Chapitre 8
Entièrement équipé·e, les cheveux encore humides de la douche rapide que j’avais prisent après notre entrainement journalier avec Kaleb, j’attendais Sam dans le bureau de son père.
J’étais tendu·e et excité·e. J’allais bientôt sortir de cette maison.
Il avait fallu deux jours à Sam pour se décider à me donner rendez-vous ici pour me donner tous les détails de la mission qu’il me confiait. Sauf qu’il était en retard.
Qu’est-ce qui pouvait bien le retenir ?
Enfin, les portes s’ouvrirent et le garçon me rejoignit.
— Désolé, Oz. Me voilà.
Il semblait fatigué et un peu énervé.
— Quelque chose s’est passé ? demandais-je.
— Kaleb, voilà ce qu’il s’est passé.
J’attendais la suite, qu’est-ce qu’avait bien pu faire mon professeur pour énerver ainsi son frère ?
— Comme je m’y attendais, il ne veut pas que tu sortes.
— Je vois.
— Veux-tu toujours le faire ? demandait-il.
— Bien sûr.
— Je m’en doutais, souriait-il. Bon, les informations sont les suivantes : le groupe est caché dans un centre commercial. Plus précisément, celui juste à côté de notre lycée. Ça fait une trotte, je te l’accorde, mais ça reste tout de même relativement proche et les zones à traverser ne sont pas trop dangereuses normalement.
J’acquiesçais, le visage sérieux.
— Tu éviteras absolument tout combat, c’est compris ? Les anges sont bien trop forts et surtout, que se passerait-il si tu étais blessé et loin d’ici ?
— Je vais faire attention, promis. Est-ce que je pourrais passer par chez moi ? C’est sur la route.
— Sur l’aller, pourquoi pas. Le retour devra se faire de nuit, le plus discrètement possible et avec le plus de gens possible. Tu dois ramener ceux qui le veulent ici.
Les portes s’ouvrirent de nouveau, nous faisant sursauter. C’était Kaleb. Il était complètement équipé comme moi et arborait un air déterminé.
— Puisque vous n’en faites qu’à votre tête, j’ai décidé que j’accompagnerais Oz, que vous le vouliez ou non.
Je croisais les bras, m’enfonçant un peu plus dans mon fauteuil.
— Je peux me défendre, tu sais.
— Peut-être face à un humain, mais un ange c’est bien différent. Tu n’es pas prêt·e à sortir seule. Et puis, à deux ça sera bien plus simple pour protéger et gérer un groupe de survivants désarmés et terrifiés.
Je croisais le regard de Sam qui haussait les épaules l’air de dire, il n’a pas si tord que ça. Je soufflais et me levais :
— Très bien, de toute façon, je ne vais pas t’empêcher de me suivre. Allons-y.
Nous traversâmes le hall avec l’escalier pour arriver à l’entrée. Je déverrouillais la porte, appuyais sur la poignée et, retenant mon souffle, je poussais la porte.
Un vent frais nous accueillit, projetant mes cheveux en arrière. Mon regard se dirigea immédiatement vers le coucher de soleil, à l’ouest. Je regardais l’astre disparaitre doucement à l’horizon lorsque je remarquais que Kaleb m’observait.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien.
Il me dépassait pour s’engager dans la rue. Tout était bien calme. Je le suivais, un sourcil levé — il fallait que j’arrête de faire ça, c’était son truc pas le mien — et il dit :
— Tu as l’air bien heureux·se de sortir. C’était si terrible d’être enfermé·e avec moi ?
— L’extérieur me manquait, c’est tout.
— À moi aussi.
La nuit tomba rapidement, nous plongeant dans le noir presque complet. Je retrouvais alors la peur du noir qui m’avait accompagné si souvent depuis l’attaque. Soudain, je ne regrettais plus la présence de Kaleb, elle me rassurait.
Nous ne rencontrâmes pas âme qui vive jusqu’à ce que nous arrivions au niveau du charnier que j’avais enflammé le jour de notre rencontre. Il n’y avait plus d’anges dans les parages, plus d’odeur de mort non plus.
Je passais donc devant Kaleb pour nous guider jusqu’à chez moi.
Les lieux n’avaient pas changé depuis mon départ. Il n’y avait pas de cadavres en plus et la porte n’avait pas était défoncé. À l’intérieur, une fine pellicule de poussière recouvrait les meubles. Rien n’avait bougé. Aucune des membres de ma famille n’était passée.
— Faisons vite, j’aimerais trouver les survivants avant l’aube, lança Kaleb en me dépassant pour s’affaler sur le canapé.
La poussière tourbillonna autour de lui et je l’entendais éternuer.
Je montais quatre à quatre les marches menant à l’étage pour rejoindre ma chambre. Après un instant de flottement, j’ouvrais en grand mes différents tiroirs pour prendre un maximum de mes affaires, priorisant ceux les plus foncés. Une fois mon sac bien rempli, j’y glissais l’un des pistolets récupérés le jour de l’attaque, espérant que quelqu’un saurait me montrer comment m’en servir et je jetais un dernier coup d’œil à la pièce aux murs clairs puis je redescendais.
— Déjà ? demanda le brun.
— Je n’avais que des vêtements à prendre.
— C’est vrai, mais je pensais que tu voudrais rester un peu plus longtemps chez toi.
— Nous avons des survivants à trouver et ce n’est qu’une maison.
Il acquiesça doucement et se leva pour me rejoindre.
Je fermais à clef derrière nous.
— Tu reviendras un jour, disait Kaleb.
Ses paroles résonnèrent comme une promesse dans la rue déserte. Je voulais le croire.
Je lui souriais et, replaçant mon sac, je prenais les devants.
— Nous n’allons pas passer par le grand boulevard, lui disais-je. C’est plus rapide, mais nous serons trop à découvert.
L’autre acquiesçait et nous partîmes.
Je scrutais le ciel à chaque bruit, prêt·e à me cacher au moindre signe d’ange. Je remarquais que Kaleb semblait alerte sur tous les mouvements en général et je lui faisais remarquer.
— Nous en avons déjà parlé, je crois, répondait-il. Le danger n’est pas que dans les airs.
— Pourquoi des humains attaqueraient d’autres humains ? chuchotais-je. Nous devrions nous serrer les coudes.
— Évidemment, d’ailleurs, c’est comme ça que pense Sam. Pourtant, c’est une vision utopiste des humains. Nous sommes capables de n’importe quoi pour survivre.
— Tu as déjà tué un humain.
Ce n’était pas une question, Kaleb ne répondait pas, mais son silence valait plus que des mots. Il l’avait fait.
Nous passâmes le reste du trajet en silence. La lune avançait doucement dans le ciel, éclairant nos pas. Et enfin, le supermarché se dressa devant nous.
Les portes automatiques étaient brisées, le vent s’engouffrait à l’intérieur avec un bruit sinistre.
— J’ai un mauvais pressentiment, lâcha Kaleb.
Nos chaussures crissèrent sur le verre lorsque nous pénétrâmes dans le grand hall. Un petit manège trônait sous la verrière, il n’y avait aucun signe d’occupation.
— Tu es sûr que c’est ce supermarché ? demandait mon compagnon de route.
— C’est ce que Sam m’a dit, oui.
— Dans ce cas-là, tiens-toi prêt·e. Il s’est passé quelque chose ici.
J’acquiesçais en posant ma main droite sur le pommeau de mon arme.
Nous fîmes le tour de la plupart des magasins, sans résultats. La plupart avaient été pilier depuis longtemps. Tout était calme. Nous finîmes par nous enfoncer plus profondément dans le centre commercial, il faisait de plus en plus sombre.
Nous passions devant un magasin de vêtements lorsque mon compagnon s’arrêta brusquement. Il fixait le sol.
— Du sang.
— On est arrivé trop tard ?
Kaleb sortit son épée et pénétra dans la pièce en suivant les traces. Je l’imitais, les muscles tendus, prêt·e à tout. Je comptais bien prouver à Kaleb que je pouvais me débrouiller dans un vrai combat.
Un mouvement à gauche attira mon attention, mais je ne vis rien. Était-ce mon imagination qui me jouait des tours ? Nous nous enfonçâmes dans le dédale de vêtements. Je ne voyais pas grand-chose lorsque Kaleb s’arrêta devant moi, détournant mon attention.
Nous étions arrivés au fond du magasin.
L’odeur était atroce. C’était une odeur que je commençais à connaitre. L’odeur de la mort. Mes yeux s’habituant à l’obscurité, je finissais par comprendre ce qu’il se trouvait devant nous.
Un charnier d’une quinzaine de cadavres.
Tout à coup, un poids vint s’écraser contre mes côtes, me faisant perdre l’équilibre. Je tentais de me rattraper à quelque chose en couinant, mais m’effondrais lamentablement sur un portant de vêtements. Lorsque j’émergeais du tas de tissus et de tubes métalliques pliés, Kaleb était allongé au sol. Quelqu’un se tenait sur lui, une lame menaçant sa gorge.
Nous avions été pris par surprise.
Je ne prenais pas le temps de déterminer de qui il s’agissait et farfouillais dans mon sac pour en sortir le pistolet qui trainait là depuis si longtemps.
— Lâche ton arme, criais-je l’arme à feu pointée vers l’ennemi.
Je ne savais même pas s’il était chargé, mais j’espérais que le bluff suffirait.
L’individu se tourna vers moi et je pus apercevoir son visage émacié entre ses cheveux bouclés. Elle devait avoir l’âge de ma sœur, peut-être moins. Elle était très maigre, comment avait-elle réussi à maitriser Kaleb ?
Ses yeux s’agrandirent en voyant mon arme et, après une légère hésitation, elle lâcha la sienne. Le métal tinta sur le sol alors que Kaleb se dégageait et prenait le dessus.
— Ça va ? demandais-je.
— Oui.
Il reporta son attention sur la jeune fille qui se débattait entre ses mains.
— Elle m’a pris par surprise. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi discret.
Je rangeais le pistolet dans mon sac en acquiesçant.
— Tu es seule ? demandait Kaleb.
L’autre lui lança un regard noir, mais hocha tout de même la tête sans un bruit.
— Merde, on est arrivé trop tard. Qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? De quand date ce carnage ?
Il tourna la tête vers le charnier et ajoutait :
— Ils n’ont pas été tués par arme à feu ni par arme blanche. C’est étrange.
La jeune fille avait arrêté de se débattre. Fronçant les sourcils, elle semblait vouloir dire quelque chose, mais elle paraissait aussi incapable de le faire. Elle ne put que montrer deux de ses doigts.
— Je crois que ça fait deux jours, c’est ça ? Tu es muette ? demandais-je en m’approchant.
Elle hochait de nouveau la tête.
— Ça va compliquer les choses, marmonnait Kaleb avant de s’adresser à moi : Bon, on ne peut pas rester ici. Il faut qu’on bouge.
— Qu’est qu’on fait d’elle ?
— Ça, c’est à elle de voir. Sam t’a bien dit de ramener ceux qui le voulaient, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Alors, il faut savoir ce qu’elle veut.
Le garçon se releva, tenant toujours fermement la fille pour qu’elle ne tente pas quoi que ce soit. Je m’éclaircissais la gorge et lui expliquais :
— Nous faisons partie d’un groupe de résistants. Nous étions venus ici pour aider ceux qui le souhaitent à rejoindre notre quartier. Il ne reste que toi. Tu veux venir avec nous ? Ou tu veux rester ici ?
La deuxième option voulait aussi dire qu’elle devrait continuer à se débrouiller toute seule, mais je n’en rajoutais pas, lui laissant tout le loisir de soulever le pour et le contre dans sa tête.
Elle finissait par nous montrer des doigts en hochant la tête. Elle acceptait de nous suivre.
— Très bien, disait Kaleb. Mais il faut que tu promettes de ne plus essayer de nous tuer.
L’autre souriait pour la première fois depuis le début de notre conversation en acquiesçant. Lorsque le brun la lâcha, elle ramassa tout de même sa lame qui n’était autre qu’un couteau de boucher.
— Allons-y, déclara Kaleb.
Nous nous éloignâmes du charnier et quittâmes complètement le magasin de vêtement pour retrouver la galerie. La jeune fille dont on ne connaissait pas encore le nom fermait la marche. Elle ne semblait pas spécialement triste de quitter ce lieu.
— Nous n’arriverons jamais jusqu’à chez toi avant l’aube, faisais-je remarquer à Kaleb.
— Je sais, nous allons nous réfugier chez toi. Je t’avais dit que tu y retournerais.
Il me lançait un regard en coin et je soufflais. Ce n’était pas vraiment comme ça que j’aurais voulu retourner chez moi et puis je ne pensais pas que ça serait aussi tôt après l’avoir quitté.
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