Chapitre 6
Je m’écroulais sur mon lit.
Mon bras droit tressautait encore des efforts de la journée. J’avais perdu la notion du temps dans ce sous-sol avec pour seule compagnie le jumeau maléfique de mon ami. Pourtant, pendant tout ce temps, le soleil avait déversé sa lumière sous terre, mais concentré·e comme j’étais, je n’avais pas fait attention à sa course.
Avec un grognement, j’attrapais mon téléphone que j’avais laissé sur la table de nuit. 18 h 47, aucune notification. Mon ventre gronda. J’avais sauté le repas de midi et le goûter. Le corps tout endolori, je me redressais donc, bien décidé à me remplir l’estomac.
Trois coups contre la porte de ma chambre arrêtèrent pourtant mon geste rempli de détermination.
— Oui ? lançais-je.
Le battant en bois s’ouvrit en silence et Sam se faufila à l’intérieur.
— Alors ? Comment ça s’est passé ?
— C’était terrible, me lamentais-je.
Le jeune homme pouffa et demanda :
— À ce point ?
— Je crois que je vais perdre l’usage de mon bras droit et que ton frère me déteste.
Mon ventre gronda de nouveau.
— Oh et je meurs de faim, ajoutais-je.
— J’entends ça. Allez, viens, suis-moi, on va te trouver un truc à manger.
Nous descendîmes à la cuisine où il entreprit de faire des pâtes tout en me questionnant sur mon début d’entrainement. Il semblait plutôt amusé par la situation.
— Pourquoi ce n’est pas toi qui m’entraines ? demandais-je soudain. Et ne me parle pas de la résistance.
— Kaleb est bien meilleur que moi.
— Pour l’instant, je ne peux que te croire sur parole vu que je ne l’ai pas vu à l’œuvre. Mais sache qu’il est nul en tant que professeur.
Un rire échappa à Sam. Il me tendait mon assiette et je m’installais à table. J’essayais de ne pas me jeter sur la nourriture, mais c’était dur, alors je continuais à parler :
— D’ailleurs, c’est super pratique que vous sachiez combattre à l’épée. Comment ça se fait que vous vous soyez tous les deux intéressés à l’escrime ? Tu ne m’en avais jamais parlé.
— C’était une idée de notre père. Il était plutôt fan du moyen âge. Si tu veux, je te montrais sa collection d’arme et d’amure. Bref, tu te doutes que pour deux petits garçons, c’était génial de jouer aux chevaliers et de combattre à l’épée. On a commencé ça très tôt. On s’est beaucoup amusé et ça nous a beaucoup rapprochés avec notre père.
Je remarquais que Sam parlait de son père au passé, je ne savais pas si c’était parce qu’il parlait d’une époque passée ou parce que son père n’était plus. Je n’osais pas demander et enchaînais :
— J’imagine. Mais vous avez continué, non ? Sinon, je vois pas comment vous pourriez être aussi bon que vous le dites actuellement.
— J’ai pratiqué jusqu’au lycée. Je ne t’en ai pas parlé, parce que lorsque nous nous sommes rencontrés, je n’en faisais plus. Je n’en voyais plus l’intérêt. Notre père ne combattait plus avec nous. Kaleb prenait ça beaucoup trop au sérieux. Je ne m’amusais plus.
— Kaleb a donc continué plus de deux ans de plus que toi.
— C’est ça. Sauf qu’il a intensifié les entrainements. Il est passé d’une fois par semaine à tous les jours. C’est devenu une obsession pour lui. C’était comme s’il savait que nous en aurions besoin un jour.
Je plongeais ma cuillère à soupe dans les pâtes nature. En quelques minutes, j’avais englouti tout le contenu de mon assiette et me levai pour la nettoyer.
— Laisse, je vais le faire. Va te reposer. Je suppose que cette journée avec Kaleb ne t’a pas découragé et que vous reprenez demain ?
J’acquiesçais en le remerciant avant de remonter dans ma chambre.
Cette fois je m’étalais pour de bon dans les couvertures. Pourtant, malgré la fatigue, ainsi allongé dans le noir, je ne trouvais pas le sommeil.
Depuis combien de temps avait eu lieu l’attaque ? Depuis combien de temps je n’avais pas vu ma famille ? Je perdais la notion du temps. Le soleil me manquait, le vent aussi.
Est-ce que tout le monde dormait dans la maison ? J’avais entendu du bruit au rez-de-chaussée peu de temps après avoir rejoint mon lit. Quelqu’un était sorti.
Moi aussi j’avais envie de prendre l’air.
Envie plutôt dangereuse par les temps qui couraient.
Je sortis néanmoins de mes couvertures et enfilai un pull avant de me faufiler en dehors de ma chambre. Il faisait sombre, tout était calme. Avant, je me serais peut-être amusé à me faire peur en parcourant ces couloirs en compagnie de Sam. J’aurais eu peur de ce qui pouvait se cacher dans le noir. Maintenant, j’avais peur de ce qui se cachait dans le ciel.
Je descendis les escaliers et arrivai devant les grandes baies vitrées obstruées par des volets qui donnaient supposément sur le jardin. J’hésitais, mais finissais par ouvrir doucement chaque couche me séparant de l’extérieur.
Je jetais un regard, l’herbe n’avait pas été coupée depuis longtemps et, lorsque je m’avançais, elle me chatouillait les chevilles et les mollets. Il faisait nuit. Je n’avais jamais entendu un tel silence. Il n’y avait plus le bruit des voitures, le bruit des passants. Rien. C’était comme si le monde était mort.
C’était surement le cas. Le monde que nous connaissions était mort. Même si nous parvenions à nous débarrasser des créatures, jamais nous ne pourrions revenir au monde d’avant l’attaque.
Toujours protégé·e par une avancée de toit, je levais les yeux au ciel.
Il n’y avait aucun mouvement, on aurait pu croire que les anges n’existaient pas.
Je m’allongeai au sol, disparaissant presque au milieu de l’herbe. La brise me rafraichissait le visage. Les étoiles brillaient avec force, elles n’étaient plus concurrencées par les lumières artificielles. Je cherchais la Grande Ourse par automatisme, mais en fut incapable. Elles étaient trop nombreuses.
Je me sentais tellement bien, que je finissais par m’endormir.
— Tu as vraiment dormi ici ? demanda une voix, me réveillant.
J’ouvris les yeux au moment où il m’envoyait une masse douce. Un plaid. Je me redressai et m’enroulai dedans. Le soleil n’était pas encore levé.
Kaleb était assis sur le rebord de la baie vitrée. Ses yeux me détaillèrent rapidement, s’arrêtant quelques instants sur mes jambes nues. Il haussa un sourcil.
— Je n’arrivais pas à dormir, chuchotais-je en me levant difficilement.
Je m’asseyais à ses côtés, silencieux·se.
— Tu ne devrais pas sortir comme ça. Qu’est-ce que je dirais à Sam s’il t’arrivait quelque chose ?
— Que j’ai été stupide ?
— Vendu.
— Où sont Sam et… ?
— Kendra.
— Où sont-ils ?
— Je ne sais pas précisément. Ils sont partis chercher d’autres survivants, pour agrandir la résistance.
— Ils vont les ramener ici ?
Il acquiesça sans cacher son mécontentement.
— Où logez-vous tous ces gens ?
— C’est un interrogatoire ou quoi ? répondit-il en ricanant.
— Désolée, je pose beaucoup trop de questions. Mais pour une fois que tu me réponds…
Il rit de plus belle avant de s’arrêter en regardant le ciel, le visage sérieux.
— Les résistants sont tout autour de nous, tu as vu les maisons alentour en arrivant. Ils sont entre dix et vingt par maison. Nous devrions rentrer.
Il se leva et je le suivais, ignorant les courbatures, je continuais de poser des questions :
— Est-ce vraiment une bonne idée de regrouper autant de gens au même endroit ? Je veux dire, si nous sommes attaqués.
— Je suis totalement d’accord. Et je l’ai dit à Sam. Mais il s’en contrefout. Monsieur veut en entrainer un maximum.
— Pourquoi tu ne l’aides pas ? Tu m’entraines bien moi.
— Sam veut des milliers de guerriers passables (il fit une pause et se tourna vers moi :) je n’en veux qu’un imbattable.
Il ferma les volets, puis les fenêtres et quitta la pièce sans un mot de plus.
Je n’insistais pas et, le plaide toujours sur les épaules, je remontais dans ma chambre pour m’habiller proprement. Je jetais un œil sur mon téléphone, toujours rien. Je l’attrapais tout de même et entreprenais d’appeler pour la énième fois mes parents et ma sœur. Évidemment, personne ne répondit et je reposais misérablement mon appareil.
J’attachais l’épée angélique à ma taille en espérant l’utiliser aujourd’hui, et descendais en chaussettes jusqu’à la cuisine où j’engloutissais plusieurs biscottes avant de rejoindre le sous-sol.
La porte en métal était entre-ouverte.
Dans l’entrebâillement, j’apercevais du mouvement. Le jeune homme semblait danser.
Seule une bougie éclairait la pièce, se reflétant sur la lame effilée du brun. À chaque mouvement, la flamme vacillait. Il s’entrainait en silence, les yeux fermés. Enchaînant les mouvements compliqués. Je comprenais alors ce que voulait dire Sam en parlant d’obsession. Chaque coup était parfait. Chaque coup semblait destiné à tuer alors même qu’il n’avait pas d’adversaire.
S’il fallait passer par des heures à tenir une barre droit devant moi pour arriver à ce résultat, j’étais prêt·e à tenir le coup. Sauf que je n’avais pas des heures à perdre.
Son regard croisa soudain le mien, me faisant sursauter.
— Tu m’espionnes ?
Je secouais la tête et il m’invitait à entrer.
Le soleil se levait dehors et commençait à illuminer une partie des matelas bleus. Le garçon souffla sur la bougie puis se remit à la même place que la veille, son arme adossée au mur, comme lui.
Je retenais une grimace en déposant ma propre lame à côté de mes chaussures qui étaient restées là toute la nuit. J’attrapais ma barre de métal puis me mettais en position.
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