Chapitre 10

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Kaleb saignait du nez et de l’arcade sourcilière droite. Un hématome de la taille de ma main courait le long de sa mâchoire tandis qu’un de ses yeux était déjà gros comme une balle de pingpong. Il se tenait droit devant moi, mais son corps devait souffrir autant que son visage.

Pourtant, pour le moment, je ne me souciais pas de son état. Celui d’Isis était bien plus inquiétant.

Elle avait été touchée à la cuisse et perdait beaucoup de sang. Kaleb s’occupait de lui faire un garrot alors que je regardais, les bras ballants, ne sachant comment me rendre utile.

— Oz, me lançait le brun. Nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps. Les coups de feu ont dû attirer l’attention et Isis a besoin d’un médecin au plus vite.

— Mais il fait encore jour dehors.

— Nous ne pouvons pas attendre, Oz.

Je hochais la tête en avalant difficilement ma salive avant de dire :

— Je vais chercher nos affaires.

— Prends le minimum syndical. Je vais devoir porter Isis.

J’obéissais et redescendais avec deux sacs que je glissais sur mon dos.

— Donne-moi ça, disait Kaleb.

— Non, tu es blessé, porter Isis sera déjà assez difficile comme ça.

— Tu dois être libre de tes mouvements. Je suis désolé, Oz, mais tu vas devoir surveiller nos arrières.

Je comprenais alors ce que cela signifiait. J’avais la responsabilité de nos trois vies alors même que nous allions sortir en plein jour dans une zone grouillant surement de nombreux anges.

Je jetais un œil à l’extérieur. Il faisait gris, peut-être que le couvert de nuage allait nous protéger un peu ? J’en doutais, mais il fallait sortir. Alors je laissais Kaleb passer devant moi, évitant de poser mon regard sur le visage inconscient d’Isis.

Je me sentais coupable. Si je n’avais pas paniqué, si j’avais fait plus attention, elle n’aurait pas eu à me protéger. Peut-être m’avait-elle sauvé la vie. Peut-être s’était-elle pris cette balle pour rien. Je ne le saurais jamais.

— Ce n’est pas ta faute, Oz. Tu ne pouvais pas savoir. Je ne t’ai pas entrainé à combattre contre des armes à feu, se retournait Kaleb.

— J’aurais dû faire attention, disais-je terminant ce court échange en le dépassant pour ouvrir la marche.

Nous remontâmes ma rue pour rejoindre le boulevard en rasant les murs. Plus qu’à l’accoutumée, à chaque bruit nous nous préparions à devoir faire face à l’ennemi. Bientôt, des alignements d’arbres nous protégèrent un peu plus de la vue du ciel.

— Par où passons-nous, demanda Kaleb derrière moi en chuchotant.

— La vieille ville, comme à l’allée, les rues sont étroites, on devrait moins nous apercevoir depuis le ciel. Mais ensuite, je pense nous faire passer par le petit bois. C’est un peu plus long, mais ça nous permettra de ne pas être à découvert avant de rentrer dans la rue de ta maison.

— Parfait.

Il faisait tout pour le dissimuler, mais j’entendais la douleur dans sa voix. Je ne savais pas à quel point l’homme l’avait frappé et où, mais Kaleb aussi devait voir un médecin au plus vite. Alors, j’accélérais le pas tout en veillant à ne pas trop le pousser.

Nous arrivâmes rapidement dans les ruelles de la vieille ville.

Un mouvement au-dessus des toits, nous fit nous plaquer contre les vieux murs, Kaleb retenant un grognement. Je gardais les yeux plantés dans les nuages. Plusieurs silhouettes semblaient s’éparpiller au-dessus de la ville.

— Ils reviennent de chez toi, murmurait le brun à mes côtés. Ils nous cherchent, il va falloir être très prudent.

— Peut-être devrions-nous nous cacher…

— Isis risque de perdre sa jambe, Oz. Voire pire.

— Je sais, mais…

— Ne finis pas cette phrase.

Le garçon me regardait avec détermination. Il avait deviné la suite de ma phrase, car il y avait pensé lui-même. Si nous nous cachions, Isis mourrait peut-être, mais nous nous serions en vie. Or, il avait raison, nous ne pouvions pas l’abandonner. C’était ce qui nous différenciait des anges, notre humanité.

Je hochais la tête et reportais mon attention vers le ciel.

— Avançons.

La traversée de la vieille ville fut plus simple que prévu et, bientôt, nous arrivâmes à l’entrée du bois. Une fois sous les arbres, je me concentrais complètement sur la route à suivre. Je n’étais jamais allé chez Kaleb et Sam par ce chemin, mais j’avais un sens de l’orientation plutôt correcte, ainsi j’avançais. De temps en temps, entre deux respirations difficiles, Kaleb intervenait pour me rediriger légèrement.

En plus de son souffle, ses pas semblaient plus incertains dans mon dos. J’entendais ses pieds cogner contre des racines ou des pierres qu’il aurait pu éviter. Je m’inquiétais, mais s’arrêter n’aiderait en rien au milieu des arbres alors même que le danger semblait plus loin ainsi protéger pour les feuillages.

L’orée de la forêt arriva pourtant rapidement, l’heure pour nous de nous engager de nouveau sous le ciel. Le soleil approchait doucement de l’horizon, créant de grandes ombres lorsque nous sortîmes avec précaution du couvert des arbres.

— La voie à l’air libre, disais-je en me retournant vers mon compagnon pour vérifier son état.

Son œil avait cessé de gonfler, mais il semblait épuisé. Son visage crispé ne pouvait plus cacher la douleur et alors que j’allais demander si ça allait, il ouvrit la bouche les yeux exorbités :

— Derrière toi !

Je me retournais vivement et dégainais juste à temps pour parer un violent assaut. Je croisais alors le regard jaune d’un ange. Son bec s’ouvrit doucement et demanda :

— Où as-tu trouvé une lame angélique, petit insecte ?

— Sur le cadavre de l’un d’entre vous ! rugissais-je en poussant de toutes mes forces pour l’éloigner des blessés qui se trouvaient derrière moi.

Il ne bougea qu’à peine, mais je devais protéger coûte que coûte les blessés.

— Kaleb ! Retourne dans le bois ! criais-je en continuant de pousser de toutes mes forces.

Il sembla hésiter, mais finissait pas clopiner pour se mettre à couvert en disant :

— Fais attention, et surtout, essaie de survivre.

Du coin de l’œil, je le vis disparaitre avec Isis entre les buissons et les troncs et je me reconcentrais sur mon adversaire.

Nous nous écartâmes et je me mettais en position, bien décidé à survivre en utilisant ce que j’avais appris pendant mes entrainements avec Kaleb.

Il attaqua alors, balançant violemment sa lame contre la mienne, créant une pluie d’étincelle et me faisant reculer significativement. Ses pieds ne touchaient pas terre, il restait dans son élément, le ciel. Il fallait que je le cloue au sol.

La créature ne cessait d’esquiver mes attaques, s’envolant toujours hors de portée. Il jouait avec moi. Je commençais à désespérer et à fatiguer. Alors, lorsqu’il attaqua de nouveau, je fis quelque chose de désespéré.

Je laissais sa lame me transpercer l’épaule gauche, j’attirais alors la créature contre moi et plantait un couteau de cuisine dans son pied nu. L’acier traversa la chair et se figea dans le sol. Il cria de douleur et j’en profitais pour retirer l’arme qui se trouvait encore dans mon épaule en grognant avant de faire une roulade pour m’éloigner du volatile.

L’adrénaline faisait son effet, je ne sentais que très peu la douleur, mais le sang coulait à flots. Mon bras gauche ne me serait plus d’aucune utilité. Mais il ne fallait pas que je tarde.

Alors je ne laissais aucun répit à l’ange et me jetais sur lui. L’épée et toute ma concentration tendue vers son torse, je ne voyais donc que trop tard ses ailes qui me percutèrent. Je roulais au sol, mais me relevais rapidement. Peut-être trop tard. Il s’était libéré et arrivait à pleine vitesse sur moi.

J’esquivais de justesse, la pointe de sa lame me lacéra le haut du front. Le sang coula dans mon œil droit. Je ne voyais plus grand-chose, mais décidais d’attaquer quand même. Il ne para pas, mettant ses ailes entre l’acier et sa chair. Je souriais, mon arme n’allait faire qu’une bouchée de ses plumes.

Pourtant, le métal rebondit sur le plumage et je perdais l’équilibre.

J’avais commis une erreur. Je l’avais sous-estimé. J’avais été trop confiant·e.

La lame angélique me transperça le ventre. Je tombais au ralenti, glissant le long de l’épée.

— Oz ! hurla quelque part Kaleb.

J’entendais le tintement de mon arme qui heurtait le sol avant moi.

Quelqu’un courrait vers moi, était-ce Kaleb ? Tout était trouble. Peu importe qui c’était, j’avais envie de lui dire de fuir le plus loin d’ici. Mais mon corps ne répondait plus. L’air ne passait plus dans mes poumons, mon cœur battait au ralenti. Je n’avais pas mal, je ne ressentais plus rien.

L’obscurité m’enveloppa alors, il ne me restait plus que les sons. J’entendais quelqu’un se battre difficilement contre la créature qui m’avait eu. Il y eut alors un bruit de chute et un hurlement de douleur. Humain. Kaleb.

Un bruit de verre cassé attira alors le peu d’attention qu’il me restait. Un cri inhumain retentit ensuite, suivi d’une odeur de brûlé.

Tout redevint rapidement calme, j’entendais le vent caresser les feuilles dans les arbres. Je glissais doucement dans l’inconscience, en paix.

— Amenez-les, et n’oubliez pas l’épée d’Oz, ordonna quelqu’un si loin.

— Kendra ! Il y a quelqu’un d’inconscient dans les buissons. C’est une jeune fille.

— Emmenez-la aussi. Elle doit être avec eux.

— Et le cadavre de l’ange ?

— Laissez-le ici, je vais relancer le feu.

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