Chapitre 11
Inspirer. Expirer. Plus facile à dire qu’à faire lorsque vous avez été transpercé de part en part, si vous voulez mon avis. Ce furent les premières pensées qui me vinrent à l’esprit lorsque je repris connaissance.
Je me souvenais de tout.
— Ça ne doit pas être beau à voir, pensais-je à voix haute en tâtant mes bandages au ventre et à la tête.
— Je te le confirme, me répondait une voix féminine près de la porte.
— Kendra ! Tu m’as fait peur.
— Tu n’as pas à avoir peur, c’est moi qui ai refermé le trou que tu avais dans le ventre.
Je me rappelais alors qu’elle était, avant tout ça, étudiante en médecine.
— Merci, disais-je.
— Il faudra aussi remercier le docteur que j’ai assisté, monsieur Dubois, et les jumeaux, ils ont fait don de leur sang pour ton opération.
Au bout du couloir, j’entendais quelqu’un demander :
— Comment vont-ils ?
— Kendra serait arrivée cinq minutes plus tard, ils seraient tous morts. Donc on peut dire que pour la situation, ils vont plutôt bien. L’opération d’Oz a été éprouvante. Heureusement, aucun organe vital n’a été touché. Oz ne devrait pas tarder à se réveiller.
— Et Kaleb ? Et la fille ?
— Votre frère est réveillé et n’arrête pas de me harceler pour que je l’autorise à venir voir Oz. Quant à l’inconnue, il m’a dit qu’elle s’appelait Isis. Sa blessure par balle lui a fait perdre beaucoup de sang, mais elle se remet bien. Elle aussi ne devrait pas tarder à se réveiller.
— Tenez-moi au courant, j’aimerais lui parler au plus vite. Je vais aller voir mon frère, il doit avoir beaucoup de choses à me raconter.
Je reportais mon attention sur la brune qui me fixait avec attention.
— Que s’est-il passé après que-hum, lorsque j’ai perdu connaissance ?
— Kaleb a été blessé, il semblerait qu’il était déjà en sale état ? Nous sommes arrivés à temps.
— C’est toi qui as abattu l’ange.
Ce n’était pas une question. Je me souvenais de ce que j’avais entendu, je me souvenais de l’odeur de chair brûlée.
— J’ai parlé à Kaleb, tu n’as rien à te reprocher. L’ange vous a eu par surprise. Et puis ça a été à mon tour de le surprendre, c’est tout.
— Quand pourrais-je voir les autres ? Et me lever ? Et reprendre mes entrainements ?
— Doucement ! Tu as failli mourir, tu sais. Il va te falloir plusieurs semaines de repos.
— Je ne peux pas rester alité plusieurs semaines.
— Tu n’as pas le choix.
Elle se décolla de l’encadrement de la porte et commença à s’éloigner dans le couloir.
— Kendra ! Pourquoi ai-je un pansement sur l’œil ? Je ne me souviens pas d’avoir été blessé à cet endroit.
Elle se retourna et, avec un sourire qui se voulait rassurant, me dit :
— Le docteur Dubois et moi-même trouvions que ton œil gauche était étrangement rouge. Peut-être cela vient du sang qui a coulé de la plaie de ton front. En tout cas, le docteur a préféré le protéger de la lumière en attendant que la rougeur disparaisse.
L’explication me sembla tout d’abord un peu vaseuse, j’aurais pu jurer que c’était mon œil droit qui avait était touché par mon sang, mais j’acquiesçais tout de même. La brune s’en alla alors pour de bon, me laissant seul·e dans mes pensées. Je n’avais qu’une envie, me lever. Mais c’était sans compter le fait que chaque respiration était un supplice. Pour échapper à la douleur, je finissais par m’endormir, plongeant dans un monde rempli d’ange et surtout de sang.
Mes mouvements étaient si lents, si faibles. L’air autour de moi semblait presque solide, rendant ma respiration chaotique. Tout était rouge, poisseux tandis que j’avançais péniblement le long de ce qui ressemblait à un tunnel. Autour de moi voltigeaient des formes, tout aussi rouges.
Tout à coup, les formes accélèrent leurs mouvements. Quelque chose d’anormal se passait.
Pris·e de panique, j’essayais de courir, mais mes membres étaient comme enlisés dans des sables mouvants. Je ne pouvais aller plus vite.
La chaleur augmenta et les formes ne devinrent plus que des lignes floues, fuyant quelque chose qui se trouvait dans mon dos. J’étais incapable de tourner la tête.
La douleur m’avertit que la chose était arrivée jusqu’à moi. Elle m’attrapa d’abord le pied le plus en arrière, puis remonta le long de ma jambe avant d’atteindre mes hanches puis mon torse. Comme nageant dans de la lave, je continuais d’avancer malgré tout. Autour, le rouge devenait de plus en plus sombre. La chose glissa autour de mon cou et je hurlais, mais aucun son ne semblait pouvoir exister dans cet endroit. Profitant de mon cri muet, la chose se glissa dans ma gorge. La douleur atteint alors son paroxysme.
Je n’étais plus que douleur et tout était maintenant noir autour de moi.
— Oz ! Oz ! Tu m’entends ?! criait une voix familière.
— Ça y est, iel ouvre les yeux ! s’exclama Sam.
Les jumeaux étaient penchés au-dessus de moi. Nous nous trouvions dehors. Ma gorge me faisait souffrir, tout mon corps me faisait souffrir.
— Qu’est-ce qu’on fait là ? croassais-je.
— Tu as fait une sorte de crise, tu hurlais à t’en déchirer la gorge. Tu étais brûlant·e de fièvre. J’ai paniqué, expliquait Kaleb en jetant un regard à son frère. On a paniqué. On t’a fait sortir pour prendre l’air et te voilà réveillé.
— Tu as mal quelque part ? demandait Sam. Kendra est partie chercher le docteur Dubois et a prévenu les guetteurs que tes cris n’étaient pas dus à une attaque d’anges.
— Partout, grimaçais-je.
Les deux bruns se regardèrent et Sam me souleva pour me ramener à l’intérieur. Il traversa le rez-de-chaussée, grimpa les escaliers et s’engagea dans le couloir. Nous passâmes la porte de ma chambre, et je demandais :
— Ma chambre ?
— Tes draps sont trempés de sueur. Kaleb t’a gentiment cédé son lit pour la nuit, il va dormir avec moi.
Je ne disais rien, je m’en voulais de les avoir réveillés au milieu de la nuit. Un ange aurait pu m’entendre et nous attaquer. Même endormi·e, je leur faisais courir des risques, j’étais un poids. Et je devais rester alité des semaines entières. Jamais je ne retrouverais ma famille en vie.
Sam me déposa doucement dans le lit de son frère. Voyant que je broyais du noir, il s’asseyait à mes côtés.
— Tout va bien ?
— Non. Rien ne va, Sam.
— Je sais. Je suis désolé, je n’aurais pas dû t’envoyer en mission aussitôt. Kaleb avait raison.
Je ne savais pas quoi répondre. Nous avions tous les deux eu tort.
Le docteur et Kendra arrivèrent pour mettre un terme au silence qui s’était installé. Sam se leva et disparut derrière les deux nouveaux venus.
Ils m’auscultèrent sans rien trouver de spécial. J’avais un peu de fièvre, mais pas plus que prévu après une telle opération dans ce genre de condition. Ma plaie ne s’était pas rouverte. Mes bandages, que ce soit sur la tête ou le ventre n’avait pas bougé.
— Je crains que nous ne puissions pas faire grand-chose, disait le docteur. Ce que tu viens de vivre ressemble à une terreur nocturne probablement amplifiée par la fièvre. Tu as vécu un traumatisme, Oz. C’est normal de faire des cauchemars, c’est normal d’avoir peur, de paniquer. N’hésite pas à en parler. Les jumeaux sont là, Kendra aussi.
Cette dernière acquiesça avec un sourire se voulant rassurant.
— Il ne faut pas que ça reste à l’intérieur, ajoutait l’homme.
Je hochais la tête tout en sachant que j’aurais bien du mal à parler. Puis, ils s’en allèrent, me laissant seul·e dans la chambre de Kaleb. Tout était bien rangé, pas une seule chaussette ne trainait par terre. Les murs bleus m’apaisaient.
Contre le mur qui se trouvait en face de moi se dressait une grande étagère remplie de livres divers. À côté, où la lumière du soleil devait frapper l’après-midi, avait été mis le bureau. Une simple planche sur deux tréteaux qui semblaient pouvoir se régler pour pouvoir s’incliner. Dessus, comme abandonné en plein travail, se trouvait des crayons, des feutres et même une plume et de l’encre. De loin, je pouvais aussi voir que plusieurs feuilles blanches avaient été remplies de dessins en tout genre. Ainsi, Kaleb savait dessiner.
Je remontais les draps gris jusqu’à mon menton, tendais le bras et, après une légère hésitation, j’éteignais la lumière. L’obscurité m’enveloppa. Les yeux ouverts dans le noir, je luttais pour ne pas laisser mon cerveau imaginer tout ce qui pouvait se cacher autour de moi.
Au bout de seulement quelques minutes, je retendais la main, pour rallumer la lumière à l’aveugle et chasser les ombres.
Rien à signaler.
Je reprenais doucement le contrôle de ma respiration lorsque la porte s’entrouvrit. Je sursautais.
— Oz ? Tout va bien ? J’ai vu la lumière depuis le bout du couloir, disait Kaleb.
— Oui, oui. Désolé. Tu ne dors pas ? demandais-je.
— Non, je ne dors jamais beaucoup.
— Cauchemars ?
— Entre autres, oui, avoua-t-il contre toute attente. Bon, si tout va bien, je vais te laisser.
— Non ! m’exclamais-je sans vraiment savoir pourquoi.
— Comment ça, non ?
— Je euh… si on n’arrive pas à dormir tous les deux, on pourrait se tenir compagnie, improvisais-je.
Il entra alors complètement dans sa chambre en clopinant sur ses béquilles. Il les déposa contre sa chaise de bureau puis s’étala de tout son long sur le côté extérieur du lit, m’obligeant à me rapprocher du mur en grognant.
— Pardon, murmurait-il.
Nous restâmes silencieux un long moment, ne sachant quoi dire. Fixant le plafond, le brun finit par demander :
— C’était quoi ton cauchemar ?
— Lequel ?
— Celui qui t’a fait hurler de terreur.
Je lui racontais alors le plus fidèlement possible les sensations que j’avais ressenties. Cette impression d’être dans un tunnel envahi par quelque chose, ma lenteur. Et surtout la douleur.
— Étrange.
— En tout cas, il est très confortable ton lit, je crois que je vais le squatter toutes les nuits.
— Il faudra alors le partager avec moi, je ne compte pas rester dans la chambre de Sam toute ma vie, plaisanta-t-il.
Je lui souriais, c’était vraiment agréable de parler un peu en dehors de nos entrainements. Pourtant, je finissais par céder au sommeil. Et lorsque je me réveillais d’un sommeil sans cauchemars, Kaleb n’était plus là. Avais-je rêvé notre discussion ?
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