Chapitre 9

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Nous avions emprunté le même chemin qu’à l’aller sans rencontrer plus de personne ou de créatures qu’à l’aller. Le ciel commençait légèrement à se colorer lorsque nous arrivâmes sur le pas de ma porte.

Nous pénétrâmes une deuxième fois cette nuit dans la maison de mes parents.

La muette s’endormit presque immédiatement sur le lit que je lui proposais, celui de ma sœur.

— Nous devrions dormir à tour de rôle, disait Kaleb. Du moins, toi et moi. Juste au cas où.

Je ne pouvais qu’être d’accord et le brun se proposa pour rester éveiller en premier. Je rejoignais alors mon lit. Les draps froids étaient pleins de poussières, mais je ne m’en formalisais pas et m’endormais presque aussi rapidement que notre nouvelle alliée.

Bien trop tôt à mon gout, je fus réveillé par Kaleb.

Il ne dit pas un mot alors que je sortais des couvertures entièrement habillé·e et équipé·e pour aller me poster dans le couloir sur une chaise qu’il avait installé là. Il ne quitta pas ma chambre et je supposais qu’il avait simplement pris ma place dans mes draps chauds.

Je luttais longtemps contre le sommeil assis·e le plus inconfortablement possible sur la chaise en bois. Je tendais l’oreille, lançais des regards dans l’obscurité comme si je pouvais voir quoi que ce soit, prenant très à cœur mon rôle de guetteur·euse.

— Alors, c’est comme ça que tu surveilles ? me faisait sursauter Kaleb.

Je m’étais endormi·e.

La jeune fille se tenait à côté du brun, me regardant avec de grands yeux intrigués. Je lui souriais et baillais à m’en décrocher la mâchoire.

— Désolé…

— Il ne s’est rien passé, tout va bien, tentait-il de me rassurer.

Nous descendîmes pour rejoindre la cuisine où ne trouvâmes rien à manger à part du pain rassit.

— Une boite de lentilles ça vous va ? demandais-je en sortant la tête d’un placard.

Le ventre gargouillant de la fille me répondait positivement et j’entreprenais de réchauffer notre petit déjeuner. Une fois installé à table, je demandais :

— Comment tu t’appelles ? Moi, c’est Oz, et lui Kaleb.

Elle articula quelque chose comportant un nombre significatif de « i », mais je n’arrivais pas à comprendre.

— Il va falloir trouver un moyen de communiquer, intervenait Kaleb. Je ne sais pas lire sur les lèvres.

La fille mima le fait d’écrire et je me levais pour aller chercher du papier et un stylo.

« Isis » écrivait-elle immédiatement.

— Pourquoi tu nous as attaqués hier ? demandait Kaleb.

« J’ai eu peur. J’aurais dû me cacher, comme avec l’autre. »

— L’autre ?

« Celui qui a tué tous les autres. »

— Ce n’était pas un ange ?

« Un ange ? Vous appelez les créatures comme ça vous ? »

Elle fit une pause, comme réfléchissant à comment tourner sa phrase.

« J’ai cru que c’était une créature, c’est pour ça que je me suis cachée. Je n’ai pas eu le temps de prévenir les autres qu’il était déjà là. Il avait deux grandes ailes blanches dans le dos, mais… »

Nouvelle pause, cette fois c’était plus comme si elle n’était elle-même pas convaincue de ce qu’elle avait vu.

« Il n’avait pas une tête d’oiseau, c’était un humain. Un humain avec des ailes. »

— C’est impossible, lâchais-je.

Pourtant, je sentais qu’Isis ne mentait pas, mais j’espérais qu’elle se trompait.

— Ça expliquerait qu’ils n’aient pas été tués par une lame, disait Kaleb.

Il regarda la jeune fille, hésitant à poser une question, puis jugeant peut-être que c’était inutile, il se ravisa et se leva.

— Il y a encore l’eau courante ici ? me demandait-il.

— Je crois oui, et avec le gaz, tu devrais avoir de l’eau chaude.

— Super, merci. Je vais me laver. Ensuite, nous attendrons la nuit et nous partirons.

Nous acquiesçâmes et, rapidement, nous entendîmes l’eau couler à l’étage.

Isis finissait son assiette en silence, je ne savais pas vraiment comment engager la conversation, alors je me levais aussi pour rejoindre la cuisine et m’occuper en faisant la vaisselle. Bien plus vite que prévu, Kaleb refit son apparition, les cheveux en bataille.

— Isis est partie se laver à son tour. Tu veux de l’aide pour la vaisselle ?

— Non, non. Je finis là. D’ailleurs, je pense que je vais aller chercher des vêtements propres pour Isis.

Il hochait la tête avant de rejoindre le salon où je l’entendais s’affaler sur le canapé. Je m’essuyais les mains sur un vieux torchon et montais.

Dans la chambre de ma sœur, je me demandais ce que je pouvais bien prêter à Isis. J’attrapais les vêtements les plus simples et sombres de la garde-robe colorée, lorsqu’un bruit de verre brisé me mit en alerte.

Je retournais dans le couloir, les sens aux aguets et, depuis le haut de l’escalier, faisais signe à Kaleb en dégainant ma lame qui ne me quittait plus.

L’eau ne coulait plus dans la salle de bain, je m’approchais de la porte sans entendre aucun mouvement de l’autre côté. Était-ce bien de là qu’était venu le bruit ? J’hésitais à toquer ou même à appeler la jeune fille. Avait-elle cassé quelque chose sans faire exprès ou quelqu’un était-il entré par effraction dans la maison ?

Je finissais par murmurer un petit « Isis », tout en sachant qu’elle ne pourrait pas me répondre, mais en espérant qu’elle ouvre la porte. Ce qu’elle ne fit pas.

Je posais ma main sur la poignée et l’abaissais. Elle n’avait pas fermé à clef, ainsi, je me retrouvais nez à nez avec la jeune fille à moitié nue, un bout de verre tranchant à la main, surplombant un homme inconscient ou mort. Au même moment, un gros bruit résonna au rez-de-chaussée et Kaleb hurla quelque chose.

Mon cœur se mit à battre si fort dans ma poitrine que je n’entendais plus rien d’autre.

Je croisais le regard d’Isis qui semblait bien moins paniquée que moi. Son visage était tendu, elle était prête à se battre pour survivre. En témoignait le corps de l’homme à ses pieds. Je n’avais aucun doute sur celui ou plutôt celle qui avait attaqué en premier. Isis n’avait pas laissé à l’homme l’opportunité de s’expliquer.

Je remarquais un pistolet au sol alors que plusieurs coups de feu retentissaient à l’étage d’en dessous.

— Nous sommes attaqués, lançais-je à la jeune fille en essayant d’avoir l’air sûr de moi. Habille-toi et prends ton arme. Nous devons sauver Kaleb et nous enfuir d’ici.

Je lui tournai le dos pour lui cacher ma panique puis m’avançais vers les escaliers. Je pouvais apercevoir plusieurs silhouettes, mais pas plus de détails. Il fallait agir vite, ils semblaient bien trop nombreux pour Kaleb seul.

Pour quiconque inconnu à la maison, les marches en bois de l’escalier grinçaient sous n’importe quel poids. Mais j’étais ici chez moi et je connaissais parfaitement les endroits où poser les pieds pour descendre discrètement.

Des bribes de conversations me parvenaient.

— Donnez-nous vos armes et vos provisions ! Nous vous laisserons la vie sauve ! criait ce qui semblait être le chef de la bande.

— Hors de question ! répondait Kaleb qui essayait de se dégager de la prise de deux hommes.

Ils ne semblaient pas encore m’avoir remarqué.

— Vous n’êtes que trois, dont deux femmes, ne soit pas idiot.

Au mot « femme », je resserrais ma prise sur la garde de ma lame.

— Les ennemis sont les anges, pour quoi ne pas nous entraider ? tenta mon compagnon en ravalant sa fierté.

— Nous entraider ? répéta l’homme en riant. Ridicule. Les anges sont tout puissants, nous ne sommes rien face à eux.

— C’est en pensant ainsi qu’ils le deviennent. Si tous les humains combattaient, nous finirions bien par les avoir !

— La plupart des humains sont faibles. Comment veux-tu combattre les anges si tu n’es pas capable de nous combattre nous ? Tu es faible, mon garçon.

Soudain, je croisais le regard de Kaleb. Je hochais légèrement la tête et il se tourna de nouveau vers le chef, prêt à faire diversion.

— Tu n’es pas si fort que ça, lança-t-il.

— Dis celui qui est immobilisé par mes gars.

— Tes gars ? C’est donc comme ça que vous vous réchauffez le soir ? railla le brun avec l’un de ses sourires en coin.

— Faites-le taire ! ordonna l’homme rouge de colère.

Les hommes de main le plaquèrent au sol, la joue contre le carrelage froid, je croisais de nouveau son regard. Isis m’avait rejointe.

J’arrivais sans un bruit en bas des escaliers, dans le dos d’un des intrus.

Il ne fallait pas que je me laisse le temps de réfléchir, il fallait que je laisse mon corps faire ce qu’il avait appris durant mes entrainements. Alors je lui transperçais le dos avec mon épée.

Le sang chaud coula le long du métal clair jusqu’à la garde qui protégea quelques instants ma main, mais pas plus. Le liquide visqueux m’enroba les doigts, se glissa entre eux et je réalisais ce que je venais de faire.

Mes oreilles sifflaient, ma respiration devenait incontrôlable. Je paniquais.

Cet homme était quelqu’un avant tout ça, surement faisait-il ça juste pour survivre, peut-être faisait-il ça pour sa famille.

Je faisais quelques pas en arrière, mes talons rencontrèrent rapidement la première marche de l’escalier alors que le corps heurtait le sol.

Les grognements de Kaleb qui se faisait cogner me paraissaient si lointains. Je sentais Isis me secouer, mais je n’avais d’œil que pour le cadavre.

Voyant que je ne réagissais pas, Isis s’élança sur le groupe en hurlant.

— Oz ! criait Kaleb. Oz !

Quelqu’un se plaça entre le corps et moi et alors une douleur violente explosa dans ma mâchoire, me ramenant à la réalité. Je ne reconnaissais pas le visage ni le poing qui allait s’abattre de nouveau sur moi. Je me protégeais en levant les bras et la chair rencontra la lame que je n’avais pas lâchée.

L’homme hurla. Je n’avais pas le temps de tergiverser. Le moindre doute et c’était la mort, pour moi et pour mes compagnons.

Alors, je me jetais contre l’homme qui se tenait la main ensanglantée. Le poids, mais surtout mon énergie l’envoya rouler au sol. Je m’apprêtais à l’attaquer de nouveau, lorsque le chef des intrus apparut, arme à feu à la main. Il me visait.

Kaleb ne m’avait pas appris à parer des balles avec une épée, si tentait que cela soit possible. J’étais dans de sales draps.

Il tira et je fus projeté au sol à mon tour.

Je tâtais immédiatement mon gilet par balle à la recherche des projectiles, mais je ne trouvais rien. Je me redressais donc et découvrais Isis, le visage tordu de douleur, non loin. Venait-elle de se prendre une balle pour moi ? On ne se connaissait que depuis une journée.

Elle me fit plusieurs signes ressemblant à des croix ou des « x » et au nombre zéro. Je comprenais alors qu’elle m’indiquait qu’il n’avait maintenant plus de balle. Je hochais donc la tête et me relevais.

Laissant mon regard courir dans la pièce, je repérais Kaleb avachi sur le canapé. Il ne restait debout que le chef. Ce dernier cherchait frénétiquement dans ses poches de quoi m’abattre.

Il ne trouva pas de balle et leva les yeux vers moi, son regard avait changé. Il avait peur. Je ne pus retenir un sourire en commençant à marcher vers lui. L’homme recula jusqu’à percuter un mur.

— Je… pitié…

Le sourire toujours aux lèvres, je posais délicatement la pointe de ma lame sur son cou. Il n’y avait plus rien d’autre qui comptait, seulement cet homme qui avait essayé de me tuer au bout de mon arme. À ma merci. Un seul mouvement de mon bras aurait suffi pour mettre fin à sa vie.

— Oz.

Mon sourire disparut lorsque la voix éraillée de Kaleb me parvint. Les images de l’homme que j’avais tué quelques minutes plus tôt me revinrent en mémoire, je sentais de nouveau son sang sur mes mains. Je baissais les yeux. Il était encore là, séchant sur mon arme et ma peau.

Kaleb s’approcha et écarta doucement la lame du cou de l’ennemi.

— Nous te laissons en vie, fuis et fais courir la nouvelle. La résistance existe et elle compte bien se débarrasser des anges.

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