réfléchir plus, je me jetais sur la lame abandonnée, et sans prendre le temps de m’étonner de sa légèreté, je la plantais d’un mouvement sec dans ce qui se trouvait à ma portée, le ventre.
Il s’effondra, une expression ridicule sur son visage absolument non apte à transmettre des émotions. Le sang coulait à flots et, alors que le feu se propageait à la chair, je m’écartais.
Il tenta encore faiblement d’éteindre les flammes, en vain, il avait perdu beaucoup trop de sang. J’observais le brasier jusqu’à ce qu’il s’éteigne, ne laissant qu’un tas de chair brûlée et d’os, ainsi qu’une odeur de poulet grillé.
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