Chapitre 20
Voilà deux jours que nous errions dans le quartier, attendant que Kendra réponde à mes appels ou me rappelle. Nous n’osions pas vraiment sortir du couvert des bâtiments, car la zone semblait traversée par une grande quantité d’anges.
Assis·e à distance de la fenêtre du magasin qui nous servait de planque, je suivais des yeux un groupe de créatures.
— Ils vont tous dans la même direction, faisais-je remarquer à Isis.
L’adolescente levait la tête du livre qu’elle avait trouvé dans notre dernière cachette pour regarder dehors et hochait la tête.
— Je pense qu’une fois Kendra retrouvée, nous devrions suivre cette direction.
Je croisais le regard d’Isis et elle articula :
« Et si on ne la trouve pas ? »
J’avais redouté cette question. Et la vérité était que je ne voulais pas y penser. Kendra était celle qui faisait avancer notre trio vers une direction. Sans elle, depuis quelques jours, nous étions comme en pause, incapables de prendre une décision.
Alors, je ne répondais pas à Isis, reportant mon attention vers l’extérieur.
Le ciel se couvrait de nouveau de nuages et bientôt, la pluie fit son arrivée, réduisant ma visibilité.
— Nous allons rester encore un peu ici, par cette pluie, nous pourrions être surpris bien trop facilement, lançais-je à la jeune fille.
Elle acquiesçait de nouveau, toujours plongée dans son livre.
Je jetais un regard à mon téléphone, était-ce raisonnable de retenter d’appeler Kendra maintenant ? J’attrapais l’appareil et le déverrouillais pour le reposer immédiatement en soufflant. La luminosité baissait doucement et lorsqu’il fit nuit, nous mangeâmes en silence une énième boite de conserve.
Isis prenait le premier tour de garde et je m’allongeais non loin d’elle, prêt·e à dormir malgré l’absence de fatigue.
Les yeux fermés, j’écoutais la respiration de mon amie et la pluie dehors, sombrant doucement dans un sommeil calme quand soudain, une vibration me faisait me relever vivement.
Le téléphone.
Je croisais le regard d’Isis et me jetais sur l’appareil pour décrocher.
— Allô ?
— Oz ?
Je croyais reconnaître la voix, mais je répondais bêtement :
— Oui ?
— C’est Kendra.
Je me retenais de sauter de joie et disais :
— Enfin ! Que s’est-il passé ? Tout va bien ?
— Je suis désolé, je n’ai pas pu répondre à vos appels avant. L’ange ne s’arrêtait pas, mais maintenant c’est bon.
— Où est-il ? Et toi où tu es ?
— L’ange s’est écrasé de fatigue devant ce que je pense être un nid.
— Un nid ?
— Je vous expliquerai. Où êtes-vous ? Est-ce que ça va ? Et Marcus ?
— Nous l’avons perdu. Je suis désolé, il nous a eus. Nous sommes dans de beaux quartiers, proches d’une grande avenue. Je peux t’envoyer les coordonnées. Tu veux nous rejoindre ou bien l’inverses ?
— Rejoignez-moi. Notre destination est le nid.
Je fronçais les sourcils, mais acquiesçait quand même alors qu’elle m’indiquait comment la rejoindre.
— Faites attention sur la route, la zone pullule de créatures.
Puis, elle raccrocha sans un mot de plus. J’expliquais alors à Isis ce que m’avait dit Kendra et nous décidâmes de partir le plus tôt possible. Et, alors que l’aube était encore loin et que la pluie se calmait, nous sortîmes de notre cachette.
Je prenais les devants essayant de me souvenir des indications de Kendra. Elle m’avait dit de continuer vers l’ouest, puis elle avait cité quelques noms de rues ainsi que le fleuve qui traversait la ville. Alors, je suivais l’ouest tout en essayant de ne pas nous perdre.
Il faisait sombre, la lumière de la lune apparaissait et disparaissait au grès des passages des nuages. Une légère pluie se remit même à tomber alors que nous approchions de l’eau. Nous tombâmes rapidement sur un pont, mais le traverser signifiait courir à découvert sur plusieurs dizaines de mètres et je préférais vérifier attentivement les alentours avant.
Appuyés contre un mur mouillé, nous nous mîmes à scanner le ciel et les toits à la recherche d’éventuelles créatures. L’obscurité et la pluie ne nous facilitaient pas la tâche.
J’allais prendre la décision de traverser, lorsque la lumière de la lune perça jusqu’à nous.
Mon regard balaya alors une dernière fois le haut des bâtiments et je me figeais.
Une silhouette se dressait non loin. La lumière pâle dessinait son profil humain. Je reprenais ma respiration et poussais Isis en arrière, glissant doucement vers l’angle du mur pour enfin disparaitre dans l’ombre tout en gardant mes yeux fixés sur l’inconnu·e.
Iel ne bougeait pas, tourné vers l’ouest, iel nous aurait vus traversé si nous y étions allés juste avant.
Isis tira sur mon bras et je chuchotais :
— Reste caché, il y a quelqu’un là-haut.
J’indiquais la direction d’un mouvement de la tête.
Nous attendîmes longuement, les nuages assombrirent de nouveau les alentours et la pluie forcie. Je ne voyais plus que vaguement la personne et, alors que je me disais qu’iel ne nous verrait surement pas si nous avancions, iel bougea.
De grandes ailes se déployèrent dans son dos et en un battement puissant, iel eut décollé pour disparaitre dans le ciel.
J’essayais de lae suivre des yeux, mais la pluie et le vent me brouillèrent la vue. Il n’y avait plus aucune trace de l’individu. Était-ce un ange ? Pourtant, j’aurais pu jurer avoir vu un nez, un menton, un profil humain.
Le visage tourné vers le ciel, je ne savais plus quoi penser et alors, Isis tira de nouveau sur mon bras. Je me tournais vers elle, la découvrant trempée jusqu’aux os. Ses cheveux, trop volumineux, ressortaient de sa capuche et collaient contre sa peau. Elle tremblait de froid.
— Allons-y, tu vas attraper froid.
J’essayais de rester calme, ainsi je la guidais le plus proche du pont, guettant toujours le moindre danger malgré les éléments qui m’en empêchaient. Arrivés au dernier bâtiment se dressant devant le fleuve, nous prîmes plusieurs inspirations et nous nous mîmes à courir sur le sol glissant.
Je laissais passer Isis devant moi, réglant ma vitesse sur la sienne. Pourtant, je sentais qu’elle aurait pu facilement me distancer. Mes cicatrices au ventre me tiraient furieusement. Les bâtiments de l’autre côté de la rive approchaient, plus que quelques mètres.
Le temps me parut ralentir, mais nous finîmes par trouver refuge contre du béton mouillé. Je reprenais difficilement ma respiration en souriant à Isis. Nous étions passés.
Nous reprîmes notre route avec précaution, Kendra n’était plus très loin et nous avions hâte de trouver un endroit pour nous abriter.
Mais avec la nuit et la pluie, j’avais de plus en plus de mal à me repérer, de plus, je ne connaissais pas du tout cette partie de la grande ville. Et, alors que je commençais moi aussi à trembler de froid, un bruit devant nous, nous fîmes nous cacher en vitesse derrière un muret.
Quelqu’un marchait au bout de la rue.
La faible visibilité nous empêchait de l’identifier, alors, nous restions silencieux·ses.
Pourtant, la silhouette se rapprochait dangereusement. Les yeux plissés, je me concentrais pour déterminer s’il y avait des ailes ou non alors que la pluie se calmait enfin. Je regardais de nouveau vers elle. Cheveux bruns rassemblés en une natte, vêtements sombres et surtout une lame dans la main.
— Je crois que c’est Kendra, chuchotais à Isis.
— Sûr·e ? articulait en silence ma camarade.
Je secouais la tête. Et si je me trompais ? Je préférais attendre encore un peu.
Ainsi accroupis, mes muscles tremblaient sous la fatigue et le froid. Ma main droite se posa sur la garde mouillée de mon épée alors que je pesais le pour et le contre de rentrer en contact de la silhouette.
— Si seulement je voyais son visage, marmonnais-je.
Je crois que Isis prit ça comme une demande et elle attrapa un caillou au sol qu’elle lança vers l’inconnu·e. Je me baissais brusquement pour me cacher entièrement derrière la pierre.
Il n’y avait aucun bruit, l’avait-elle touché ? Venait-elle de révéler notre présence ?
Je retenais ma respiration et glissais doucement un œil hors de ma cachette. La silhouette avait avancé et était maintenant complètement tournée vers notre direction. Ces yeux reflétèrent une lumière fugace et, enfin, je la reconnaissais.
Je me levai, retirant ma main de ma garde et souriais.
La brune s’approcha de moi pour que je vois encore plus en détail son visage.
— Vous en avez mis du temps. Je vous attends depuis des heures.
Isis se jeta dans ses bras. Nous avions enfin retrouvé Kendra.
— Vous devez mourir de froid, suivez-moi.
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