Chapitre 13
La jeune docteure m’avait allongée dans mon lit après avoir congédié Sam. Je n’avais pas pu voir Kaleb. Kendra me tendit un comprimé et un verre d’eau que j’avalais d’un trait sans un mot. Les yeux plantés dans les siens, j’attendais qu’elle me dise quelque chose, n’importe quoi qui pourrait répondre à ma question.
— Je ne sais pas ce qu’il t’arrive, Oz. Je suis désolé, souffla-t-elle en détournant le regard. Je pense qu’il te faut du repos, tu n’aurais pas dû reprendre les entrainements aussi vite.
Je restais silencieux·se, persuadé qu’elle me cachait quelque chose. Le cachet commençait à faire effet, mes paupières devenaient lourdes, mon cerveau tournait au ralenti.
— Je t’ai donné un somnifère, tu devrais passer une bonne nuit, enfin journée, continua Kendra. Je vais refaire ton pansement à l’œil pendant que tu t’endors.
Elle s’approcha et je fermais les yeux. Le lit ploya sous son poids lorsqu’elle s’assit. Le contact de ses doigts et du pansement me paraissait très lointain tandis que ma respiration se ralentissait. Et je m’endormais sans l’entendre quitter la pièce.
Je ne fis aucun cauchemar, mais aussi aucun rêve et, en un claquement de doigts, on me secouait sans ménagement. Quelle heure était-il ? Depuis quand dormais-je ? J’avais l’impression de ne pas être vraiment reposé. Je bredouillais quelque chose, mais le somnifère faisait encore effet et ma tentative de communication ressembla plus à un gargouillis qu’autre chose.
— Chuuuut !
Comment ça « chut » ? C’était ellui qui était venu me réveiller. J’entrouvrais mon œil et reconnaissais Isis. Elle articula quelque chose rapidement, mais le cerveau embrumé je ne sus déchiffrer ce qu’elle essayait de dire.
— Isis, je dors là… il est quelle heure ? marmonnais-je.
Elle ouvrit de nouveau la bouche avant de se figer. Un craquement avait retenti au-dessus de nous. La jeune femme semblait sur le qui-vive, la main sur la taille où devait se cacher une arme. Il se passait quelque chose.
— Que se passe-t-il ? demandais-je en chuchotant le plus bas possible. Où sont les autres ?
Elle sembla rassurée que je me réveille un peu. Alors elle montra le plafond et mima des ailes.
Maintenant parfaitement réveillé, je sortais de mon lit le plus discrètement possible. Mais lorsque je voulus me mettre debout, mes jambes n’étaient pas encore réveillées, elles. Sans l’aide de la métisse, je me serais très certainement écrasé sur le plancher.
— Merci, chuchotais-je.
J’attrapais mon arme et elle me guida silencieusement le long des couloirs sombres de la maison. À chaque craquement, nous nous arrêtions, prêtes à tout. Nous finîmes pourtant par atteindre le sous-sol puis la salle d’entrainement où nous attendaient les jumeaux et Kendra.
Personne ne dit mot et j’évitais soigneusement le regard de Kaleb avant de glisser le long d’un mur pour m’asseoir au sol. Les genoux regroupés entre mes bras, je fixais un point indéterminé de l’autre côté de la pièce.
Isis avait surement posé une question en silence, car Sam prit la parole :
— Ne t’inquiète pas pour les autres maisons, ils se sont tous cachés comme nous. Nous avons l’habitude.
Il y eut un long silence, tous guettaient les bruits de l’extérieur.
— Comment avez-vous prévu l’arrivée des créatures ? demandais-je d’une voix éraillée, faisant sursauter les autres.
— Nous avons des sentinelles, dès qu’elles repèrent quelque chose, je suis prévenu par talkie-walkie et je préviens les autres maisons, expliqua finalement Sam.
Kaleb n’avait toujours pas dit un mot. Adossé au mur opposé au mien, il me fixait. Je le voyais dans un coin de mon champ de vision, mais n’osais pas tourner le regard vers lui. Je ne voulais pas voir le pansement qui dépassait surement de son t-shirt.
Il faisait jour dehors, un léger rayon perçait jusqu’à nous. Il se déplaçait très doucement alors que l’heure tournait, mais toujours aucune nouvelle de l’extérieure. Aucun bruit n’arrivait jusqu’à nous. Les anges étaient-ils partis ? Allions-nous rester sous terre toute la journée ?
— Tu peux dormir si tu veux, Oz, chuchota Kaleb.
À quel moment s’était-il rapproché ? Le brun était exactement dans la même position, mais adossée à mon mur. Oui, c’était sa maison, mais là, c’était mon mur et le sien était en face.
Je jetais un regard dans sa direction avant de me reconcentrer sur la pièce, Isis s’était endormie. Kendra lisait et Sam avait les yeux perdus dans le vide, comme moi.
— Je ne t’en veux pas, tu sais.
Je ne répondais pas. J’avais eu tort, j’aurais dû l’écouter et on le savait tous les deux.
Il glissa le long du mur pour s’asseoir à côté de moi.
— Ça va ?
— Ça peut aller.
— Tu sais, ça devrait être moi qui devrais bouder, pas toi.
— Je ne « boude » pas, m’indignais-je.
— Alors quoi ?
— Je…
— Tu ? m’incitait-il.
— J’ai vu des choses perturbantes pendant ma crise. Est-ce que tu penses que les démons existent ?
— Il y a bien des anges, répondit-il en haussant les épaules.
— Oui, mais ils ne sont pas vraiment comme je me les imaginais.
— Moi non plus. Des têtes d’oiseau ? Franchement, dit-il un peu fort.
— Chuuut, fit Kendra qui avait relevé la tête de son livre pour nous lancer un regard noir.
— Désolé, chuchota le garçon.
Il se tourna vers moi et souriait :
— Peut-être que les démons ont des têtes de mouton.
— N’importe quoi ! C’est bien connu, les démons sont des chèvres voyons, riais-je.
— Chuuuuuuut, répéta Kendra.
— Désolé, chuchotais-je à mon tour.
Nous nous taisions, un sourire aux lèvres. Je me sentais mieux. Kaleb semblait aussi bien moins fermer depuis notre retour de mission, mais en opposition, je n’avais pas parlé et ris avec Sam depuis bien longtemps. Je lui jetais un regard, il semblait inquiet. Les mains serrées autour de son talkie-walkie, il fixait le sol devant lui.
Il se leva brusquement lorsqu’un bruit de vitre brisée résonna au-dessus de nous.
Tendu comme la corde d’un arc, plus personne ne semblait respirer. Quelqu’un ou quelque chose était-il entré dans la maison ?
À côté de moi, Kaleb, une lame à la main, se levait doucement. Il fit signe à Kendra qui dégaina à son tour. Ils se dirigèrent en silence vers les escaliers. Je faisais mine de les suivre, mais Kendra me lança un regard qui m’arrêta net. Après ma crise, il était hors de question que je combatte.
Sam les regarda partir et je demandais :
— Tu n’y vas pas ?
— Nous ne savons pas ce qu’il se passe, ils n’ont pas besoin de moi pour le moment.
Je fronçais les sourcils et me rapprochais de lui. Isis dormait encore.
— Je ne t’ai jamais vu combattre.
— Si un jour tu me vois combattre, c’est soit que la résistance est en grand danger, soit que nous sommes enfin prêts à contre-attaquer, disait-il avec aplomb.
Puis il se tut. L’ambiance se tendit alors que les minutes passaient et qu’aucun bruit ne venait des étages. Quoi qu’eût pu faire ce bruit, Kaleb et Kendra ne l’avaient pas encore trouvé.
J’avais l’impression de ne jamais avoir autant tendu l’oreille de ma vie. Mon cœur s’emballait, m’empêchant d’entendre aussi bien que je le voulais. J’étais prêt·e à accourir au moindre signe d’alerte.
Pourtant, mon sang se glaça dans mes veines lorsqu’un hurlement de douleur résonna dans les couloirs de la maison. Isis se redressa vivement, la main crispée sur sa lame. Sam dégaina sa très grande épée et je repensais à ce qu’il m’avait dit quelques minutes plus tôt.
Nous étions en danger.
Le garçon s’élança dans les escaliers alors qu’un deuxième cri retentissait. Il ne laissait aucun doute sur celui qui en était à l’origine. Kaleb.
Je le suivais, déterminé·e à combattre et à défendre mes amis. J’entendais Isis derrière moi. Était-elle prête à faire face à un ange ? Probablement pas. D’ailleurs, moi non plus je n’étais pas assez entrainé. Une douleur au ventre juste à l’endroit de ma blessure raviva le souvenir de la dernière créature que j’avais rencontré.
Arrivé au rez-de-chaussée, je n’eus pas le loisir de plus m’inquiéter. Sam s’arrêta net. À ses pieds rampait Kendra en sang.
— Kaleb, murmura la jeune femme alors qu’un énième cri déchirait le silence.
— Oz, occupe-toi de Kendra.
— Mais…
— C’est un ordre, lâcha sèchement le jeune homme.
Je le regardais s’éloigner avant de me pencher sur la jeune femme. Cette dernière chuchotait quelque chose. J’approchais donc mon oreille de sa bouche.
— … archange…
— Je ne comprends pas, Kendra.
— C’est… c’est un archange… Kaleb et Sam ne font pas le poids.
Je me figeais, mes pensées se mélangeant dans ma tête. Que devais-je faire ? Si les jumeaux n’étaient pas de taille, je ne risquais pas de faire la différence. Mais je ne pouvais pas les laisser. Je me tournais vers Isis qui attendait mes ordres :
— Reste ici, je reviens.
Je me levais donc, essayant de contrôler mes tremblements et tendais l’épée angélique devant moi. J’entendais les lames se percuter et l’un des deux garçons gémir. Il fallait faire vite. Malgré mon ignorance en matière d’ange, la terreur dans le regard de Kendra avait suffi pour me convaincre. Nous n’avions pas affaire à un ange ordinaire.
Discrètement, je me glissais dans le séjour. Comme une ombre, je longeais le mur et apercevais la créature. Bien plus grande que les anges auxquels j’avais eu affaire auparavant, elle devait se baisser pour ne pas se cogner au plafond. Sam se battait contre lui avec l’énergie du désespoir. Son épée immense semblait, pour le moment, tenir en respect son adversaire. Derrière lui, cloué au sol par sa propre lame gisait Kaleb.
Je m’approchais doucement de ce dernier, prête à l’évacuer du champ de bataille. Sur le chemin, mes bottes rencontrèrent les débris de la verrière par laquelle était entré notre ennemi. Je jetais alors un regard dehors et me figeais de nouveau de terreur.
La rue était jonchée de cadavre tandis que le ciel semblait envahi d’immenses oiseaux.
Nous étions fichus. Pris au piège dans le manoir.
— Oz… soufflait le jeune homme à mes pieds. Il faut que tu fuies.
— Pour aller où ? murmurais-je.
— N’importe où. Loin d’ici.
Je m’agenouillais près de lui, le regard tourné vers l’affrontement qui s’était déplacé dans la cuisine. San l’avait-il fait exprès pour me laisser le champ libre ?
— Je ne peux pas vous laisser.
L’autre m’ignora pour arracher la lame plantée dans sa cuisse.
— Tu ne devrais p… commençais-je.
Trop tard, le sang coulait maintenant à flots. Je retirais mon pull et appuyais sur la plaie pour arrêter l’hémorragie. En vain. Après tout, il y avait un trou de l’autre côté.
— Ne t’inquiète pas pour nous, emmène Isis et Kendra. Je suis sûr qu’il y a d’autres survivants.
— Tu n’as pas vu dehors ?! Tout le monde est mort ! Il y a des anges partout ! Quitte à mourir, autant essayer de se soutenir les uns les autres.
— Et ta famille ? Comment vas-tu la retrouver si tu restes là ? me questionna-t-il d’une voix faible.
— Je ne veux pas vous abandonner…
— Tu ne nous abandonnes pas, c’est moi qui te le demande. Je t’en prie, Oz, va-t’en.
À peine finissait-il sa phrase qu’un hurlement déchirait l’air. L’archange refit son apparition dans le salon. Il trainait derrière lui, Sam, le visage en sang et le ventre ouvert.
Je retenais un cri de terreur pour me remettre debout, l’épée tendue devant moi.
La créature lâcha le garçon et s’élança à une vitesse folle vers moi. J’arrivais pourtant, par je ne sais quel miracle, à parer son attaque. Les muscles au bord de l’explosion, je reculais.
À cette distance, le visage de l’archange semblait plus humain que celui des anges. Ses yeux me firent même frissonner. Il y avait quelque chose de malsain de son regard, comme si j’avais en face de moi un tueur en série. Ce qu’il devait d’ailleurs être.
L’attaque suivante fut pire que la première. Comment Sam avait-il pu tenir aussi longtemps face à ce monstre ? Si j’avais eu une simple épée, elle se serait brisée en mille morceaux. Au lieu de ça, la lame m’évita de me faire couper en deux, mais le choc m’envoya valser contre un mur. D’après la douleur qui traversa ma colonne vertébrale, c’était un mur porteur.
Je m’écroulais au sol comme une poupée de chiffon, le souffle coupé.
Incapable de bouger, j’entendais l’archange approcher, ses pieds nus claquant sur le parquet. J’aurais dû tenter de fuir lorsqu’il était encore temps. Les yeux tournés vers le sol, je n’avais plus qu’à attendre la mort. Je sentais presque les mouvements d’air que provoquait la lame qui montait pour mieux s’abattre ensuite.
Je fermais les yeux alors que l’air revenait peu à peu dans mes poumons. Il n’y resterait pas longtemps.
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