Chapitre 5
Sam était parti. Allongé·e sur le dos, enroulé·e dans les draps, je fixais l’obscurité au-dessus de moi.
Je n’avais pas vu très loin. Au départ, je comptais rester chez moi jusqu’à ce que mes parents rentrent ou que quelqu’un me vienne en aide. Puis j’avais croisé Kaleb et mon plan avait évolué. Je voulais retrouver Sam pour l’entrainer à la recherche de ma famille. Le fait qu’il pouvait avoir d’autres plans ne m’avait même pas effleuré l’esprit.
Je me rendais compte que je n’avais même pas demandé à mon ami s’il allait bien. S’il avait des nouvelles de sa famille en dehors de Kaleb.
Alors que le garçon semblait être entièrement tourné vers l’avenir, mettant en place une contre-attaque contre l’ennemi, j’avais été terriblement égoïste.
Je rabattais la couverture sur ma tête en soufflant. Il fallait que je dorme.
Malgré la fatigue, il me fallut une éternité pour m’endormir. Je ne faisais que ressasser les événements, mon cerveau ne voulant pas s’arrêter de penser. Finalement, par je ne sais quel miracle, je sombrais dans un sommeil sans rêves.
Lorsque j’ouvris les yeux, il faisait toujours aussi sombre dans la pièce. Je n’avais aucun moyen de déterminer l’heure qu’il était, mais j’espérais qu’il ne faisait pas encore nuit. J’avais un besoin fou de voir un peu le soleil.
Pourtant, je restais encore de longues minutes dans les draps chauds, savourant le silence et la presque normalité de cet instant. Enfin, je glissais mes jambes nues en hors du lit. Il faisait frais. Je rejetais complètement les couvertures.
Je n’avais gardé que mon t-shirt pour dormir ainsi, j’enfilais mes vêtements de la veille et glissais l’épée à ma taille avant de quitter la chambre.
Tout était calme dans la grande maison. À pas de loup, je longeais le grand couloir et descendais les escaliers. Je ne savais pas vraiment où aller, ainsi commençais-je à inspecter les pièces les plus proches. Je tombais sur un grand salon puis une salle à manger et enfin la cuisine.
Il n’y avait personne.
Dormaient-ils tous encore ? Personne ne surveillait ?
Soudain, je me sentais franchement vulnérable. Certes, j’avais survécu seul·e chez moi sans que personne ne surveille quoique ce soit pendant que je dormais, mais ici c’était différent. Nous étions plus nombreux, j’aurais pensé qu’ils auraient au moins mis en place des tours de garde.
Mon ventre gargouilla, mettant fin à mes réflexions. Je ne me souvenais pas de quand datait mon dernier repas. Peut-être d’avant mon expédition hors de chez moi ? Ça commençait à faire loin. Ainsi, je partais à la recherche de quoi me sustenter en ouvrant le frigo.
Pas grand-chose n’y résidait. Après tout, les denrées fraiches se faisaient de plus en plus rares, du moins celles non périmées.
J’entreprenais alors d’ouvrir les placards et finissais par tomber sur des biscottes et de la pâte à tartiner. Parfait.
Je grignotais mes tartines lorsque Kaleb fit irruption dans la cuisine.
— Oh, tiens, c’est toi, dit-il simplement en attrapant le paquet de biscottes.
Ses cheveux étaient plaqués sur son front et sa nuque et une odeur de transpiration avait envahi la pièce. Le nez retroussé, je demandais :
— Tu es réveillé depuis longtemps ?
Il acquiesçait, la bouche pleine.
— Et tu n’as pas eu le temps de prendre une douche ?
— Je m’entrainais, figure-toi.
Ce fut au tour de Sam de nous rejoindre. La tête encore ensommeillée, il nous fit un signe de main avant d’attraper du café dans un placard.
— Et tu t’entrainais à quoi ? demandais-je à Kaleb.
— Au combat.
Je ne savais pas comment relancer la conversation, alors j’attrapais une nouvelle tartine. Sam s’installa à côté de moi et alors que le café entrait dans son organisme, il se réveilla doucement.
Kaleb ne s’asseyait même pas. Une fois ses deux biscottes avalées, il disparut.
— Pas très bavard ton frère, faisais-je remarquer à Sam.
L’autre haussait les épaules avant d’ajouter :
— Il a toujours été comme ça.
Le silence s’installa de nouveau et alors que je réfléchissais à comment aborder le sujet qu’était mon départ, Sam reprit la parole :
— J’ai réfléchi à notre discussion d’hier soir. Je ne peux pas te laisser partir.
— Comment ça ?
— C’est trop dangereux dehors. J’ai donc pensé à quelque chose. Nous pourrions t’apprendre à te défendre. T’apprendre à utiliser ton épée.
— Tu sais combattre à l’épée ?
— Kaleb et moi avons pratiqué l’escrime.
L’idée me plaisait, mais j’avais perdu déjà tellement de temps.
— Je sais ce que tu penses. Que chaque jour compte et que peut-être en restant un peu plus longtemps ici, tu ne retrouveras jamais ta famille en vie. Mais si tu sors sans ne serait-ce qu’un minimum de compétences pour te défendre, c’est toi qui mourras.
Son ton avait changé, sa voix était plus grave. Il avait raison.
— Soit, soufflais-je. Quand est-ce qu’on commence ?
— Je vais en parler avec Kaleb. Je te tiens au courant, mais normalement, tu pourrais commencer aujourd’hui.
J’acquiesçais en silence, le regardant finir sa tasse. Puis il se leva, posa sa tasse dans l’évier et se tourna vers moi :
— En attendant, fais comme chez toi. Tu peux prendre une douche si tu veux, mes vêtements sont les tiens, ou alors lire quelque chose dans le salon. Mais ne sors pas.
— D’accord, merci.
Je me levai et quittai la pièce alors qu’il entreprenait de faire la vaisselle.
Je rejoignais l’étage, passait devant ma chambre et me rendais compte que je ne savais pas quelle pièce était celle de Sam. Je poussais donc la première porte. Derrière, je découvrais une chambre aux murs bleu foncé. Un grand lit était collé contre le mur du fond, près de la fenêtre. Il y avait aussi un bureau fait d’une planche et de tréteaux et une armoire sombre.
Ça aurait pu être la chambre de Sam, mais je préférais quand même regarder dans les autres pièces.
Je tombais sur la salle de bain, puis sur une chambre bleu clair. Les meubles étaient sensiblement les mêmes que la chambre précédente, mais positionnés différemment. Cette fois, c’était le bureau qui se trouvait sous la fenêtre alors que le lit était tout proche de la porte. Il y avait quelques plantes dont la lumière naturelle commençait à manquer.
Je rentrais un peu plus avant dans la pièce, découvrant des posters au-dessus du lit. Je souriais, c’était clairement la chambre de Sam. Cela voulait dire que l’autre était surement celle de Kaleb. Je me demandais où se trouvait la chambre de Kendra.
J’ouvrais la penderie à la recherche d’un t-shirt propre. J’en attrapais un noir ainsi qu’un jogging gris, qui serait surement bien trop grand pour moi, puis je rejoignais la salle de bain.
Une fois propre et habillé·e de vêtements l’étant tout autant, je descendais au salon.
Sam avait disparu, Kaleb avait dû retourner s’entrainer et il n’y avait aucun signe de Kendra. Je m’asseyais sur le canapé. Un rayon de lumière perçait à travers les volets, illuminant la seule plante encore bien verte de la pièce. J’avais envie de faire entrer bien plus de lumière.
Mais je restais assis·e, me demandant comment m’occuper. Il faisait trop sombre pour lire. Les réseaux sociaux étaient de plus en plus silencieux et toujours aucune nouvelle de ma famille.
Je me laissais tomber sur le côté, la tête dans les coussins. Comment était-ce possible que je m’ennuie en pleine fin du monde ?
Je restais ainsi de longues minutes, les yeux fixés sur le rayon de lumière au point qu’il s’imprime sur ma rétine. Et lorsque Sam entra dans la pièce il m’y quelques instants à me trouver, complètement confondu·e parmi les coussins.
— Oz ?
— Hm, grognais-je.
— J’ai parlé avec Kaleb, commençait-il.
Je me redressais, luttant contre un léger vertige et clignant des yeux pour chasser l’image en négatif du rayon lumineux, alors qu’il continuait :
— Il est d’accord pour t’entrainer.
— Comment ça ? Ce n’est pas toi qui vas m’entrainer ?
— Non, je suis désolé, j’ai beaucoup de choses à faire pour gérer la résistance.
— Hm.
— Ne fais pas cette tête, je suis sûr que ça va bien se passer. D’ailleurs, il t’attend au sous-sol.
Il allait quitter la pièce et, alors que je m’écrasais de nouveau dans les coussins, il me lançait, un sourire dans la voix :
— Au fait, je vois que tu as trouvé mon armoire. Très bon choix pour ce qu’il t’attend.
J’attrapais un des coussins pour lui envoyer au visage, mais il était déjà loin. En grognant, je me levai pour me trainer jusqu’à l’entrée où attendaient mes chaussures. Je les attrapais et descendais au sous-sol. Les marches en béton étaient froides à travers mes chaussettes alors que je m’enfonçais sous la maison.
La température descendit de quelques degrés et enfin j’atteignais une porte en métal. Je la poussais avec difficulté, elle était épaisse et lourde. À l’intérieur, je découvrais une salle au plafond plus haut que je ne l’avais imaginé. Le sol avait été recouvert de matelas de gymnastique bleu foncé. Les murs en béton nu ne comportaient aucune décoration. Une fenêtre en hauteur laissait passer de la lumière naturelle et je pouvais apercevoir de l’herbe et des buissons fleuris.
Kaleb m’attendait, adossé au mur du fond.
Une lame reposait contre le béton à ses côtés. Pourtant, lorsqu’il s’avança, il ne la prenait pas avec lui.
J’entrais pleinement dans la salle pour le rejoindre et réduire la distance qui nous séparait.
— Tu ne vas pas avoir besoin de tes chaussures ni de ton épée.
— Comment ça ?
Kaleb me dépassa sans un regard pour aller attraper une barre de métal qui attendait près de la porte. Il me la tendit.
— Ça sera ton arme pour le moment.
Confus·e, je l’attrapais machinalement en cherchant une réponse sur le visage du garçon.
Mais il ne disait rien, attendant que je pose mes chaussures et la lame angélique. Ensuite, le jeune homme s’accroupissait pour inspecter cette dernière.
— C’est une arme à simple tranchant, elle est plutôt courte. Est-ce qu’elle est légère ?
— Plutôt oui. Après, je ne l’ai jamais tenue très longtemps.
— Justement, nous allons travailler sur ça.
Kaleb se redressait avant de continuer :
— Droite ou gauche ?
— Hein ?
— Ta main dominante.
— Euh, droite.
— Très bien. Prends ton arme et tends le bras devant toi.
J’obéissais perplexe. Le métal était froid, je n’aimais pas son contact.
Il s’approchait, redressant mon bras au passage pour qu’il soit plus horizontal.
— Je peux ? demandait-il en montrant mes épaules.
— Euh, oui.
Kaleb poussa mon épaule gauche pour me placer de trois quarts. Il glissa son pied droit entre les miens pour les écarter un peu plus. Enfin, le brun s’écarta pour m’observer. Il semblait plutôt satisfait et retourna s’adosser contre le mur du fond.
— Et maintenant ? demandais-je quelques instants après.
— Tu tiens cette position jusqu’à ce que je te libère.
Je fronçais les sourcils, ce n’était clairement pas comme ça que j’imaginais un cours de combat.
— Quelque chose à en redire ? disait Kaleb.
Oh que oui, j’avais un nombre incalculable de choses à dire. Pour commencer, je n’aimais pas le ton qu’il utilisait. Mais, je ne disais rien. Je n’avais pas de temps à perdre, déjà que tenir cette position me semblait fortement inutiles, je ne voulais pas en rajouter.
Ainsi, je plantais mon regard droit devant moi, suivant la ligne de métal pour finir sur le mur en béton nu sur la droite de Kaleb.
Rapidement, mon bras perdit de son horizontalité glissant doucement vers le bas. À chaque fois, je le ramenais à sa position initiale avant que le jeune homme n’intervienne. Pourtant, c’était de plus en plus dur à tenir. Je sentais mes muscles lutter contre la gravité alors que la barre qui me servait d’arme n’était pas si lourde que ça au départ.
Ma paume s’était mise à transpirer, rendant le métal glissant entre mes doigts.
Bientôt, tout mon corps fut crispé, tendu à l’extrême pour garder mon bras et la barre horizontale.
Depuis combien de temps étais-je là ? Je voyais Kaleb dans mon champ de vision, il n’avait pas bougé. Mais je préférais ne pas m’attarder sur lui.
La concentration tendait mes traits, je serrais les dents pour ne pas abandonner, mais mon bras tremblait de plus en plus, à tel point que je faillis lâcher la barre maintenant chaude dans ma main.
Alors arriva le moment où je ne tins plus, le métal heurta le sol matelassé.
Je grimaçais en massant mon avant-bras, attendant la réaction du brun qui me servait de professeur. Il ne disait rien jusqu’à ce que je cesse de bouger pour le fixer.
— On peut reprendre ? demandait-il.
— Reprendre ?
Il indiquait la barre en métal avec son menton, l’air de dire qu’il fallait que je reprenne ma position avec mon arme improvisée. Je cherchais une lueur d’amusement dans son regard, espérant que ce soit une blague, mais il était sérieux. Alors, retenant un grognement de mécontentement, j’attrapais le métal qui n’avait pas refroidi.
Je me remettais en position.
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