Chapitre 23
D’un pas chancelant, je longeais à nouveau un couloir à la lumière blanche. Tout mon corps criait de douleur, mais le pire était l’air qui me taillait la gorge à chaque respiration.
Je n’avais encore croisé personne, mais lorsqu’ils découvriront le corps calciné de Marcus, l’alerte serait donnée et je n’aurais plus aucune chance. Il fallait que je retrouve Kendra au plus vite.
Sauf que je n’avais absolument pas retenu le chemin qu’avait emprunté Marcus en me trainant derrière lui. Alors, j’avançais au hasard. Je ne pouvais pas crier le nom de ma compagne à cause de ma gorge, je doutais d’ailleurs de pouvoir ne serait-ce que parler.
Mais alors que je commençais à désespérer, un bruit de gros coups répétitifs attira mon attention. Je suivais le son et arrivais devant une porte. Quelqu’un semblait se jeter de toutes ses forces contre l’autre côté du battant.
Je m’en approchais et tournais la clef qui avait été laissée sur le verrou. Les coups cessèrent immédiatement. J’attrapais la poignée et ouvrais.
La personne recula jusqu’au fond de la petite pièce, restant le plus possible dans le noir. Pourtant, après un silence de quelques instants, une voix s’éleva :
— Oz ?
Kendra s’avançait vers moi avec précaution. Elle était toujours attachée, son épaule droite semblait tomber étrangement. Depuis combien de temps essayait-elle de défoncer cette porte ?
Sans un mot, je la détachais et me laissais glisser contre le mur pour me reposer un peu. Enfin, elle remarquait mon état.
— Oz ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
La brune se précipitait à mes côtés, son bras gauche ballant, elle se mit à m’ausculter. Elle grimaça devant les contusions de mon cou et demandait :
— Où est Marcus ?
— Mort, croassais-je.
— Tu ne devrais pas parler.
J’avais envie de lui dire qu’il ne fallait pas me poser des questions alors, mais j’obéissais.
— Je ne peux rien faire pour tes blessures pour l’instant, disait-elle en se redressant. Tu penses pouvoir marcher ?
J’acquiesçais, pensant qu’elle voulait fuir, et me levai pour la suivre.
Mais alors que nous marchions depuis à peine quelques instants, Kendra s’arrêta devant une porte similaire à celle derrière laquelle je l’avais trouvée. Elle entra, jeta un œil et ressortit. Elle fit de même avec plusieurs portes et je comprenais rapidement qu’elle ne cherchait pas la sortie.
— Kendra, chuchotais-je pour ne pas trop tirer sur mes cordes vocales abimées.
— Chut, ne parle pas, tu vas te faire mal, répondait-elle sans se retourner.
— Kendra, nous ne pouvons pas trainer plus longtemps. Il faut sortir d’ici.
La brune me fit alors face, les sourcils froncés.
— Nous ne pouvons pas partir. Pas maintenant que nous sommes si proches de retrouver les jumeaux.
— Mais Kendra ! haussais-je le ton quitte à en avoir mal. C’était clairement un piège de Marcus. Il n’y a rien ici pour nous.
— Je ne pense pas que Marcus soit aussi intelligent que ça. Tu n’étais pas là lorsqu’il a laissé échapper l’information sur des prisonniers. Je sais que nous ne sommes pas loin.
Elle se détourna de moi et continua son inspection de chaque pièce.
— Tu es libre de me suivre ou de t’en aller. Moi, je continue, ajouta-t-elle.
Sauf qu’elle savait très bien que je ne pouvais pas la laisser. Nous étions une équipe et j’étais blessé. Pourtant, il n’était plus qu’une question de temps avant que les ennuis ne nous rattrapent. Où étaient les gens qui nous avaient attaqués avec Marcus ? Se trouvaient-ils derrière l’une des portes que Kendra s’apprêtait à ouvrir ?
Je portais ma main à mon côté à la recherche de ma lame, mais je me rappelais qu’on me l’avait retirée lorsque j’étais inconscient·e. Nous étions désarmés chez l’ennemi, pourtant, je continuais à suivre ma compagne qui s’enfonçait plus avant dans le dédale de couloirs des coulisses du stade.
Les salles étaient toutes vides. Les plus petites semblaient effectivement pouvoir servir de cellule, mais ne renfermaient personne.
— Ne perdons pas espoir, n’arrêtait pas de répéter ma compagne.
Pourtant, je sentais qu’elle aussi désespérait. Depuis combien de temps marchions-nous ? Pourquoi n’avions-nous pas encore rencontré d’humain ou même d’ange ?
Je commençais sérieusement à me dire que nous étions condamnés à errer dans ces couloirs pour l’éternité, lorsque Kendra actionna une poignée qui résista. Cela faisait bien longtemps que nous n’étions pas tombés sur une porte fermée à clef.
— Il y a quelqu’un ?! tambourinait la brune sur la porte.
Je jetais des regards dans les deux directions du couloir, redoutant l’arrivée d’ennemis. Elle faisait beaucoup trop de bruit. J’allais lui faire remarquer lorsqu’une voix faible lui répondit.
C’était inaudible, mais il y avait bien quelqu’un.
— Surveille les alentours, m’ordonna-t-elle avant de s’agenouiller près de la serrure.
Elle sortit un crochet de l’une de ses poches qu’elle glissa dans le trou. J’étais toujours aussi étonné par ses compétences.
Après plusieurs tentatives, la porte se déverrouilla dans un clac sonore. La jeune femme poussa le battant avec force, laissant entrer la lumière dans la pièce exiguë.
Cette dernière éclaira une forme recroquevillée dans le coin le plus éloigné de l’entrée.
Nous nous approchâmes doucement. Les habits déchiquetés laissaient entrevoir des blessures diverses. Coupures, bosses, brûlures, toutes plus ou moins cicatrisées, voire encore ouvertes pour certaines. Mélange de chair brûlée et d’excréments, l’odeur était presque insupportable.
— Qu — qui est là ? croassait la chose en tremblant.
— C’est Oz et Kendra.
La forme se crispa à ces noms.
— Je ne vous crois pas, iels ne peuvent pas être là. Allez-vous-en.
Nous avions donc bien devant nous l’un des jumeaux. Mais lequel ?
— Relève la tête pour voir alors, proposa d’une voix douce la brune.
— Cela ne vous suffit pas de me torturer ?! s’énerva le garçon.
— Je t’assure que c’est bien nous, croassais-je difficilement.
— Oz, je t’ai dit de ne pas parler tu vas aggraver tes blessures, me grondait-elle avant de s’adresser de nouveau au jeune homme. Dis-nous seulement si tu es Kaleb ou Sam.
— Vous savez très bien qui je suis ! hurlait-il de sa voix cassée. Il ne reste que moi, Sam, parce que vous avez tué Kaleb !
Mon cœur s’arrêta de battre pendant ce qu’il me sembla une éternité.
Disait-il la vérité ? Kaleb était mort ? J’avais envie de me laisser tomber au sol et d’y rester pour toujours. Pourtant, je ne pus m’empêcher de penser à ce que m’avait dit un jour Kendra. Pas de corps, pas de preuves. Et j’étais persuadé que c’est ce qu’elle pensait en ce moment même.
Cette dernière s’était accroupie et avait attrapé le visage de San dans ses mains.
— K-Kendra ?
— Tu vois que c’est bien moi, imbécile.
J’entendais qu’elle souriait. Elle prit tout de même une voix dure pour lui demander :
— Comment sais-tu que ton frère est mort ?
— Je l’ai vu brûler, lâcha-t-il sans une larme.
Nous restâmes silencieuses. Il n’y aurait pas de corps si Kaleb avait été immolé par le feu. Je prenais sur moi et chuchotais pour ménager mes cordes vocales :
— Nous ne pouvons pas rester plus longtemps.
— Tu abandonnes ? me demanda-t-elle sans se retourner.
— Non, je recule pour mieux sauter. Si nous restons, nous serons de nouveau capturés et nous ne pourrons rien faire pour Kaleb. De plus, Sam est dans un sale état et nous n’avons pas d’armes.
— Sam ? Tu penses pouvoir marcher ?
Au vu de l’état de ses jambes, je me demandais pourquoi elle posait la question. Il était évident qu’il ne pouvait pas. Pourtant, je la regardais le redresser difficilement. Peut-être pourrait-il marcher alors, mais qu’en était-il de courir ?
Lorsque nous le sortîmes de sa cellule, il se protégea les yeux de ses bras maigres. À la lumière, il inspirait encore plus la pitié. À tel point que je détournais le regard.
— Je vais le porter, me disait Kendra. Nous irons plus vite. Tu devras nous protéger d’éventuels ennemis.
— Mais je ne suis pas armé !
— On avisera à ce moment-là.
Je repensais à ce que j’avais fait à Marcus et songeais que c’était peut-être faux. Si j’arrivais à reproduire le même exploit, et si je n’avais pas rêvé, je pourrais peut-être nous protéger. Le problème, c’est que je ne savais pas comment j’avais fait.
La brune souleva notre ami et commença à marcher rapidement, je la dépassais pour ouvrir la voie en priant pour ne rencontrer personne.
Nous arrivâmes devant une énième porte avec un écriteau scotché dessus disant « salle de pause ». Après avoir guetté le moindre bruit derrière le battant, j’ouvrais pour découvrir une salle plus grande avec plusieurs tables et chaises et une petite cuisine. Nous entrâmes et trouvais trois épées déposées contre une des chaises. Je me retenais de sauter de joie en reconnaissant la mienne. Je la replaçais à ma taille et tendais les deux autres à Kendra.
— Continuons, il faut trouver la sortie, disait Kendra.
Alors nous repartîmes dans les couloirs et bientôt, des rires se firent entendre devant nous. Ils semblaient humains.
— C’est probablement des gardes. Ils doivent surveiller l’entrée, supposa Kendra derrière moi.
J’attrapais ma lame d’une main et de l’autre je commençais à serrer et desserrer le poing pour essayer de faire réapparaitre les flammes. J’essayais toutes les formules que je connaissais dans ma tête. Abracadabra ! Incendio ! Dracarys ! Ou tout simplement des ordres. Allume-toi ! Feu ! Viens à moi ! Et même des gestes discrets que j’avais vus dans des films, séries ou manga. En vain.
Je ne me sentais pas du tout de combattre à l’épée, mon corps me faisait toujours souffrir et je tenais surement debout que grâce à l’adrénaline. Nous arrivâmes trop rapidement dans le dos des hommes. Je me jetais instinctivement sur le premier, espérant réussir à l’assommer, je ne voulais pas tuer. La garde de mon arme heurta son crâne et il s’effondra.
L’autre tira, mais me rata dans la panique. Avant qu’il ne s’en rende compte, j’étais sur lui. Toujours aucun feu, pas même une étincelle ou une chaleur. Mon poing non enflammé alla tout de même finir sa course dans son nez. Il tira de nouveau dans le vide et riposta en envoyant la crosse de son pistolet vers ma tête. J’esquivais, mais me prenais quand même le coup dans l’épaule. Cette dernière se déboita dans un clac sonore.
Je couinais et Kendra hurla mon prénom derrière moi.
En grognant, je balançais ma lame vers le ventre de l’homme, oubliant mon vœu de ne pas tuer. L’arme le transperça et je fus éclaboussé de sang chaud.
Ma tête bourdonnait et ma respiration devenait aléatoire, mais j’avais survécu à ce combat.
— Oz, il y en a d’autres qui arrivent. Cours !
Je jetais un œil derrière elle et repérais deux autres hommes et une femme. Je n’y arriverais pas. J’étais épuisé·e.
Alors j’obéissais à Kendra et courrais vers la sortie qui se trouvait à quelques mètres de là. Je ne savais pas où nous allions déboucher, s’il faisait jour ou non. Peut-être qu’une dizaine d’anges nous attendaient dehors.
Derrière moi, Kendra avait du mal à suivre. Sam avait beau avoir perdu du poids, il restait un poids mort sur son dos et courir avec devait être difficile. De plus, le garçon glissait et Kendra n’avait qu’un bras valide pour l’empêcher de tomber. Il fallait vraiment que nous sortions d’ici au plus vite.
Les deux nouveaux venus approchaient dangereusement. Armés de matraque, ils s’apprêtaient à me faire passer un sale quart d’heure.
— Aller… Aller… chuchotais-je en frictionnant les mains l’une contre l’autre.
Si seulement je pouvais les arrêter avec un mur de flammes ou même une boule de feu. Rien ne venait et la première arme s’abattit tout près de Kendra.
À force de courir en jetant régulièrement des coups d’œil derrière moi, je finissais par m’étaler par terre. La porte était juste devant moi. Kendra me dépassa, mais s’arrêta devant le double battant. Je me relevais avec difficulté, prêt·e à faire face à nos assaillants malgré la fatigue pour permettre à Kendra et Sam de sortir.
Mais ils étaient trois, il fallait que Kendra se dépêche.
J’allais lui crier de fuir lorsqu’une lumière verte s’enroula autour de nos ennemis. Après quelques secondes d’éblouissement, je les retrouvais se roulant au sol. Des flammes léchaient la chair, les enveloppant dans un cocon vert mortel.
Ces flammes ne venaient pas de moi. J’en étais sûr. Je me retournais immédiatement vers Kendra qui me regardait avec des yeux étranges. Pendant une fraction de seconde, ses yeux luisaient d’un éclat aussi vert que les flammes qui dévoraient les cadavres devant de moi.
C’était elle.
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