Chapitre 16
Isis me soutenait avec force alors que je faisais mes premiers pas dans la cabane. C’était la deuxième fois en peu de temps que je me retrouvais à réapprendre à marcher après une blessure au ventre. J’espérais franchement qu’il n’y aurait pas de troisièmes fois.
Kendra, assise sur le rebord de la fenêtre, surveillait mes pas chancelants. Elle semblait prête à bondir pour me rattraper, mais Isis gérait très bien la situation.
Nous fîmes le tour de la seule pièce de l’abri avec lenteur. J’étais extrêmement concentré·e sur mon corps. Un pas après l’autre, le visage tendu sous l’effort et enfin, nous retournâmes jusqu’au lit.
Je m’asseyais en soufflant de fatigue alors que les ressorts du matelas grinçaient bruyamment.
— C’était très bien, disait Kendra.
— Tu parles, on dirait que j’ai quatre-vingts ans.
— C’est normal, ça fait deux semaines que tu traines au lit, rigolait la brune.
Je voyais Isis esquisser un sourire qu’elle cacha en croisant mon regard.
— Tu as guéri bien plus vite, toi.
— Je n’ai pas subi d’opération d’urgence, moi.
Je voulais guérir au plus vite ou du moins pouvoir marcher puis courir de nouveau pour sortir un peu, pour aller moi aussi à la cueillette de champignons, d’herbes et de fruits, mais aussi pour arrêter d’accaparer le seul matelas que nous avions.
Je m’adossais contre le mur, les pieds dépassant du lit.
— Quand penses-tu que je pourrais sortir ? demandais-je.
— La dernière fois, tu as mis qu’une semaine et quelques à réussir à marcher sans t’essouffler. Mais ne t’inquiète pas, nous sommes en sécurité ici.
— Provisoirement.
— Nous sommes discrètes quand nous sortons, les anges ne nous trouveront pas au milieu des arbres.
Je savais qu’elle disait ça pour me rassurer, mais je n’avais pas spécialement peur de nous faire attaquer, car je savais tout ça. Je voulais juste m’activer pour ne plus ressasser.
J’avais aussi ma famille à retrouver bien que tous les événements m’éloignaient de ce but, je ne pouvais arrêter d’y penser. Et avec mon téléphone resté chez les jumeaux…
Et puis, je sentais bien que Kendra s’impatientait.
Elle voulait retourner à la maison. Elle voulait retrouver Kaleb et Sam, morts peut-être, mais surtout vivants comme elle l’espérait.
Isis s’installait à mes côtés et posa sa tête sur mon épaule tandis que Kendra sortait pour sa promenade quotidienne. Toujours appuyée sur moi, Isis sortait son petit carnet qui ne la quittait plus et écrivit :
« Histoires ? »
Je souriais, nous avions pris l’habitude, pour m’occuper, car j’étais alité, de se raconter des histoires l’une à l’autre. Moi à voix haute, elle a l’écrit.
— Hum, laisse-moi réfléchir à si j’en ai une en stock.
Je faisais mine de réfléchir intensément et finissais par dire :
— Je peux te raconter un rêve que j’ai fait et qui a fait rire ma sœur si tu veux.
Isis acquiesçait vivement et je commençais :
— J’étais une sorte d’agent spécial. Avec une collègue, nous devions protéger une femme qui devait remettre quelque chose à la banque à une heure tardive. Nous sommes en voiture, tout va bien, lorsque les pneus crèvent. Nous étions attaqués. Alors, nous descendions en trombe de la voiture pour fuir la menace et protéger la femme et son paquet. J’étais armé, mais je ne voyais pas qui nous attaquait. Nous courûmes et nous nous réfugiâmes dans un supermarché. Il faisait sombre. Nous nous cachâmes entre les étales, prêts à neutraliser l’assaillant alors que la femme et son paquet nous servaient d’appâts. Il arrivait.
Je laissais une pause pour faire durer le suspense et reprenais :
— Alors nous nous jetâmes sur lui. Sauf que ma collègue et moi n’étions pas coordonnées. Et elle se retrouva mise en joue par l’assaillant. Il tira. Je me jetais sur le trajet du projectile. Un poids s’abattit contre mon dos en me m’effondrais sur ma collègue. L’homme s’approche ensuite de la femme que nous protégions, il va lui tirer dessus aussi alors que je me rends compte que je ne suis pas mort·e. Les lumières s’allument alors que l’homme tire de nouveau et je découvre que ce que tient l’homme n’est pas une arme… mais une banane.
Isis riait à mon anecdote et je la rejoignais avec joie. Et alors que nous nous calmions doucement, elle attrapa son stylo et écrivit :
« Elle te manque ? »
— Qui ça ? Ma sœur ? demandais-je. Je n’aurais jamais pensé dire ça avant l’attaque, mais oui. Ma famille me manque, mes parents, ma sœur. La vie d’avant me manque.
La jeune fille attrapa ma main et demandait :
« Comment elle s’appelle ? »
— Amélia. Et toi ? Tu ne parles jamais d’avant.
« Mes parents étaient en déplacements, ils étaient probablement dans un avion pendant l’attaque, je ne sais pas où ils sont. Je logeais chez ma grand-mère. J’ai retrouvé son corps à la maison, je crois qu’elle a fait une crise cardiaque. »
— Je suis désolé, Isis.
Je ne savais pas quoi dire de plus alors je serrais fort sa main dans la mienne. Nous restâmes ainsi en silence jusqu’à ce que Kendra rentre avec un peu de champignons qu’elle avait trouvés durant sa balade. Alors qu’elle sortait une casserole pour les entreposés, elle se tourna vers nous et les sourcils froncés, demanda :
— Quelque chose ne va pas ?
— Nous parlions du passé.
La brune se remettait au travail, sortant un couteau et d’autres légumes ramassés la veille. Elle entreprit de les couper grossièrement.
— Et toi Kendra ?
— Oui ? répondait-elle sans détourner les yeux de ses légumes.
— Tu ne nous racontes jamais rien…
— Que veux-tu savoir ?
Je regardais Isis qui haussa les épaules.
— On sait que tu connais les jumeaux depuis toujours.
— Hum.
— Vous faites partie de la même famille ?
— Pas vraiment, mais c’est tout comme. J’ai grandi avec eux. Ma mère s’occupait de leur maison donc nous habitions avec eux.
Je n’osais pas demander ce qui était arrivé à sa mère. Si elle habitait chez les jumeaux comme Kendra et que je ne l’avais pas vue lors de mon séjour là-bas alors je redoutais la réponse et ne voulais forcer mon amie à en parler.
Pourtant, devant mon silence, Kendra ajouta :
— Elle est morte.
— Je suis désolé…
— Tu n’as pas à l’être. C’est la vie. La mort prend les gens qu’on aime. Le temps passe et on continue d’avancer.
— Ce n’est pas récent ?
— Non, j’étais au lycée. Heureusement, le père des jumeaux m’a prise sous son aile et j’ai pu rester vivre chez eux.
Je comprenais mieux l’entêtement de la jeune femme. Elle voulait tout simplement retrouver ceux qu’elle considérait comme ses frères.
— Je ne t’empêcherais pas de retrouver les jumeaux. C’est ta famille. Je ne peux que comprendre ce que tu ressens.
Elle me souriait presque timidement et alors qu’elle allait me répondre, je prenais les devants :
— Ne tente même pas d’y aller seule. Nous sommes une équipe maintenant. J’espère juste que tu acceptes d’attendre encore un peu, le temps que j’aille mieux, pour partir.
— Évidement. Je ne peux pas laisser maon patient·e préféré·e de toute façon.
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