Chapitre 18

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Je me tenais seul·e au centre d’un petit rond-point arboré. Sur la pelouse, nous avions entassé de nombreux objets en bois et autres combustibles que nous avions pu trouver dans un rayon assez petit autour de la place. Quelques cadavres faisaient partie du tas et les fleurs du rond-point n’étaient pas suffisantes pour masquer l’odeur immonde de décomposition. Je me tenais donc à distance respectable du monticule, caché·e derrière une voiture.

C’était Isis qui avait trouvé une solution pour réduire le nombre d’anges et nous permettre dans capturer un seul. Je tenais d’ailleurs encore la feuille où elle avait écrit dans la main pour me rassurer. J’attendais patiemment que ce soit l’heure que nous avions convenu avec les filles. Ces dernières se trouvaient chacune à des endroits similaires au mien. Trois tas prêts à brûler se dressaient dans la ville.

Je pliais le bout de papier et le glissais dans ma poche alors que l’heure arrivait.

Les premières lueurs de l’aube apparurent alors et je me mettais en mouvement.

J’espérais que Kendra et Isis étaient prêtes et je craquais plusieurs allumettes que je jetais dans le monticule puis, après avoir vérifié que le feu prenait, je courais me cacher dans le bâtiment le plus proche.

J’attendais, à genoux dans le noir, les yeux fixés sur la source de lumière qui grandissait.

Les minutes s’engrainaient, mais toujours aucun signe d’une quelconque créature volante. L’odeur de brûlé devenait presque insupportable, me piquant les yeux et le nez, mais enfin je les vis. Ils étaient une dizaine, voire peut-être une quinzaine. Ils volèrent autour du feu avant de se poser, prêts à examiner la zone. La lueur des flammes rendait leurs silhouettes irréelles, dansantes.

Je ne prenais pas le temps de plus les observer et sortais de l’autre côté du bâtiment pour courir vers où se trouvait Kendra.

Après plus de cinq minutes de course effrénée à slalomer entre les voitures abandonnées, je débouchais sur la place où attendait le deuxième feu de joie éteint. La brune n’attendit pas que je reprenne mon souffle et l’alluma.

Nous nous cachâmes sans un mot, à l’affut.

Un groupe plus infime, peut-être la moitié du précédent, arriva sur place rapidement. Comme sur le premier feu, ils atterrirent prêts à ratisser les environs. Immédiatement, Kendra décampa en direction du troisième et dernier feu où attendait Isis. Je la suivais un peu moins vite, je n’avais pas encore récupéré de ma précédente course. Nous approchions du lieu lorsque nous nous séparâmes pour entrer chacun·e dans un bâtiment différent.

Je grimpais quatre à quatre les escaliers pour rejoindre le toit. En face, je savais que Kendra faisait de même.

Nous avions tout préparé durant la nuit, maintenant, il fallait que tout se passe comme prévu.

Je faisais signe à la brune pour lui indiquer que j’étais prêt·e puis nous attendîmes de nouveau.

Le soleil montait doucement dans le ciel et enfin la lueur du troisième feu de joie monta à ma droite. Rapidement, trois anges apparurent à ma gauche. Ils volaient bas et lentement, comme lassé de courir après du feu.

Je me baissais au passage des deux premières créatures puis jetais un œil à la dernière qui trainait. Un regard vers Kendra et nous passâmes à l’action.

Je tirais sur une corde, ma coéquipière faisant de même et, en silence, un filet grossièrement maillé se dressa devant l’ange retardataire. Ses membres se coincèrent et s’enroulèrent, il s’agita en panique, aggravant son cas jusqu’à être entièrement prisonnier.

Je jetais un regard vers les autres anges qui n’avaient rien remarqué et disparaissaient vers les flammes alors qu’Isis apparaissait sous notre prisonnier. Nous fîmes descendre doucement l’ange jusqu’à la jeune fille qui s’empressa de rajouter une corde autour de lui.

Alors je descendais en vitesse jusqu’à Isis.

La créature croassait bizarrement. Savait-elle parler ? Une fois près du tas de plume, je remarquais que le filet lui avait littéralement cloué le bec. Kendra nous rejoignit et nous trainâmes notre prise jusqu’à un appartement où nous avions laissé nos affaires avant l’opération.

Je m’écroulais sur le canapé poussiéreux devant l’ange ligoté. J’étais fatigué de mes courses successives ainsi que le chemin que nous avions parcouru avant et la constitution de nos feux de joie, mais il restait encore à questionner notre prisonnier.

— Que fait-on de lui maintenant ? demandais-je depuis le tas de coussins.

— Nous allons le questionner.

Elle fit un tour d’horizon de l’appartement et ajouta :

— Aidez-moi à le déplacer, ensuite nous mangerons un bout et nous nous y mettrons.

Je me redressais en grimaçant et aidais les filles à mettre notre nouvel invité dans sa chambre. Nous vérifiâmes qu’il était bien attaché puis nous ressortîmes de la pièce.

Kendra sortit une boite de conserve de son sac que nous réchauffâmes rapidement pour l’engloutir tout aussi vite.

— Le plan s’est déroulé parfaitement, disait Kendra.

— Bravo, Isis. L’idée de faire plusieurs feux pour diviser les troupes était encore plus efficace que je le pensais, ajoutais-je.

Isis sortait son carnet et griffonnait :

« Ne me félicitez pas, remerciez l’autrice de Hunger Games, je lui ai piqué l’idée. »

— Hunger Games ?

« Dans le premier film, l’héroïne et son alliée allument successivement trois feux pour attirer leurs ennemis loin de leur camp pour qu’elles puissent détruire leurs provisions. J’ai juste adapté l’idée à notre situation. » expliquait l’adolescente. « Pour l’instant ça s’est mieux fini pour nous que pour elles. »

Je hochais doucement la tête, me rappelant l’histoire.

Soudain, Kendra nous fit signe de nous taire, elle nous montra la chambre qui servait de cellule à l’ange.

— Il se passe quelque chose.

Je me levais immédiatement et nous entrâmes avec précaution dans la pièce.

Un homme se tenait au-dessus de l’ange ligoté, un large couteau dans la main droite. Ce dernier était propre, j’en déduisais donc qu’il n’avait pas encore agi. Heureusement pour nous, nous arrivâmes à temps.

Je le plaquais violemment au sol en lui tenant le bras pour éviter qu’il ne plante la lame quelque part. Il gémit et grogna tandis que je l’immobilisais difficilement. Kendra et Isis m’aidèrent à le ligoter lui aussi.

— J’espère que l’on aura plus besoin d’attacher quelqu’un, nous n’avons plus de corde, faisais-je remarquer en me relevant.

Isis redressa l’homme et c’est alors que je le reconnus.

Je le revoyais tout tremblant sous ma lame. La dernière fois que je l’avais vu, je l’avais épargné. Isis aussi le reconnut, elle envoya son poing dans son nez sans aucune forme de procès. C’était lui qui l’avait truffé de balles.

Le sang coulait à flots sur sa bouche et son menton, mais ne cachait pas son sourire. Lui aussi savait qui nous étions.

— Où est le jeune homme qui était avec vous ? demanda-t-il innocemment.

— Que fais-tu ici ? Je ne t’ai pas épargné pour que tu viennes nous mettre des bâtons dans les roues, disais-je en ignorant sa remarque.

— J’ai fait courir la rumeur, comme tu me l’as demandé, ricana-t-il. Comment va la résistance ?

C’est alors que mon cerveau fit le lien.

— Tu n’es pas là pour tuer l’ange, murmurais-je avant de hausser la voix. Tu es là pour le libérer !

L’homme ne démentait pas et je continuais.

— Depuis quand es-tu devenu le petit toutou des anges ?

— Qu’est-ce que tu racontes, Oz ? demanda Kendra, inquiète.

— Cet homme est à la solde des anges. Il nous a probablement suivi, Kaleb, Isis et moi jusqu’à la maison ou du moins jusqu’à ce que je me fasse empaler par cet ange sur le chemin.

— Magnifique spectacle, cela dit, m’interrompit-il.

Je serrais les poings, je ne devais pas céder à la colère. Il pourrait nous être utile, bien plus utile que l’ange.

— Je pense que c’est lui qui a donné la localisation de la résistance aux anges. Je pense que c’est sa faute si tous ces gens sont morts, si Kaleb et Sam ont disparu.

L’autre ricana de plus belle, s’étouffant dans son sang. Il ne fit rien pour s’excuser. Son attitude suffit à convaincre les deux filles.

Kendra me fit signe et nous sortîmes de la pièce.

— Si tu as raison, il va nous être très utile, dit-elle immédiatement après avoir fermé la porte.

J’acquiesçais avant de demander :

— Comment va-t-on lui faire cracher le morceau ? Et l’ange qu’en fait-on ?

— Nous allons les interroger séparément et recouper les informations qu’ils nous donneront.

Elle semblait déterminée alors même que je me demandais comment nous étions censés faire tout ça. Je me repassais les films d’action que j’avais vus, me rappelant les scènes d’interrogatoires plus ou moins musclées.

Nous entrâmes alors de nouveau dans la chambre, l’homme était en boule au sol. Isis l’attrapa et le traina dehors alors que Kendra se tenait debout, les bras croisés devant l’ange.

Ses ailes étaient plaquées contre son dos par les cordes. Certaines de ses plumes grises étaient donc cassées ou abîmées. Ainsi saucissonnée, la créature était bien moins menaçante. À mes yeux, il était même ridicule.

De près, la transition entre sa tête d’oiseau et son corps d’homme musclé ne semblait pas aussi bien faite. Les plumes s’arrêtaient net, laissant la place à la peau, comme un collage. Si j’avais créé une créature chimérique semblable, j’aurais fusionné les deux parties plus subtilement. Mais là n’était pas la question.

— Où avez-vous amené les jumeaux ? demanda de but en blanc Kendra.

L’ange la fixa avec ses yeux jaunes, mais ne répondait pas. Nous le questionnâmes sans relâche jusqu’à ce que ma compagne ne craque face à son silence et ne le frappe violemment. Je la faisais sortir de la pièce sous le regard étrange de notre prisonnier.

— Nous n’y arriverons pas comme ça, lui faisais-je remarquer.

Isis nous attendait assise sur la table à manger. Elle nous demanda en silence ce qu’il s’était passé et je lui disais :

— Pas grand-chose. Il ne dit pas un mot.

— Nous allons passer à l’autre, j’y vais seule, disait Kendra sur un ton qui ne voulait pas de réponse.

Nous la regardâmes donc disparaitre dans la salle de bain où attendait l’homme. Rapidement, l’homme hurla. Je me précipitais dans la pièce et la première chose qui me frappa fut l’odeur de chair brûlée.

L’homme était au sol, Kendra se tenait au-dessus de lui. Je ne voyais pas où elle l’avait blessé, mais l’odeur était terrible.

— Ça ne va pas ?! disait à ma compagne. Sors de là, je m’occupe du reste.

Elle obéit en grognant et je restais seul·e avec l’homme. Moi aussi j’avais envie de lui faire du mal, pourtant, je le redressais et demandais :

— Est-ce que ça va ?

— Vous la jouez good cop, bad cop ? demanda-t-il en ricanant. Sache qu’avec ce bandeau à l’œil, tu aurais dû choisir le rôle du mauvais flic. D’ailleurs qu’est-il arrivé à ton œil ?

Je retirai mon cache-œil et le fixai silencieusement. Il pâlit et je demandais :

— Quel est ton nom ?

— Marcus, bredouilla-t-il.

Lorsque je replaçais le bout de tissu, il reprit des couleurs et osa même parler d’une voix moqueuse :

— Pourquoi ce n’est pas l’autre jeune fille, la petite, qui me questionne ?

— Oh, tu n’aimerais vraiment pas qu’elle soit là à ma place, tu sais. Tu as failli la tuer, et elle est quelque peu rancunière.

Il ricana de nouveau, il s’en souvenait. Je décidais de passer à l’offensive.

— Alors Marcus.

Son regard changea et je compris quelque chose d’important. Cela faisait surement très longtemps qu’on ne l’avait pas appelé par son prénom.

— Ce n’est pas comme ça que les anges t’appellent, n’est-ce pas ? Te donnent-ils seulement un nom ? Non, je ne pense pas. Je ne sais pas si tu te rends compte que même un chien a un nom, alors que toi, à leurs yeux, tu n’en as pas. Tu n’es rien pour eux, alors pourquoi leur obéir, pourquoi les protéger ? Parle-moi de ce que tu as vu chez les anges.

J’entendais presque ses dents grincer de colère. J’avais touché la corde sensible.

Je me levais et commençais à faire les cent pas devant lui en posant des questions sur sa vie de moins que rien, sur d’éventuels prisonniers et sur les anges. Il finit par cracher sur l’une de mes chaussures. Instantanément, la salive retourna dans sa bouche par le biais de mon pied volant dans sa face.

Il saignait de nouveau du nez et avait probablement quelques dents cassées. Je l’attrapais par les cheveux et lui murmurais :

— Il n’y a pas de bon ou de mauvais flic, nous ne sommes pas la police, Marcus. Nous sommes ce qui reste de la résistance que tu as détruite.

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