Chapitre 4
Le jeune homme n’avait pas dit un mot depuis sa révélation. Il marchait d’un pas rapide sans vraiment veiller à ce que je le suivisse bien. Il était aux aguets alors que nous traversions la vieille ville.
Je supposais que nous allions rejoindre Sam, mais je n’osais pas poser la question. Alors, je me taisais et essayais de ne pas perdre le rythme. Mon sac rempli me sciait les épaules, l’épée se balançait contre ma jambe, accrochant la moindre lumière, alors une phrase qu’avait dit Kaleb lorsqu’il m’avait trouvé, me revint en mémoire.
« Les anges sont comme des papillons attirés par la lumière. »
Pourquoi avait-il appelé les créatures des anges ? Elles ressemblaient bien plus à des créatures tout droit sorties de l’ancienne Égypte, avec leur tête d’oiseau, qu’à des anges de la Bible.
Soudain, le brun s’arrêta et je manquais de le percuter.
— Qu’est-ce qu -
— Chut.
Il me poussa contre un renfoncement dans un mur et se colla contre moi. Les boites de conserve dans mon sac s’écrasèrent contre mon dos lorsque je heurtais le béton peint. Kaleb était grand, je ne voyais rien de ce qu’il pouvait bien se passer dans la rue. Y avait-il une créature ? Ou pire, plusieurs ?
J’entendais des bruits de pas derrière le souffle presque silencieux de Kaleb, tout près. Ils s’éloignèrent rapidement et le garçon me relâcha.
— Qu’est-ce que c’était ? chuchotais-je.
— Des gens.
Il reprit sa route, mais je ne le suivais pas.
— Comment ça, des gens ? demandais-je.
— D’autres survivants, répondit-il avant de se tourner vers moi pour ajouter : Tu ne pensais quand même pas que Sam, toi et moi étions les seuls survivants ?
— Non, je -
— Tu te croyais spécial·e ?
Je serrai la mâchoire pour ne pas l’insulter.
— En tout cas, pendant la fin du monde, il ne faut pas faire confiance à n’importe qui. La plupart des survivants ont soit eu de la chance, soit fait ressortir leur dangerosité. Ces gars qu’on a croisés, ils faisaient clairement partie de cette deuxième catégorie.
— Et toi ? Tu fais partie de quelle catégorie ?
Il ne me répondit pas, reprenant sa route. Cette fois, je le suivais, mais avec réticence. Je me rendais compte que s’il n’avait pas eu le même visage que mon ami, jamais je ne l’aurais suivi. Je décidais que je ne lui faisais pas confiance, mais que je n’avais pas vraiment le choix de le suivre pour le moment. Pour ma survie et pour retrouver Sam.
Une fois le garçon retrouvé, je le convaincrais de partir à la recherche de ma famille.
Je hochais doucement la tête pour moi-même, comme pour me donner du courage, avant de me reconcentrer sur mon environnement et Kaleb.
Nous finîmes par quitter la vieille ville pour entrer dans un quartier avec de grandes maisons semblables à de petits manoirs. Le chaos qui avait eu lieu le jour de l’attaque semblait avoir épargné cette zone. La plupart des vitres étaient encore intactes. Probablement que les habitants de cette zone étaient tous au travail au moment fatidique, ainsi nous ne rencontrâmes que très peu de cadavres.
La nuit n’allait pas tarder à laisser la place au jour lorsque Kaleb poussa le portail d’une maison aux pierres sombres. Nous suivîmes une petite allée où poussaient quelques mauvaises herbes entre les pavés clairs puis grimpâmes trois marches pour rejoindre la porte d’entrée. Le garçon la poussa sans plus de cérémonie, m’invitant dans l’entrée. Une bonne odeur m’effleura les narines sans que j’arrive à en déterminer la source alors que mes pieds rencontraient un tapis bleu marine.
Kaleb s’enfonça dans la maison, rejoignant un petit hall d’où partait un escalier droit en bois sombre. Je lui emboitais le pas, un peu intimidé·e par les lieux. Tout était très peu éclairé et chaque fenêtre était obstruée par des rideaux ou des volets.
J’allais ouvrir la bouche pour demander ce qu’on attendait, car Kaleb s’était arrêté, lorsque quelqu’un nous rejoignit. Sortant de l’ombre, une jeune femme brune aux yeux comme des puits dit à Kaleb :
— Il t’attend dans le bureau de votre père.
— Merci, Kendra.
Elle fit un signe de tête au garçon, se tourna vers moi pour répéter le mouvement avant de grimper les escaliers pour disparaitre à l’étage.
— Qui était-ce ? demandais-je alors que Kaleb se dirigeait vers une nouvelle pièce.
— Kendra.
— Mais encore ?
— C’est une amie d’enfance.
Voyant qu’il n’en dirait pas plus, je ne posais plus de question et le suivais dans ce qui ressemblait à un salon puis dans un couloir et enfin, dans un bureau. La petite pièce, dont le sol était recouvert de tapis sombre, baignait dans une lumière chaude et tamisée qui créait comme une bulle chaleureuse autour du meuble central. Derrière celui-ci était assis Sam.
En nous voyant entrer, il se leva brusquement, fit le tour du bureau, effleurant les rangées de livres qui reposaient sur une grande bibliothèque, pour me serrer contre lui.
— Tu es en vie ! s’exclamait Sam en s’écartant pour me regarder.
— Moi aussi je suis en vie, marmonnait Kaleb derrière lui. Merci de t’en inquiéter.
Sam me souriait avant de se tourner vers son frère.
— Merci d’avoir retrouvé Oz.
— Tu ne lui avais jamais parlé de moi, faisait remarquer Kaleb en s’affalant sur un fauteuil.
— Il t’a bien traité ? me demandait Sam en rejoignant sa place derrière le bureau.
— Ça peut aller.
Kaleb roula des yeux devant le regard amusé de son jumeau. Je souriais aussi, c’était la première fois depuis l’attaque. J’avais envie de poser un milliard de questions à mon ami. Mais Kaleb me prit de court, changeant complètement de sujet :
— Oz à une épée d’ange.
Je m’étonnais de cette intervention, je ne lui en avais pas parlé. Mais la lame ne pouvait pas passer inaperçu ainsi exposée à ma ceinture.
— Vraiment ? Comment tu l’as eu ? Elle n’est pas trop lourde ?
— Bien sûr que non, elle est même très légère, répondais-je en fronçant les sourcils. Je l’ai récupéré sur une créature.
— Morte ?
— Presque. Mais, elle le fut dès que je fus armé et elle non.
— Tu as tué un ange ? se redressait Kaleb.
— Est-ce que vous allez finir par m’expliquer pourquoi vous appelez les créatures des anges ou on va faire comme-ci tout était normal ?
— Pendant l’attaque, nous avons été séparés par la foule, tu te souviens ? commençait Sam.
J’acquiesçais me demandant où il voulait en venir.
— Je suis allé me cacher dans les escaliers gris. J’espérais que tu ais la même idée.
Je hochais la tête lorsqu’il nomma le lieu. Nous nous cachions dans ces escaliers rarement empruntés durant les pauses pour échapper aux surveillants qui ne voulaient pas que les élèves restent à l’intérieur. Ces souvenirs dataient de presque deux ans maintenant. Ces escaliers desservaient tous les étages, comme les trois autres, mais ceux-là descendaient plus bas, amenant à une sortie de secours rouillée. Personne ne descendait jusque-là, à par nous.
— Je me suis caché au sous-sol, dans la salle de musculation, lui expliquais-je.
— Lorsque les créatures sont entrées, j’ai entendu les cris, comme toi, je suppose. Elles, par contre, ne faisaient aucun bruit. Quelqu’un a fini par descendre précipitamment vers moi. J’ai d’abord cru que c’était toi. J’étais naïf de croire que nous étions les seuls à connaitre cet endroit. C’était un adulte, peut-être un surveillant ou un prof. En tout cas, il n’est jamais arrivé jusqu’à moi. Une créature l’a attrapé et alors j’ai entendu quelque chose. Une voix très étrange et clairement pas humaine répondait aux supplications de l’homme. « Tu as essayé de tuer un ange, pourquoi te laisserais-je en vie ? »
Il essayait de reproduire la voix qu’il avait entendue, parlant en accentuant certaines lettres, ses cordes vocales grinçant au milieu des mots. Je frissonnais.
— C’était la créature ailée qui parlait. J’ai vu ses plumes blanches si proches. Elle tua l’homme et je crus que je serais le prochain.
— Il ne t’a pas trouvé ? demandais-je.
— Non, il est remonté sans descendre plus loin. Mais lorsque j’ai voulu sortir du lycée, quand tout était redevenu calme, je suis tombé nez à nez avec une autre créature.
— Tu l’as tué ?
— Non, c’est moi, intervenait Kaleb jusque-là silencieux.
— Nous avons voulu récupérer son arme, mais impossible de la soulever, ajouta Sam.
Je fis glisser l’épée hors de ma ceinture et la tendit à Sam par-dessus le bureau. Sa main effleura la garde finement sculptée avant de complètement l’attraper. Je la lâchais et la lame se planta dans le bois, tordant le poignet du garçon. Kaleb se leva pour aider son frère, en vain. L’arme refusait de bouger.
Comme le Roi Arthur, j’attrapais la garde de l’épée et tirais doucement. La lame glissa aisément du meuble et je jetais un regard aux garçons. Faisaient-ils semblant de ne pas réussir à la soulever ? Mais pourquoi faire ?
— Vous me faites marcher ? demandais-je.
Les deux secouèrent la tête.
Je baissais les yeux sur l’arme qui me semblait si agréable dans ma main, pas trop lourde, mais pas non plus légère comme une plume. Le métal reflétait la lumière vacillante des bougies, donnant l’impression qu’il était liquide.
— Étrange, disait seulement Sam.
Sous leurs regards, je replaçais l’arme à ma ceinture et m’asseyais sur le bord du fauteuil que Kaleb avait abandonné. La fatigue commençait à se faire sentir, mais j’avais encore tellement de choses à demander, mais encore une fois, alors que je rassemblais mes pensées, Kaleb demanda :
— Comment quelqu’un d’aussi frêle que toi as réussi à tuer un ange ?
Je serrais les dents, manquant de me mordre la langue.
— Kaleb ! s’exclama Sam.
— Il a raison, intervenais-je. J’ai eu de la chance. Je l’ai eu par la surprise. Je l’ai brûlé puis éventré.
Cette dernière phrase, je l’avais prononcée en fixant la flamme d’une des bougies sans vraiment la voir. La scène se rejouait devant mes yeux. J’avais ôté la vie.
L’odeur, la chaleur, le sang sur mes mains, je ressentais tout comme ce jour-là. Mais c’était tuer ou être tué et j’avais choisi de vivre.
Le silence dura quelques instants avant d’être brisé par un bâillement sonore de la part de Kaleb.
— Je sais pas vous, mais je suis fatigué, dit-il en s’étirant.
— La nuit a été longue, répondit Sam. Oz, je vais te montrer ta chambre. Tu as besoin de ton sac ?
— Non. Je n’ai pas pu récupérer d’affaires, il n’y a que de la nourriture à l’intérieur.
— Très bien, suis-moi alors. Kaleb, tu peux te charger de ranger les vivres ?
L’autre acquiesça et nous quittâmes la pièce. Sam me ramena jusqu’à l’escalier en bois où avait disparu Kendra. Nous montâmes à l’étage, empruntâmes un couloir longeant de nombreuses portes fermées avant de nous arrêter devant l’une d’entre elles.
Derrière, je découvrais une petite chambre aux murs pâles. Un lit deux places aux draps bleu foncé occupait une partie de l’espace. En face de la porte se trouvait une fenêtre calfeutrée entourée d’étagères pleines de bibelots, de livres et de plantes plus ou moins en bon état.
Je m’asseyais sur le matelas, n’ayant qu’une envie : m’allonger et dormir au moins deux jours. Sam s’installait à côté de moi en silence. J’oscillais entre l’envie de continuer à lui poser des questions et lui demander de partir pour que je puisse dormir.
— Je pourrais te prêter des vêtements si tu veux. Ou alors je pourrais demander à Kendra, dit le garçon.
— Ce ne sera pas la peine.
— Pourquoi ? demandait-il en se tournant vers moi.
— Je ne peux pas rester ici trop longtemps. Je veux retrouver ma famille.
— Tu ne peux pas partir comme ça ! On vient à peine de se retrouver.
— Tu pourrais m’accompagner, proposais-je.
— Je ne peux pas.
Cette fois, ce fut à moi de demander pourquoi.
— Il n’y a pas que Kaleb et Kendra ici, tu sais. Depuis l’attaque, j’ai rencontré beaucoup de survivants. Certains m’ont suivi jusqu’ici.
Il m’attrapa les mains, les yeux étincelants.
— J’organise la résistance, Oz.
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