Chapitre 19
La douleur à ma poitrine était intenable. On m’avait recousu laborieusement avec du gros fil. La plaie n’était pas belle à voir.
Mais mon état n’était pas le plus préoccupant.
Dans le coin de la petite pièce plongée dans le noir était allongé quelqu’un. Sa respiration était laborieuse. On avait recousu ses blessures de la même manière que la mienne. Très mal.
J’étais réveillé depuis plusieurs heures maintenant, mais personne n’était encore venu. Allait-on laisser mon colocataire mourir sans rien faire ?
Malgré la douleur, je finissais par m’endormir, à moins que je ne perdisse connaissance.
J’enchainais cauchemar sur cauchemar lorsque je me réveillais enfin en sursaut. Quelque chose clochait. Tout était trop silencieux. Après quelques instants, je me rendais compte que c’était la respiration de mon colocataire que je n’entendais plus.
Je me jetais vers lui en panique. Il ne devait pas mourir.
Je plaquais mon oreille près de sa bouche, aucun souffle n’en sortait. Les mains plaquées contre son torse, je commençais un massage cardiaque. Je sentais mes points de suture tirer sous l’effort, mais je persistais.
— Un ! Deux ! Un ! Deux !
Je prenais un maximum d’oxygène dans mes poumons et collais mes lèvres contre les siennes. Son torse se souleva puis redescendit. Il ne remonta pas. Je reprenais le massage.
— Un ! Deux ! Un ! Deux !
Je répétais plusieurs fois la manœuvre sans succès. De plus en plus paniqué, je me mis à hurler :
— À l’aide ! Il ne respire plus !
Je continuais à masser avec l’énergie du désespoir.
— Reviens, murmurais-je avant de hurler de nouveau. Venez m’aider ! Vous ne pouvez pas le laisser mourir !
J’entendais enfin des pas se diriger vers nous. Ils s’arrêtèrent derrière la porte.
— Aidez-moi ! Mon frère va mourir !
Je me figeais, qu’avais-je dit ? Je me tournais vers le visage du jeune homme inconscient. Sam. Comment n’avais-je pas pu le reconnaître ?
La porte grinça sur ses gonds. Je ne distinguais pas qui se tenait dans l’encadrement. On me repoussa contre l’un des murs, m’éloignant le plus possible de Sam. On attrapa ce dernier par les pieds pour le trainer vers la sortie.
— Ne le laissez pas mourir ! Je vous en supplie…
Des larmes coulaient de mes yeux, brouillant mon champ de vision.
La porte claqua si fort que le bruit résonna dans ma tête et je me mettais à crier.
— AAAAAAAAH, hurlais-je en me débattant dans mes couvertures.
Quelqu’un me plaqua une main sur la bouche et murmura :
— Chut, tu vas attirer des anges par ici.
Mon cœur battait si fort dans ma poitrine que j’avais l’impression qu’il allait exploser ma cage thoracique. La pression de la main contre mes lèvres m’empêchait de respirer. Je commençais à paniquer quand une petite lumière s’alluma tout près révélant le visage d’Isis.
L’ampoule me permit de revenir doucement à la réalité et de déplacer doucement la main de mon visage. Je me retournais et découvrais Kendra, inquiète.
— Est-ce que ça va ? chuchota-t-elle en essuyant mes larmes avec son pouce.
Je n’avais même pas remarqué que je pleurais.
— San est mort, je l’ai vu mourir. Je lui ai fait un massage cardiaque, mais il ne respirait plus, lâchais-je en un souffle. Puis ils l’ont emmené.
L’esprit encore embrumé, je refusais de la croire. Tout avait été si réaliste, même la douleur était là. Je tâtais ma poitrine, mais ne trouvais pas de blessure similaire à celle que j’avais dans mon rêve. C’est alors que je comprenais.
— Je voyais par les yeux de Kaleb, marmonnais-je à moi-même.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Je sais que vous allez trouver ça fou, mais je crois que j’ai vu par les yeux de Kaleb.
— Tu as raison, je trouve ça fou, rigola la brune.
Je fronçais les sourcils, vexé. Je la repoussais et me rallongeais. L’autre souffla avant de prendre la parole toujours à voix basse :
— Oz, tu l’as dit toi-même c’est complètement insensé. Tu ne peux pas m’en vouloir de ne pas y croire.
Elle avait raison, pourtant cette impression ne voulait pas me quitter.
— Il va bientôt faire jour, changea de sujet la jeune femme. Ils n’ont pas l’air de vouloir parler.
— Que veux-tu faire d’autre ? grognais-je toujours enroulé dans mes couvertures.
J’entendais Isis se rallonger elle aussi alors que Kendra se mettait à arpenter la pièce.
— Il faudrait qu’ils nous guident jusqu’aux jumeaux, marmonnait-elle plus pour elle que pour nous. Mais comment les convaincre de nous aider ? Et ensuite, comment être sûr qu’ils ne nous amènent pas dans un piège ?
— Nous ne savons même pas s’ils savent quelque chose sur les jumeaux et nous n’avons pas de temps de temps à perdre, disais-je. Mais ils le savent, ils ne nous aideront pas de notre plein gré.
— Nous devons les forcer.
J’entendais griffonner Isis. Elle me tendait le papier et je lisais à voix basse :
— Nous pourrions les relâcher. Leur faire croire que nous en avons fini avec eux…
— Et les suivre, chuchotait Kendra qui s’était rapprochée. Peu importe où ils iront, cela sera déjà un pas en avant.
— Qu’est qu’on ferait sans toi, Isis, souriais-je.
— Nous ne pouvons pas les laisser partir comme ça, ils se méfieraient, disait Kendra en se laissant tomber tout près de mes jambes.
— Je te préviens, je ne suis pas très bon·ne commédien·ne.
Elle souriait avant de jeter un œil dehors.
— Vous avez assez dormi ?
— Non, mais je ne pense pas pouvoir me rendormir tout de suite.
— Isis ?
L’adolescente haussait les épaules en repoussant ses couvertures.
— Bon. Rassemblez vos affaires le plus discrètement possible. Nous allons leur faire croire que nous sommes attaqués et que nous devons fuir en les abandonnant là.
— Mais, ils sont ligotés, faisais-je remarquer. Comment…
— Je m’occupe de ce détail, me coupait-elle.
Elle se releva, fourra rapidement le peu d’affaires qui étaient sorties de son sac et se dirigea vers la salle de bain d’un pas déterminé. De mon côté, je m’extirpais des couvertures en frissonnant. Elle ne nous avait donné aucune indication de ce qu’elle attendait de nous, mais j’avais une idée qui pourrait faire l’affaire.
Après avoir rangé, j’expliquais à Isis la suite des opérations.
La jeune fille m’écoutait avec attention et souriait, cela promettait d’être quelque chose.
Alors nous regroupâmes nos sacs à l’entrée puis les festivités commencèrent. J’ouvrais brusquement la porte d’entrée en faisant en sorte qu’elle tape fort contre le mur. Avec Isis, nous traversâmes l’entrée puis le salon à pas lourd en chuchotant gravement. Arrivé devant les canapés, nous dégainâmes et croisèrent le fer pour faire croire à un vrai combat. Alors je criais en direction de la salle de bain :
— Kendra ! Nous sommes attaqués !
La brune se précipita hors de la pièce, refermant la porte derrière elle tout de même pour ne rien laisser voir à notre prisonnier. Ensuite, alors que Isis et moi continuions à nous battre en retenant des rires, Kendra entreprit de retourner la pièce.
Les chaises se renversèrent, la table à manger glissa en grinçant sur le sol et de la vaisselle s’éclata par terre.
Ce fut le moment pour nous de battre en retraite.
— On se casse ! criait Kendra en courant vers l’entrée.
Isis l’imita et je fis semblant d’être un intrus qui grognait de mécontentement de voir ses proies fuir.
Une fois les deux filles dehors avec nos affaires, je fis mine de fouiller rapidement l’appartement et quittais moi aussi les lieux.
Je rejoignais mes compagnes au pied de l’immeuble et nous entrâmes discrètement dans celui d’en face. Enfin, je lâchais un rire.
— Toi qui disais ne pas savoir jouer la comédie, disait Kendra. C’était plutôt réussi.
— Tu crois ?
Isis hochait vivement la tête.
— Sans savoir que vous prépariez quelque chose, j’aurais pu croire à une vraie attaque quand j’étais dans la salle de bain.
— Comment a réagi Marcus ?
— Il semblait très heureux que nous nous fassions attaquer. J’en ai profité pour lui en foutre une et, pendant qu’il était au sol, j’ai donné un petit coup de couteau dans la corde qui le ligotait. Ça devrait suffire pour qu’il puisse s’enfuir et peut-être libérer l’ange ensuite. Maintenant, il ne reste plus qu’à attendre. Mais il y a encore mieux.
— Quoi ?
— « Vous devez être désespérés pour vous lancer à la recherche de prisonniers très certainement morts. » Voilà ce qu’il a dit.
— Et ?
— Il a utilisé le terme « prisonniers », Oz ! Sans le vouloir, il a confirmé le fait que les anges ont des prisonniers !
La jeune femme s’excitait sur ce lapsus et je ne pouvais retenir un sourire devant tant d’enthousiasme. Pourtant, Marcus n’avait pas mentionné les jumeaux, ni le lieu où ces hypothétiques prisonniers se trouvaient ni pourquoi les anges gardaient des prisonniers.
Nous restâmes au rez-de-chaussée de ce nouveau bâtiment, à l’affut alors que le soleil se couchait. Il n’y avait aucun mouvement de l’autre côté de la rue. La lune monta dans le ciel puis redescendit. Nous nous relayons à la surveillance pour dormir un peu ou manger et enfin, à l’aube j’aperçus Marcus s’extraire de l’immeuble. Je faisais signe à Kendra et Isis de me rejoindre.
Il était seul.
Avait-il abandonné l’ange à son sort ?
J’observais l’homme s’étirer et grogner sans discrétion dans la lumière du matin avec stupeur. N’avait-il pas peur de se faire attaquer ?
Alors l’ange apparut derrière Marcus. Il était plutôt mal au point et perdait ses plumes à chaque mouvement. La créature s’arrêta devant l’humain qui tendit son bras.
L’ange dégaina son épée et, alors que je croyais qu’il allait tout simplement couper le bras de Marcus, il traça deux lignes parallèles dans la chair puis avec son doigt dessina avec le sang un symbole sur la peau de l’homme.
Sans plus de cérémonie, la créature décolla avec difficulté, éparpillant de nombreuses plumes grises.
— Je vais suivre l’ange, disait vivement Kendra en glissant son sac sur le dos. Vous, occupez-vous de Marcus.
— Mais, comment on va se retrouver s’ils ne vont pas au même endroit ?
La brune attrapa mon bras, découvrit ma peau et emprunta son stylo à Isis pour écrire un numéro.
— Arrange-toi pour m’appeler sur ce numéro lorsque vous serez arrivé à destination.
— Je n’ai plus de batterie…
— Charge ton portable ou trouves-en un autre.
Elle ne me laissa pas ouvrir de nouveau la bouche et me serra dans ses bras.
— Fais attention à toi.
Puis elle attrapa Isis et lui chuchota avec un clin d’œil :
— Je compte sur toi pour surveiller Oz.
Je jetais un regard dehors, l’ange s’éloignait doucement, il fallait qu’elle s’en aille.
— Au revoir, et ne faites pas cette tête, tout va bien se passer, lançait-elle avant de disparaitre.
Nous ne la vîmes pas passer dehors, elle devait être discrète, de plus, maintenant, elle allait voyager de jour.
Je reportais mon attention sur Marcus. Ce dernier ne semblait pas encore vouloir bouger. Nous l’observâmes de longues minutes farfouiller dans les environs avant d’arroser copieusement d’urine le palier de l’immeuble d’où il venait avant d’enfin prendre la même direction que l’ange.
Décidément, cet homme me dégoûtait au plus haut point.
Nous sortîmes avec précaution de notre cachette pour commencer la filature.
Il avait du mal à marcher, peut-être que nous y étions allés un peu fort. Mais cela nous permettait de le suivre bien plus facilement. Il marchait au milieu de la route, à la vue de tous, comme ci il avait une sorte de passe-droit. Était-ce le rôle du symbole sur son bras ?
L’homme marcha ainsi pendant des heures, on aurait dit qu’il se promenait. À moins que ce soit nous qu’il promenât. Je me demandais même s’il avait une destination en tête.
Il fit halte pour la nuit dans un parc, nous l’imitâmes et installâmes un tour de garde pour éviter de manquer son départ. Pourtant, il dormit jusqu’à presque midi le lendemain. Il n’avait clairement peur de rien. On ne pouvait pas dire non plus qu’il essayait de nous semer, dans l’éventualité où il nous ait remarquées.
Il erra au même rythme pendant quelques jours jusqu’à arriver au centre de la grande ville. Les anges se faisaient bien plus nombreux dans le ciel et à chaque fois que l’un d’entre eux remarquait Marcus, ce dernier lui montrait son bras et la créature rebroussait chemin.
Notre filature devenait donc de plus en plus compliquée, car peut-être que Marcus pouvait passer sans encombre, mais Isis et moi devions nous cacher à chaque mouvement dans le ciel.
L’homme s’engageait sur une très grande avenue, lorsqu’un énième ange descendit jusqu’à lui. Marcus lui montra son bras comme avec les autres, mais cette fois, la créature se posa à ses côtés pour lui parler. L’ange ne semblait pas content de ce qu’il entendait de la bouche de Marcus. Il l’attrapa pourtant par le bras et décolla avec lui.
L’homme pendouillant par le bras, nous fit signe de sa main libre.
Il savait donc que nous étions là.
Il nous avait baladés.
Je jurais en le regardant s’éloigner hors de portée. Isis sur mes talons, je courais d’ombre en ombre pour essayer de ne pas le perdre, mais les bâtiments nous coupaient la route et bientôt, je l’eus perdu de vu complètement.
— Merde !
Je donnais un coup de pied dans un tas de déchets avec rage. Tout ça pour ça.
Isis attrapa ma main et me guida à l’intérieur de l’immeuble le plus proche. Elle sortit son cahier et griffonna :
« Kendra. »
— Oui, il faut que nous la contactions. J’espère qu’elle n’est pas trop loin.
Je farfouillais dans mon sac et sortais mon téléphone et son chargeur.
— Il me faut une prise. Surveille les environs pendant que je cherche.
Je pénétrais dans un grand local qui avait dû servir à un ou une artiste pour brancher l’appareil. J’attendais quelques secondes, visitant du regard la pièce remplie de bibelots faits main avant de lâcher un soupir. L’écran restait désespérément noir. Pas de courant.
Je retrouvais Isis pour lui annoncer la nouvelle. L’adolescente acquiesçait en essayant de rester positive et prenait même les devants pour changer de rue et enfin, choisir un nouveau bâtiment. Le ciel était de plus en plus chargé en nuages, alors nous restions très prudent·es, longeant les murs et scrutant les cieux. Un ange pouvait se cacher tout près.
L’immeuble suivant me permit enfin de recharger mon téléphone. Et alors que l’écran s’allumait enfin, j’écarquillais les yeux. J’avais plusieurs appels manqués. Ils dataient d’une dizaine de jours, la personne avait appelé deux jours d’affilés puis plus rien. Je ne reconnaissais pas le numéro alors j’ouvrais la messagerie vocale pour la trouver remplie. Peu importe qui m’avait appelé, iel n’avait pas pu me laisser un message.
Je jurais en chuchotant pour ne pas alarmer Isis, puis essayais de rappeler le numéro.
Évidemment, personne ne répondit. Je jurais de nouveau. Quelqu’un de ma famille avait surement essayé de me contacter, j’en étais sûr, et je ne pouvais pas savoir qui ni pourquoi pour le moment. Je me promis alors de ne plus jamais laisser mon téléphone s’éteindre et retroussais ma manche pour lire le numéro de Kendra.
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