Chapitre 3
Les jours passaient sans que rien ne se passe. J’appelais en boucle mes parents, ma sœur, mes amis, des connaissances ou même la police et tout autre service pouvant éventuellement répondre.
Je dormais peu et lorsque je dormais, les images de mort que j’avais vues se mélangeaient à des scénarios bien trop réalistes. J’avais déjà rêvé plusieurs fois de la mort de mes amis et de ma famille. J’étais épuisé·e mentalement.
Des bruits étranges perçaient à travers les volets et les fenêtres pour s’ajouter à mes cauchemars. De temps en temps, quelque chose se posait bruyamment sur le toit, faisait quelques pas puis repartait, me laissant terrifié comme un rongeur dans son trou.
Mes provisions diminuaient doucement, mais surement et toujours aucune nouvelle d’éventuels secours. Que faisait l’armée ? Que faisait le gouvernement ?
Lorsque je n’appelais pas, je passais mon temps sur internet et mes réseaux sociaux. La plupart des gens que je connaissais n’étaient pas actifs, mais il y avait encore des gens qui tweetaient ou postaient leurs questionnements, leurs appels à l’aide ou leurs théories sur les créatures.
Et plus je passais du temps sur ces réseaux, plus je comprenais qu’il n’y avait pas eu que ma ville qui avait été attaquée. Des gens du monde entier parlaient des créatures. Des gens du monde entier parlaient de comment ils avaient survécu à l’attaque. Des gens du monde entier recherchaient leurs proches disparus pendant l’attaque sans oser sortir de leur cachette.
Les créatures devaient être très nombreuses pour attaquer autant de lieux à la fois. Le monde entier semblait être tombé sous leur unique attaque. L’aide ne viendrait de nulle part.
Il fallait que je me débrouille seul·e.
Et ce fait fut d’autant plus vrai lorsque l’électricité se coupa dans la maison, presque un mois après l’attaque. Plongés dans le noir, les espaces que je connaissais par cœur semblaient bien plus effrayants. Les bruits de l’extérieur dont je pensais être protégé me paraissaient bien trop proches, bien plus réels. Mon stock de nourriture baissait doucement, bientôt, je n’aurais plus grand-chose à me mettre sous la dent, je ne pouvais plus faire semblant que tout allait s’arranger tout seul, que quelqu’un allait venir me sortir de là.
Je devais sortir.
Si je restais encore une semaine à l’intérieur, j’allais perdre la raison.
Alors, je me décidais à organiser une expédition. Pour une première sortie, je visai une supérette à une dizaine de minutes à pied.
J’attendis toute la journée dans le noir, seuls quelques rayons filtraient çà et là, m’indiquant la course du soleil. Une fois la nuit tombée, j’attrapais l’épée poussiéreuse. C’était une lame à simple tranchant à l’acier étincelant sous le sang séché. La garde, où se mêlait ce qu’il semblait être de l’or et de l’argent, était sculptée en forme de plume. Les détails étaient saisissants, au point que j’avais l’impression que le métal allait être doux. Pourtant, il était douloureusement froid dans ma main.
Prenant une grande inspiration, je me levais, glissais l’épée dans ma ceinture et attrapais mon sac. À l’intérieur, j’avais laissé un seul pistolet. Je me disais que même si je ne savais pas m’en servir, je pourrais toujours essayer en cas d’extrême urgence.
La main sur la poignée de ma porte d’entrée, j’hésitais un instant. Il n’y avait aucun bruit de l’autre côté, alors je sortais sous la lumière de la lune.
Il faisait frais, tout était calme. Pratiquement aucun lampadaire ne fonctionnait.
Avec prudence, je m’engageais dans la rue, pourtant, plus j’avançais, plus j’avais envie de retourner sous le couvert de ma petite maison. L’atmosphère était pesante, comme si le monde retenait son souffle. Les Hommes étaient redevenus des proies.
Je finissais par arriver au bout de la route et débouchai sur une grande avenue. L’odeur me saisit en premier. Une odeur que tous pouvaient reconnaître sans jamais l’avoir sentie auparavant. L’odeur de la mort. Je retins un haut-le-cœur et continuai d’avancer entre les voitures, redoutant ce que j’allais découvrir.
Ils étaient là, plusieurs dizaines de corps, entassés au milieu de la route. Cela faisait surement longtemps qu’ils étaient là à pourrir. Était-ce les créatures qui les avaient entassés ainsi ? Une réflexion me vint alors à l’esprit. Pourquoi les créatures tuaient elles ? Il était clair qu’elles ne se nourrissaient pas des cadavres vu la quantité qui s’entassait là. Or, si elles ne tuaient pas pour se nourrir, tuaient-elles juste pour le plaisir ?
J’écartais tous ses questionnements, ce n’était pas le moment. Je ne pouvais pas non plus rester à découvert plus longtemps. Sans vraiment réfléchir, je sortis mon briquet et allai trifouiller dans le capot d’une voiture. Mes maigres connaissances en mécanique se résumant à avoir feuilleté une fois « les voitures pour les nuls » de mon père. Je finissais tout de même par trouver le réservoir que je perçais en espérant que l’essence coulerait assez loin.
J’attendis quelques interminables minutes jusqu’à ce que le liquide n’atteigne les corps puis lançai mon briquet allumé. Je ne restais pas plus longtemps, déguerpissant aussi vite que possible.
J’arrivais rapidement à l’épicerie. Cette dernière semblait avoir vu passer un ouragan. Il y avait des objets partout au sol et aucune des vitres n’était indemne. Je me glissais à l’intérieur, mes bottes crissant sur le verre cassé.
Ici aussi, l’électricité ne fonctionnait plus. Je m’enfonçais donc dans la pénombre à la recherche de nourriture. Je récupérais quelques boites de conserve, des fruits secs, mais il ne restait pas grand-chose sur les étals, comme si quelqu’un était déjà passé par là.
Plus j’avançais, pire l’odeur était.
Je découvrais rapidement la source de ces effluves. Des centaines de produits frais pourrissaient dans leur frigo éteint. L’odeur parvenait jusqu’à moi alors même que les portes vitrées étaient fermées. Je n’imaginais pas l’odeur qui en sortirait si j’osais ouvrir l’une d’entre elles.
Je m’en éloignais, cherchant parmi les décombres des restes non périssables.
Une fois mon sac relativement rempli, je m’extirpais du magasin, tous les sens aux aguets. J’avais glissé l’arme à feu dans mon dos pour laisser de la place aux aliments dans mon sac. Il faisait froid maintenant, je remontais alors ma capuche sur ma tête pour me protéger du vent et m’éloignais de la supérette ravagée.
Maintenant, il fallait que je rentre chez moi sans faire de mauvaise rencontre.
Ainsi, j’avançais très doucement, longeant les murs, courant d’une ombre à l’autre lorsque je traversais une intersection. Je m’approchai du charnier lorsqu’un poids me plaqua à sol. Surprise, je lâchai un petit cri de panique que la chose s’empressa de faire taire en mettant sa main sur ma bouche.
— Tais-toi, ils ne sont pas loin.
Un humain. C’était un humain, ne puis-je m’empêcher de penser. Je n’étais pas seul·e.
Nous patientâmes quelques instants, lui, m’écrasant de tout son poids, moi, suffocant. Je ne pouvais me plaindre, il maintenait encore sa main sur ma bouche, comme si j’étais assez stupide pour hurler alors que l’ennemi n’était pas loin.
Il finit tout de même par me relâcher et je retenais une exclamation, je ne voulais pas qu’il me fasse taire de nouveau. Pourtant, il y aurait eu de quoi hurler de joie.
— Sam ?! chuchotai-je.
Il avait survécu. Je n’étais plus seul·e.
— Qui est l’imbécile qui a foutu le feu aux cadavres ? marmonna-t-il en m’ignorant superbement.
— Merde.
Il se tourna enfin vers moi et leva un sourcil en signe d’interrogation. Ce n’était pas vraiment le genre de Sam, quelque chose clochait.
— Il est possible que je ne sois pas inconnu·e à ce brasier…
Il leva les yeux au ciel en se passant une main sur le visage avant de prendre la parole :
— Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Les anges sont comme des papillons attirés par la lumière. Ils sont une dizaine près du brasier, cherchant celui qui l’a allumé. La zone n’est plus sûre.
— Les anges ?
— Pas le temps de t’expliquer. Il va falloir déguerpir au plus vite, nous sommes déjà trop près.
Effectivement, derrière la voiture où nous nous trouvions, je sentais la chaleur du feu et l’odeur de corps brûlés.
— Mais ma maison est de l’autre côté !
— Oublie-la. La zone n’est plus sûre.
Devant mon air attristé, il ajouta :
— Tu pourras peut-être revenir lorsque ça se sera calmé.
Il se leva, le dos plié pour rester caché, et me fit signe de le suivre. Je me relevai donc tant bien que mal et, replaçant mon sac plein à craquer, j’obéissais.
Nous nous éloignâmes le plus silencieusement possible. Sam s’arrêtait souvent, comme si il voyait ou entendait quelque chose, puis nous reprenions la route. Nous passâmes devant l’épicerie sans nous arrêter et, lorsque nous fûmes assez loin, je demandai :
— Qu’est-ce que tu faisais ici, Sam ? Où allons-nous ?
— Je ne m’appelle pas Sam.
— Ne me fais pas marcher, tu lui ressembles comme deux gouttes d’eau.
Les mêmes cheveux bruns, quoiqu’un peu plus en désordre peut-être. Les mêmes yeux bleu-gris étranges. La même taille.
— Sam m’envoie, je suis son frère.
— Son frère ?
L’autre acquiesçait sans se retourner vers moi avant d’ajouter :
— Nous sommes jumeaux.
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