Chapitre 14
La douleur n’arriva pas.
À la place, je fus éclaboussé d’un liquide chaud et poisseux. Redoutant ce que j’allais voir, j’ouvrais tout de même les yeux. Devant moi se tenait Kaleb.
Je crois qu’il essaya de dire quelque chose, mais seul un râle quitta ses lèvres.
Je ne le regardais pas, je savais que si je le faisais, j’allais rester sans forces et il fallait que je bouge.
Je m’élançais à travers la pièce à vivre pour rejoindre au plus vite les filles. Je savais que l’archange ne pourrait pas me suivre dans les couloirs du manoir et encore moins au sous-sol à cause de sa grande taille. Je ne pris donc pas le temps d’expliquer la situation à Isis et lui ordonna de m’aider à soulever Kendra avant de dévaler les escaliers.
Je fermais la porte de la salle d’entrainement derrière nous. Nous étions en sécurité. Nous étions piégés.
Nous ne pouvions clairement pas rester ici. S’ils n’arrivaient pas à entrer, combien de temps attendrait-il ? La faim et la soif finiraient par avoir raison de nous. Je devais trouver une solution. Avec un peu de chance, les anges finiraient par se lasser et partiraient tout seuls. Mais dans ce genre de situation, il valait mieux ne pas se fier à la chance.
Je faisais les cent pas dans la pièce, remerciant silencieusement un quelconque dieu qu’Isis soit muette. Il fallait que je réfléchisse. Que ferait Kaleb ? Non. Je ne devais pas penser à lui, sinon j’allais craquer et me rouler en boule pour pleurer. Et probablement rester ainsi pour l’éternité.
— Comment va Kendra ? finissais-je par demander à Isis.
Elle secoua une main en la tenant à l’horizontale, l’air de dire « bof, bof », ce qui était surement un euphémisme.
Je ne savais pas quoi faire. La seule médecin de la maison était inconsciente et avait perdu beaucoup de sang. Je reprenais mon arpentage de la salle comme ci cela allait m’aider à trouver une solution.
Isis ne savait pas ce qu’il s’était passé au rez-de-chaussée. Je sentais qu’il fallait que je lui dise, mais je n’en avais pas encore la force et mettre des mots sur les événements allait les rendre bien plus réels.
Nous restâmes silencieux·ses, seuls mes pas étouffés par les matelas brisaient le silence. Il n’y avait pas un bruit au-dessus de nous. La créature était-elle partie ? Ou attendait-elle en embuscade que nous sortions ?
Toutes mes pensées tournées vers notre fuite, je faisais tout pour ne pas ressasser les événements de la journée. Je suivais du regard le rayon de lumière glisser sur le béton puis disparaitre alors que la nuit tombée. Je veillais toute la nuit et le soleil ne devait pas tarder à se lever lorsque Kendra gémit.
Nous n’avions pas d’eau à lui donner, alors nous attendîmes en silence qu’elle reprenne pleinement conscience.
— Les jumeaux ? demanda-t-elle immédiatement d’une voix cassée.
Je ne voulais pas être celle qui lui annoncerait la mort de ceux qu’elle semblait chérir le plus au monde. Pourtant, j’étais lae seul·e à avoir vu ce qu’il s’était passé.
— Kendra, je…
Je fus immédiatement coupé par un immense coup contre la porte de métal du sous-sol. Était-ce Kaleb ou San qui s’en était sorti et voulait nous rejoindre ? Le second bruit vint détruire tous mes espoirs. C’était un ricanement, ou du moins ce qui s’en rapprochait le plus venant d’un bec d’ange. Il avait dû nous entendre, où alors avait-il perdu patience.
— Nous sommes fichus, lâchais-je.
— Ne dis pas de bêtise, intervint Kendra. Cette pièce était un bunker avant qu’on ne le transforme en salle d’entrainement. La porte ne cédera pas en quelques secondes.
— Quand bien même, ils finiront par entrer. Et nous n’avons aucune autre issue.
— Laisse-moi finir.
Sa voix reprenait doucement de la vigueur. Comment pouvait-elle récupérer si vite ?
— Ça n’aurait pas été intelligent de ne pas faire une autre sortie. Place-toi dos à la porte et compte trois matelas. Soulève le quatrième.
J’obéissais en essayant d’ignorer les coups de plus en plus répétés sur la porte. Une fois les pieds sur le troisième matelas bleu, je glissais mes doigts entre ce dernier et le suivant. D’une épaisseur ne dépassant pas les vingt centimètres, le quatrième matelas d’entrainement se souleva pour révéler une trappe.
— Où ça mène ? demandais-je, reprenant espoir.
— Très loin d’ici, au milieu de la forêt. Par contre, l’une d’entre vous devra me porter pour descendre.
Isis fit signe qu’elle s’en occupait et j’ouvrais la trappe.
C’était si profond, que je n’en voyais pas le fond. Mais j’avais confiance en Kendra. Malgré son état, elle était surement notre meilleure chance de survie.
Je laissais Isis passer devant avec la blessée avant de m’engouffrer dans l’obscurité. Je descendais quelques barreaux de l’échelle métallique puis refermais la trappe. J’avais fait en sorte que le matelas retombe en place pour que l’on ne soit pas suivi, même si je doutais qu’un ange puisse passer par là.
Après une descente qui me parut interminable, mes pieds touchèrent un sol poussiéreux. J’entendais plus que je ne voyais les filles à côté de moi. Je réalisais soudain que je n’avais pas pris mon téléphone avec moi. Il aurait pu faire office de lampe torche. Tant pis, il fallait avancer.
— Je passe devant. Tape-moi l’épaule si tu veux qu’on s’arrête ou que je porte Kendra, disais-je à Isis.
Je n’attendais pas de réponse et commençais à marcher dans le noir, les mains tendues vers l’avant.
Nous marchâmes bien longtemps dans ce tunnel qui montait très doucement. Depuis quelque temps, je laissais ma main droite glisser sur le mur. La roche froide me faisait du bien. L’obscurité ambiante me donnait l’impression d’avoir décuplé tous mes autres sens. Je sentais le goût de l’humidité sur ma langue à chaque inspiration tandis qu’au moindre bruit suspect, mes muscles se tendaient, prêts à en découdre. L’adrénaline coulait toujours dans mes veines et je redoutais le moment où ça ne serait plus le cas.
Au bout d’un moment, peut-être deux heures, ma main gauche rencontra un barreau métallique.
— Nous y sommes. Restez ici, je vais jeter un œil.
En haut, mes mains rencontrèrent une trappe en métal, identique à celle qui se trouvait dans le sous-sol du manoir. Je la soulevais doucement pour éviter le moindre grincement.
La lumière était faible, j’apercevais des rideaux, un lit et une armoire. Personne en vue.
Je me glissais donc dans la pièce en faisant signe aux autres de me suivre.
À première vue, nous nous trouvions dans une sorte de cabane. Les meubles que j’avais aperçus étaient les seuls de la bicoque en plus d’une petite cheminée noire de suie.
Isis allongea Kendra sur le lit et cette dernière dit :
— Reposez-vous. On ne craint rien ici.
J’acquiesçais faiblement, à ces mots, l’adrénaline avait fui mon organisme. Je titubais jusqu’à un mur pour me laisser glisser au sol. Comme un tsunami, peur, tristesse, colère et surtout douleur déferlèrent dans ma tête. J’avais si mal aux côtes.
Les larmes aux yeux, je m’adressais à Isis, encore debout au milieu de la pièce.
— Je suis désolé, Isis, mais je vais encore te demander de faire quelque chose.
Elle hocha doucement la tête, m’indiquant de dormir et qu’elle allait rester éveillée.
Je lui souriais faiblement et, plutôt que de m’endormir, je perdais connaissance.
Annotations
Versions