Chapitre 12

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Kendra se tenait en retrait, l’air soucieux, alors que le docteur Dubois m’auscultait. Elle l’avait appelé alors qu’elle changeait mes pansements.

— Alors ? demandais-je.

— Alors, tu as une cicatrisation très rapide. Trois semaines ont passé depuis ton opération, c’est ça ?

Kendra acquiesçait en même temps que moi.

— Au vu de ta cicatrisation, on pourrait croire que cela fait le double de temps, continuait-il. C’est remarquable.

— Ça veut dire que je vais pouvoir reprendre les entrainements ? demandais-je.

— Il faudra encore faire attention, nous ne savons pas l’état de la blessure à l’intérieur, mais oui. Tu peux reprendre l’exercice.

Je retenais un soupir de soulagement, ces dernières semaines avaient été interminables.

— Et mon œil ?

— Et, bien, je vais être honnête avec toi, je n’ai jamais vu ça. Certes, je ne suis pas ophtalmologue, mais il semble que ce soit ton iris qui ait changé de couleur. Pourtant, cela me parait impossible. Je te conseille de garder le pansement pour le moment. Qui sait, peut-être que cela va se résorber tout seul.

— Vous avez pu voir Isis ? Son mutisme est permanent ou… ?

Je ne finissais pas ma phrase, ne sachant comment la formuler.

— Je pense que tu devrais en discuter avec elle. Ses cordes vocales sont intactes.

J’acquiesçais doucement, comprenant ce qu’il essayait de me dire. Isis devait avoir vécu des choses terribles.

Le médecin et son apprentie me laissèrent seul·e. Je me rhabillais rapidement avant de descendre, bien décidé·e à annoncer à Kaleb que nous pouvions reprendre les entrainements.

Je le trouvais dans la cuisine. Il se faisait un sandwich dont les ingrédients me paraissaient bien douteux.

— Confiture d’abricot et thon en boite, le meilleur mélange du monde, disait sans se tourner vers moi.

Il ne put donc pas voir la grimace de dégoût dont je gratifiais son casse-croûte. La chose en main, il finissait par se retourner pour me faire face. Appuyé sur le plan de travail, il croqua dedans, me faisant grimacer de nouveau.

— Tu veux goûter ? demanda-t-il.

— Non, merci.

— Tu rates quelque chose, tu sais.

— Je n’en doute pas, lui répondais-je en retenant un rire moqueur.

— Tu me cherchais ? changea de sujet le brun.

— Oui, nous pouvons reprendre les entrainements.

— Qu’a dit le docteur ? Précisément.

Je me taisais quelques secondes, le faisant hausser un sourcil, l’air de dire : « alors ? »

— Que je devrais faire attention… soufflais-je.

— Donc nous ne reprendrons pas tout de suite.

— Mais… commençais-je.

— Tu as été transpercé, Oz. Je ne te ferais pas cours tant que tu ne seras pas entièrement guéri·e, me coupa le jeune homme.

— Je suis guéri·e.

— Un entrainement sans y aller à fond ne sert à rien. Fais ce que tu veux de ton côté, mais ça sera sans moi.

— Très bien ! m’exclamais-je en me dirigeant vers la porte. Je vais me débrouiller.

Je traversais en trombe le rez-de-chaussée et manquais de heurter Isis. Une idée fit alors son apparition dans ma tête.

— Isis, ça te dirait de t’entrainer au combat avec moi ?

Elle haussa les épaules avant de montrer mon ventre et sa jambe.

— Oui, je sais. On doit faire attention, mais justement. Vu qu’on doit tous les deux faire attention, on peut surement s’entrainer ensemble. Qu’est-ce que t’en penses ? On ira doucement, argumentais-je avec un sourire complice.

Elle me souriait à son tour et hocha la tête.

— Super ! Attends-moi là, je vais chercher mes affaires.

Je grimpais quatre à quatre les marches et arrivais en tel une tornade dans ma chambre. J’attrapais mon épée et mon gilet par balle. J’enfilais ce dernier puis repartais dans l’autre sens pour retrouver Isis au même endroit.

Nous descendîmes au sous-sol que je lui fis visiter rapidement avant de nous installer dans la salle d’escrime. Je tendais à la jeune fille une des lames qui trainaient dans la salle.

— Nous demanderons à Sam de te donner une meilleure arme plus tard.

Je montrais à Isis comment se positionner et enfin, nous nous mîmes en place.

Elle se tenait devant moi, la pointe de sa lame tendue devant elle. J’avais l’impression de me revoir lors de mon premier entrainement avec Kaleb. À la pensée du brun, je serais les dents. Pourtant, je savais qu’il avait raison, mais j’étais têtue, probablement autant que lui d’ailleurs, et nous commençâmes l’entrainement.

Nous nous étirâmes, faisant des mouvements dans le vide puis reprenant de temps en temps notre position de départ.

— Ça te va si on commence par toi qui défends et moi qui attaque ? lui demandais-je.

Encore une fois, elle hocha la tête et, une fois qu’elle me parut prête, je m’élançais. L’air concentré à l’extrême, la jeune fille prenait l’exercice très au sérieux, au point de me faire lâcher un petit sourire. Pourtant, lorsque ma lame heurta la sienne, elle ne para pas assez vite et j’arrêtais mon mouvement de justesse.

— On recommence, ne t’inquiètes pas ce n’est que le début.

La fois suivante, le métal croisa le métal et je lui souriais avant de lui dire :

— Il faut que tu fasses attention. Ton arme a trop reculé vers toi. Elle est à double tranchant, si j’avais frappé plus fort, elle se serait plantée dans ton épaule.

Me faisant signe qu’elle avait compris, Isis ajusta sa position et raffermit sa prise sur le pommeau.

Nous enchaînâmes les exercices sans nous soucier du temps qui s’écoulait. La nuit arriva donc rapidement. J’allumais de nouvelles bougies lorsque je me figeais. Était-ce le briquet que je tenais qui dégageait autant de chaleur ? Il faisait si chaud tout à coup.

La brune se tenait un peu plus loin, attendant que je finisse pour reprendre. Pourtant, je ne pouvais la rejoindre, mon corps ne répondait plus.

Voyant que quelque chose clochait, Isis laissa tomber son arme et accourut vers moi. Elle attrapa le briquet encore allumé qui s’éteignit lorsque je ne fus plus à son contact. Ce n’était donc pas la source de la chaleur extrême dont je semblais être lae seul·e à ressentir.

Incapable de lui dire ce qu’il n’allait pas, je lui jetais des regards paniqués. « Va chercher quelqu’un ! » avais-je envie de lui crier.

La chaleur semblait venir de ma blessure. J’avais l’horrible sensation que celle-ci bouillonnait. Sans le soutien de mon apprentie improvisée, je me serais surement affalé au sol. Aucune douleur ne traversait mon corps, seulement cette même impression que dans mon cauchemar. Comme si l’air devenait solide, comme s’il ne voulait plus entrer dans mes poumons.

La jeune fille finissait par m’allonger délicatement au sol avant de me faire signe qu’elle allait chercher quelqu’un.

« Enfin. » pensais-je avec soulagement.

Respirant un peu mieux ainsi, je fermais les yeux pour me calmer. Mes cheveux collaient à mon front et à ma nuque. Je transpirais à grosse goutte. Pourtant, je me sentais presque bien. J’essayais donc de bouger pour essuyer mon visage d’un revers de la main. Mon pansement à l’œil était à moitié décollé, je tirais dessus avec une grimace.

J’ouvrais les yeux, des pas précipités approchaient.

Pourtant, ce n’est pas cela qui m’alarma et me fit me redresser vivement. La lumière tremblotante des bougies coulait comme de la cire chaude sur le sol. Habituellement recouvert de matelas bleu foncé, le sol s’imbibait de rouge. Assis·e, je reculais, paniqué·e, et heurtais le mur du fond.

Froid et un peu rugueux, il détourna mon attention quelques instants de la masse visqueuse. Lorsque je regardais de nouveau, tout était normal.

— Oz ? résonna une voix dans le couloir.

Super, Isis avait ramené la seule personne que je ne voulais pas voir.

Sa silhouette se détacha dans l’encadrement de la porte et tout redevint rouge autour de moi. Un sentiment de danger s’empara alors de moi, brouillant mon esprit.

L’homme s’approchait, mais ce n’était pas Kaleb. Il s’accroupit devant moi, me permettant de voir ces yeux diaboliques. Il n’avait pas de visage, seulement deux trous flamboyants. J’eus un mouvement de recul, mais me cognais contre le mur, m’égratignant le dos à travers mon t-shirt.

— Oz ? demanda la voix rauque.

Ma respiration s’accéléra et, avec une vitesse incroyable, j’attrapais mon couteau, qui était encore glissé dans son étui dans le dos de mon gilet par balle, avant de me jetais sur l’ennemi.

Tout devint noir et le goût ferreux du sang m’emplissant la bouche me ramena à la réalité.

J’avais les dents fermement plantées dans la chair de quelqu’un. Surpris·e, je m’écartais brusquement, mais fut retenu par le poignet. Dans ma main droite, je serais toujours mon couteau. La lame avait été arrêtée à quelques centimètres du torse du jeune homme qui me tenait.

Je croisais son regard redevenu bleu. Kaleb.

Les yeux exorbités, je lâchais l’arme qui se planta dans le sol matelassé. Je ne pus m’empêcher de regarder où je l’avais mordu. Le sang maculait le col de son t-shirt blanc. Comme un vampire l’aurait fait, je m’étais jeté sur son cou nu et l’avais mordu jusqu’au sang.

Je bredouillais quelques syllabes désordonnées avant de croiser de nouveau son regard. Il ne laissait rien transparaître, pas même de la douleur. Il me lâcha enfin et je reculais vers le mur avant de me lever doucement. Je remarquais alors la présence d’Isis, elle me regardait avec ses yeux étranges, comme si elle ne savait pas comment juger la situation.

Je faisais quelques pas, contournant le jeune homme sans un mot. Il ne bougea pas et une fois dans le couloir je l’entendis dire :

— Ne lae suit pas, Isis.

D’un pas rapide, je gravissais les marches deux à deux. Arrivé au rez-de-chaussée, je croisais Sam, mais ne le laissais pas le temps de me parler. Je continuais mon ascension et me dirigeais déjà vers l’étage suivant. Toujours aussi vite, voire peut-être même plus, je traversais le pallier pour aller m’enfermer dans la salle de bain.

Seul·e, sous la lumière blanche, je m’observais quelques instants dans le miroir. L’ampoule accentuait mon teint pâle, contrastant avec le sang du brun qui maculait mon menton, quelques gouttes étaient même arrivées jusqu’à mon propre cou.

Mais ce ne fut pas ce qui me marqua le plus. Je voyais pour la première fois mon œil infecté. Or il n’avait absolument pas l’air infecté, au contraire. Plein de vie, où en tout cas autant que mon œil marron, l’iris était juste devenu rouge. Et si c’était lui qui me faisait voir toutes ses horreurs ?

À bout de nerf, je laissais échapper quelques larmes, toutes venant de mon œil droit, le marron. L’autre ne s’humidifia même pas.

— Oz ? Est-ce que ça va ? demandait la voix étouffée de Sam par la porte.

Ainsi, il m’avait suivi, lui.

— Je suis avec Kendra, elle veut t’examiner.

— Pourquoi ? demandais-je méfiant·e en séchant ma joue humide.

— Kaleb nous a dit que tu avais fait une sorte de crise, répondait la jeune femme.

— Comment va Kaleb ? demandais-je en sentant les larmes monter de nouveau.

— Bien, je lui ai fait un pansement.

Je posais la main sur le verrou, prenais une grande respiration et ouvrais. L’œil à la vue de tous, essayant de ne pas avoir l’air trop désespéré·e, je demandais :

— Kendra, qu’est-ce qu’il m’arrive ?

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