Chapitre 17
La trappe était lourde, je la poussais en grimaçant, mes pieds glissant sur les barreaux en métal, et enfin, elle s’ouvrit dans un nuage de poussière.
Nous étions de retour.
J’avais l’impression que nous revenions dans la vraie vie, comme si ces quelques semaines dans la cabane n’avaient été qu’un rêve. Le retour à la réalité allait être brutal.
Rien n’avait changé dans le sous-sol si ce n’était la porte en métal qui avait été défoncée. La poussière me fit éternuer lorsque je m’extrayais du sol. Je faisais un tour sur moi-même à la recherche d’éventuels problèmes, mais tout était calme. Jusque-là, on aurait pu croire à une maison abandonnée sans soucis.
Kendra et Isis me rejoignirent vite et nous nous aventurâmes hors de la salle.
Les murs du couloir étaient abîmés comme si l’ange immense s’y était enfoncé avec violence. Il y avait même quelques plumes blanches au sol. Heureusement, elles étaient, elles aussi, poussiéreuses, l’ange devait être parti depuis longtemps.
Je mettais le pied sur la première marche menant au rez-de-chaussée. Après un petit instant de flottement, je commençais à gravir l’escalier. Je m’approchais des dernières marches lorsqu’une odeur terrible me frappa en pleine face.
Je vacillais et sentais Kendra poser sa main dans mon dos. Luttant contre une nausée soudaine, je reprenais mon ascension. Nous traversâmes le couloir menant au hall, Kendra me passa devant alors qu’Isis se plaçait à mes côtés. Et, enfin, nous arrivâmes dans le salon.
Il faisait très sombre malgré nos yeux habitués à la pénombre, l’odeur était forte, mais j’avais l’impression qu’elle ne venait pas de cette pièce. Je fronçais les sourcils alors que Kendra s’avançait plus avant dans le séjour.
— Il n’y a rien, lâcha-t-elle finalement.
— Comment ça ? demandais-je en m’avançant à mon tour.
J’avais laissé Kendra explorer, je ne voulais pas voir. Je ne voulais pas les trouver. Pourtant, je me retrouvais à balayer la pièce à la recherche de leur corps.
Sauf que Kendra ne mentait pas. Il n’y avait rien. Enfin, il y avait bien les traces du combat, du sang séché, du verre brisé, des meubles renversés, mais pas de corps.
Je me tournais vers Isis, puis vers Kendra qui me servit un sourire victorieux. Pas de cadavre, pas de preuve de leur mort, voilà ce qu’elle pensait. Pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander : d’où venait cette odeur de décomposition si elle ne venait pas des corps des jumeaux ?
Je m’approchais des fenêtres calfeutrées et entreprenais de les ouvrir.
Le coucher de soleil m’aveugla un instant alors que la puanteur m’attaquait d’autant plus fortement les narines. Lorsque je retrouvais l’usage de la vue, je découvrais l’origine de l’odeur. La rue était jonchée de cadavres en décomposition.
Mes jambes ne me portèrent plus et je glissais dans l’herbe. La main sur la bouche, j’essayais de retenir mes larmes alors que Kendra et Isis me rejoignaient.
— La résistance.
Cette affirmation de Kendra tomba comme un couperet. Il n’y avait plus de résistance. Il ne restait plus que nous trois. Des larmes de rage coulèrent le long de mes yeux. Tout ça pour ça.
Je repensais à la discussion que j’avais eue avec Kaleb à cet endroit même. Il avait raison, Sam n’aurait jamais dû rassembler tous ces gens au même endroit.
— Et maintenant ?
Isis haussa les épaules. Elle semblait abattue. Peut-être s’était-elle crue en sécurité, peut-être avait-elle cru en la résistance elle aussi. Je ne pouvais que la comprendre.
Je me tournais vers Kendra, attendant sa réponse, mais la brune avait disparu.
Isis m’indiqua l’intérieur et nous retournâmes dans la maison. Nous retrouvâmes rapidement Kendra qui faisait les fonds de placard de la cuisine. Durant notre temps passé dans la cabane, nous nous étions surtout nourris de végétaux, de petits fruits et de champignons, j’espérais alors qu’elle avait trouvé quelque chose à base de viande.
Pourtant, lorsque nous approchâmes, je remarquais qu’elle fourrait tout ce qu’elle trouvait dans un sac à dos.
— Nous allons quelque part ? demandais-je.
— Je pars à la recherche des jumeaux, m’indiquait-elle sans arrêter sa tâche.
— Seule ?
— Oui, nos chemins se séparent ici, Oz.
— Hors de question.
Mon ton la fit se retourner enfin vers nous.
— Comment ça ?
— Nous sommes une équipe, tu te souviens ?
À mes côtés Isis hochait la tête pour appuyer mes propos.
— Je ne veux pas vous embarquer dans une mission de sauvetage qui pourrait très certainement nous mener à la mort. En plus, je sais que tu ne crois pas en mon hypothèse.
— Isis y croit. Vous êtes deux à y croire. Je ne peux que m’incliner. Et justement, à trois, nous aurons plus de chance de survie.
Je ne savais pas vraiment pourquoi je voulais autant la suivre. Enfin, si, au fond, je savais que c’était l’espoir qui me poussait à vouloir la croire, surtout en l’absence de corps. J’avais aussi peur de me retrouver à nouveau seul·e.
La brune me fixa un moment.
Elle regarda aussi Isis, puis revint à moi et lança :
— Très bien, mais ne venez pas vous plaindre ensuite. Nous partirons dès qu’il fera nuit noire, rassemblez vos affaires.
Je m’élançais alors dans le hall pour grimper quatre à quatre les escaliers menant à l’étage. Dans ma chambre, rien n’avait bougé. Mon téléphone trônait sur la table de nuit et mes équipements attendaient sagement sur la seule chaise de la pièce, face au bureau.
J’attrapais en premier lieu l’appareil pour découvrir qu’il était complètement déchargé. Je retrouvais mon sac sous le lit et glissais mon téléphone à l’intérieur en espérant pouvoir le charger un jour, là je n’avais pas le temps.
Je déposais mon épée sur le lit et allait attraper mon gilet par balle, mais le reposais. Avant de l’enfiler, je voulais changer de vêtements. Je fouillais dans mon sac et attrapais tout ce qui se trouvait noir.
Une fois changé, je retournais vers la chaise. Je passais le gilet par-dessus mon pull et le serrais de toutes mes forces à m’en faire mal. Alors, je me tournais vers le petit miroir posé sur le bureau et souriais. Mon torse était de nouveau relativement plat.
Ensuite, je passais aux pièces d’armures, galérais avec les sangles et enfin, je fus entièrement équipé. Ne restait plus que mon arme qui vint rapidement rejoindre ma taille.
Je fourrais le reste de mes affaires, c’est-à-dire pas grand-chose, dans mon sac et je redescendais.
Je découvrais Isis dans l’entrée. Elle aussi avait revêtu ses protections. Je n’avais pas encore eu l’occasion de la voir ainsi accoutrée, c’était étrange de la voir ainsi. Je lui souriais et demandais :
— Tu sais où en est Kendra ?
Elle haussa les épaules, mais me désigna l’étage.
— Hum, je vois, elle n’a pas fini de se préparer, c’est ça ?
Cette fois, elle hocha la tête.
Nous n’eûmes pas à attendre longtemps pour que la brune nous rejoigne. Elle aussi était équipée. Ses protections en cuir sombre ressortaient sur ses vêtements noirs. À sa taille pendaient deux courtes épées. Elle était impressionnante.
Kendra posa son sac au sol dans un bruit sourd.
— J’ai de la place dans mon sac, si tu veux, lui proposais-je pour l’alléger.
Alors, la jeune femme me tendit du matériel médical et de la nourriture. Elle fit de même avec Isis.
— Si nous sommes séparés, nous aurons de quoi survivre quelque temps, faisait remarquer Kendra. C’est peut-être mieux ainsi.
J’acquiesçais et, une fois nos affaires sur le dos, nous quittâmes la maison.
— J’ai toujours vécu là, vous savez, disait Kendra en fixant les grosses pierres sombres alors qu’elles s’éloignaient doucement, disparaissant dans la nuit.
— Nous reviendrons quand tout sera fini, lui assurais-je.
Elle acquiesça et prit la tête de notre trio. Cette phrase me rappelait celle qu’avait prononcée Kaleb lorsque nous avions quitté ma propre maison. Cette fois, c’était à moi de donner de l’espoir à quelqu’un.
Isis et moi ne savions pas réellement où nous allions, mais Kendra semblait avoir une idée en tête.
— Nous devons capturer un ange vivant, finit-elle par lâcher face à nos questionnements.
— Attends, quoi ? demandais-je incrédule.
— Un qui parle de préférence, continua-t-elle sans s’arrêter.
À ma droite, Isis oscillait entre diverses émotions, comme moi. Nous ne savions pas vraiment comment réagir à cette information. Était-elle sérieuse ?
— Kendra ! Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? Te souviens-tu de l’état dans lequel on était toutes les deux ?
— Bien sûr que je m’en souviens, Oz. Et c’était la conséquence d’un combat face à un archange. Là nous n’aurions affaire qu’à un ange basique. À trois nous ferons largement le poids. Surtout si nous le prenons par surprise.
— Et pourquoi veux-tu attraper un ange ?
— Pour lui soutirer des informations sur les jumeaux.
— Tu penses que l’archange les aurait emmenés avec lui ? Pourquoi ferait-il une chose pareille ? D’ailleurs, est-ce qu’on parler de l’archange ? D’où tu tiens ça ?
— Ce n’est qu’une déduction, disait-elle vaguement. Un ange immense, différent, puissant et semblant diriger les autres. J’ai appelé ça un archange, c’est tout.
Je n’étais pas convaincue, mais je la laissais continuer.
— Pourquoi penses-tu qu’ils aient envoyé un être aussi puissant contre nous ? demanda la brune avec un ton digne d’un professeur.
— Je ne sais pas. Peut-être ont-ils entendu parler de nous ?
Mon cerveau connecta alors deux neurones et je me frappais la tête.
— Kaleb a dit à l’homme qui nous a attaqués chez moi de faire courir la nouvelle que la résistance était en marche.
— Je pense que les anges ont identifié d’une quelconque manière que l’un des jumeaux était le chef de la résistance. Par précaution, ils ont emporté les deux.
— Mais leurs blessures…
— L’archange y est allé fort, je te l’accorde. Mais j’ose espérer qu’ils les ont un minimum soigné pour pouvoir les interroger ensuite.
Isis, toujours aussi silencieuse, suivait la conversation avec attention, ses yeux allant de Kendra à moi.
— C’est une hypothèse tentante, murmurais-je plus pour moi que pour les autres.
Le silence s’installa entre nous. Nous marchâmes ainsi jusqu’à ce que Kendra ralentisse. Mes pieds douloureux et moi la remerciâmes en silence et elle nous guida le long d’une rue étroite avec prudence. Cette dernière débouchait sur une avenue vide de vie comme tout ce que nous avions rencontré sur le trajet.
Mais alors que nous nous avancions hors du couvert relatif des bâtiments resserrés, mon souffle se coupa.
Un avion déchiqueté s’était écrasé au milieu de l’avenue, emportant sur son passage immeubles, voitures et arbres.
Je me souvenais alors d’une carte montrant tous les vols en simultané dans le monde. J’avais été impressionné par leur nombre. S’étaient-ils tous écrasés le jour de l’attaque ? Était-ce les anges qui les avaient fait tomber du ciel ? Ou bien, lorsque les vitres avaient explosé sur Terre, il en avait été de même dans le ciel, dépressurisant les cabines ?
Je restais là figé devant la carcasse alors que Kendra continuait son chemin.
Isis glissa sa main dans la mienne et la pressa. Je croisais son regard triste et je me rappelais ce qu’elle m’avait dit sur ces parents. Avaient-ils subi le même sort que ces passagers ? Nous ne pouvions pas rester là, à découvert. Alors je l’entrainais à la suite de Kendra sans un mot.
— Ne trainez pas, disait cette dernière lorsque nous l’eûmes rejoint. Nous ne sommes pas seuls dans les parages.
Je frissonnais à ses mots. Combien de paires d’yeux nous observaient actuellement ? Qu’est-ce qui les empêchait de venir vers nous pour nous dérober nos affaires ? Nos sacs remplis devaient leur faire envie. Peu importait qu’ils n’approchent pas, je ne voulais pas de nouveau avoir à me défendre face à mes congénères.
Nous nous éloignâmes un peu de la carcasse d’avion avant de pénétrer dans un immeuble. Sans explorer plus avant, Kendra nous entraina dans un logement au rez-de-chaussée. Ce dernier comptait deux chambres, mais nous nous installâmes dans le salon et autour de la table basse, je posais enfin la question :
— Bon quel est le plan ?
Kendra ouvrit la bouche, mais je la devançais :
— Ne me dis pas « attraper un ange ». Il va falloir détailler un peu plus la marche à suivre.
Son visage se tordit en un sourire ressemblant plus à une grimace.
— Vous n’allez pas aimer mon idée, disait-elle.
— Parce que capturer un ange n’était déjà pas suffisant, ironisais-je.
— Nous ne pouvons pas nous balader en espérant tomber sur un ange qui se laisserait attraper.
Elle laissa un blanc, faisant durer le suspense avant de lâcher :
— Nous allons attirer des anges dans un piège.
Je manquais de m’étouffer.
— On ne peut pas faire ça.
— Et pourquoi ?
— On ne sait pas combien d’anges débarqueraient. Comment comptes-tu en capturer un s’ils sont cinquante ?
— Tout va dépendre de ce que l’on va utiliser pour les attirer. C’est là que j’ai besoin de votre aide. Des idées ?
Nous restâmes silencieuses, Isis avait sorti le carnet qui lui permettait de communiquer plus facilement avec nous, mais la page restait blanche. Alors, nous finîmes par aller nous coucher. Kendra se proposa pour le premier tour de garde et à peine ma tête touchait l’oreiller que je m’endormais. J’étais vraiment épuisé. Ma blessure était guérie, pourtant mon corps était toujours fatigué. Je ne m’étais pas entrainé depuis bien longtemps et nous avions marché si longtemps cette nuit.
Bien trop tôt à mon gout, Kendra me réveilla pour que je prenne sa place. Cette fois, j’étais bien décidé à rester éveiller. Alors je me mettais à réfléchir à comment combler les trous du plan farfelu de Kendra.
La lumière dorée du soleil traversait par rayons les volets de l’appartement, inondant les meubles en bois d’une couleur de feu et alors, je me souvenais de comment j’avais rencontré Kaleb. Le feu. Celui-là même qui m’avait empêché de retourner chez moi et qui avait attiré des anges comme des papillons de nuit.
Peut-être que la solution était là. Mais comment éviter qu’un trop grand nombre de créatures ne rapplique ?
Le temps passait lentement, mais je n’arrivais pas à trouver de solution, j’étais encore fatigué et bientôt, ce fut le moment de réveiller Isis pour qu’elle me relaye. Je décidais que je parlerais de mon idée aux autres au réveil et qu’ensemble nous trouverions une solution, puis je m’endormais de nouveau.
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