Chapitre 15
La lune était haute dans le ciel, une brise fraîche entrait dans la cabane. Isis avait veillé bien plus que prévu.
— Tu aurais dû me réveiller, marmonnais-je la bouche pâteuse.
— C’est moi qui lui ai dit de te laisser dormir, intervint Kendra.
— Merci.
— Ne me remercie pas trop vite. Je voulais que tu sois parfaitement reposé pour nous raconter ce qu’il s’est passé.
Je me figeais. Il était temps. J’avalais difficilement ma salive et lâchais tout presque sans respirer. Un lourd silence accueillit mon récit.
— As-tu vu leur cadavre ? demanda au bout d’un moment Kendra.
— Comment ça ?
— Peux-tu attester de leur mort ?
Je fronçais les sourcils alors que la colère me montait à la tête. À quoi jouait-elle ? Mon récit n’avait-il pas suffi à lui faire comprendre les horreurs qui s’étaient passées dans cette maison ?
— J’ai vu l’intérieur du ventre de Sam ! J’ai encore le sang de Kaleb sur mon visage ! Qu’essaies-tu de faire ?! Hein ?! Ils sont morts Kendra !
Je grimaçais, rien que respirer était douloureux, crier était un supplice.
— Tant que je n’aurais pas une preuve concrète, j’estimerais qu’ils sont encore en vie, répondait-elle calmement.
Je n’avais jamais vu un déni aussi gros.
— Très bien ! Libre à toi de te voiler la face. Tu n’as qu’à retourner sur place et constater par toi-même. Ne tarde pas trop, sinon tu risques de ne plus les reconnaître, avec la décomposition. De mon côté, je compte aller de l’avant et essayer de trouver d’autres vrais survivants.
Je tentais de me lever, mais la douleur me coupa le souffle. Pitoyable.
Je retombais au sol dans un bruit sourd et fondais en larmes. Moi aussi je voudrais qu’ils soient en vie. Moi aussi j’aimerais espérer. Mais après ce que j’avais vu, c’était impossible.
Le silence autour de moi me paraissait comme celui d’un tombeau. Kendra ne réagissait pas face à ma détresse, s’accrochant à son espoir et regardant mon désespoir avec un œil critique. Je relevais la tête, lui jetant un regard noir.
— Tu devrais t’allonger, disait-elle seulement.
— Pourquoi ? crachais-je.
— Au vu de tes dires, l’ange n’a pas dû te rater, tu ne dois pas te sentir bien.
— Je me sens très bien.
— Ne me mens pas. J’entends ta respiration, je vois ton visage. Tu ne vas pas bien. Soulève ton t-shirt, ordonnait-elle depuis le lit.
Je détournais le regard, refusant d’obéir. Alors, Isis, qui jusque-là n’était pas intervenue, s’asseyait à mes côtés. Doucement, avec ses doigts froids, elle souleva mon vêtement. Or, il y avait encore une couche qui allait être bien plus difficile à soulever. Je repoussais faiblement ses mains. Des vertiges me faisaient tourner la tête.
— Tu as dormi avec ton binder ? disait Kendra.
— Je n’ai pas pensé à le retirer après…
Je repensais aux événements qui s’étaient enchainés si vite. J’avais l’impression que j’avais mordu Kaleb il y a si longtemps. J’étais heureux·se que nous ayons pu parler avant…tout ça.
Kendra se leva en titubant et ordonnait à Isis :
— Aide-moi à la mettre sur le lit.
La muette du lui demander son état à elle, car elle dit :
— Ne t’inquiète pas pour moi, je tiendrais le coup.
Avec tout ce que je lui avais crié, la jeune femme me cédait quand même l’unique lit de la pièce. Peut-être était-ce juste moi qui avais perdu la raison.
Lorsque mon dos toucha enfin le matelas moelleux, ma vision était bien trouble, le déplacement avait failli me faire perdre connaissance.
— Oz. Restes avec moi.
Je grognais et elle continuait :
— Douleur. Pâleur. Respiration rapide. Vertiges. As-tu des sueurs froides ? La peau moite ?
— Je sais pas.
— Oz, concentre-toi.
Elle souleva à son tour mon t-shirt et attrapa le couteau que lui tendait Isis.
— Je suis désolé Oz, je vais devoir découper ton binder.
— Non, luttais-je. J’en ai pas d’autres.
Elle m’ignora et j’entendais le tissu se déchirer pour laisser apparaître l’immense ecchymose qui courait sur mon ventre. Kendra tâta doucement la zone et je retenais un cri de douleur.
— Je crois que tu fais une hémorragie interne.
— Comment vas-tu faire sans matériel médical, marmonnais-je.
— Tu ne vas pas aimer la réponse. Isis, trouve-moi quelque chose dans laquelle elle pourrait mordre.
La muette lui tendit sa ceinture que la brune me glissa entre les dents avant de se tourner de nouveau vers son assistance de fortune.
— Il va falloir que tu me trouves une plante en particulier qui aidera à la coagulation.
Je n’entendais alors plus rien pendant quelques instants, je refis surface grâce à Kendra.
— Je t’ai dit de rester avec moi.
— Ces plantes, c’est juste pour l’éloigner n’est-ce pas, tentais-je de dire.
— Nous aurons besoin de ces plantes après l’intervention que j’ai pour but de finir avant qu’elle ne revienne.
Je souriais, ou du moins j’essayais, avec la ceinture entre les dents. Sans plus de cérémonie, elle planta le couteau dans l’hématome. Je hurlais, les dents plantées dans le cuir et les larmes roulant le long de mes joues encore couvertes du sang de Kaleb. Il s’était sacrifié pour me sauver. Je ne pouvais plus mourir maintenant. Pourtant, l’envie n’était pas loin tandis que je sentais Kendra me charcuter.
J’oscillais entre la conscience et l’inconscience lorsque je sentais une vive chaleur se plaquer contre ma blessure. Je tentais de me cabrer, mais la jeune docteure me maintenait assez fort contre le matelas. Je perdais finalement connaissance.
Je ne sais pas combien de temps je restais ainsi, mais une odeur de nourriture finit par me faire revenir à moi. Je n’étais pas mort·e.
— N’essaie pas de te redresser, tu gâcherais mon travail, me lança celle qui m’avait encore sauvé depuis le centre de la cabane.
Je relevais tout de même légèrement la tête pour apercevoir Isis assise près d’un petit réchaud sur lequel mijotait une sorte de soupe. On m’amena un bol et je découvrais qu’elle était aux herbes et aux champignons. Notre médecin attitré avait ajouté les feuilles qui étaient censées me faire coaguler plus vite.
— Merci, croassais-je.
En buvant, je me rendais alors compte que j’avais de la chance d’avoir Kendra et Isis à mes côtés. Sans elles, je serais déjà morte plus d’une fois. Pourquoi ne m’en étais-je pas rendu compte avant de balancer toutes ses horreurs à la figure de Kendra ? Si elle voulait espérer, c’était son droit. Si cela pouvait la garder en vie. Comme moi avec ma famille. Quel était le moteur d’Isis ?
Je finissais mon bol et m’endormais de nouveau.
Lorsque je me réveillais, je me sentais déjà un peu mieux et nous pûmes un peu discuter sur la suite.
— Qu’allons-nous faire, maintenant ?
— Nous allons nous reposer ici quelque temps. Tu ne peux même pas marcher pour le moment et je reste encore faible.
— Et ensuite ?
— Ensuite, j’aimerais retourner à la maison Il faut qu’on récupère le maximum de matériel et d’affaires.
— Et tu voudrais voir les jumeaux de tes propres yeux.
— Oui.
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