Chapitre 24
Je ne parlais pas, je n’en avais plus la force. Je ne faisais que la suivre, mécaniquement. J’étais comme un automate désarticulé que l’on trainait derrière soi.
La brune nous emmena dans un immeuble qui ressemblait à tous ceux aux alentours. Je ne pris pas le temps de dire quoi que ce soit et m’affalais sur l’immense canapé avant de m’endormir immédiatement, à moins que je ne perde connaissance.
Je me réveillais pourtant en hurlant quelque temps plus tard. Une douleur dans mon épaule m’avait réveillé.
— Je l’ai replacé, désolé. Il ne fallait pas plus tarder, disait Kendra près de moi.
J’avais des bandages un peu partout et une crème épaisse avait été étalée sur mes bleus et mes bosses.
— Combien de temps j’ai dormi ? demandais-je en me redressant.
Ma voix était toujours dans un sale état.
— Deux jours.
— Comment va Sam ?
— Il est toujours inconscient. J’ai eu peur qu’il ne se réveille plus jamais, mais son état s’améliore.
— Bien. Nous allons pouvoir discuter alors.
— Tu devrais avaler quelque chose avant.
Elle me tendait une assiette de lentilles que j’avalais en quelques secondes. Je lui rendais et répétais :
— Nous allons pouvoir discuter, maintenant.
Il y eut un silence, elle me souriait gentiment.
— Je ne sais pas par quoi commencer…
— Tu pourrais me dire qui tu es, par exemple.
Je vis sur son visage que je l’avais blessé. Mais, j’avais l’impression de me trouver face à une inconnue alors j’ajoutais :
— Est-ce que ce que tu nous as raconté à Isis et à moi sur ton passé est vrai ? Qu’est-ce qui est vrai chez toi ? Est-ce que tu t’appelles vraiment Kendra ? Est-ce que je deviens taré·e ?
— Tout ce que j’ai dit est vrai. Je m’appelle vraiment Kendra, Oz. Je te le jure. C’est juste que…
— Tu nous as caché tes talents de pyrokinésie ?
— Oui.
Elle semblait hésiter à ajouter quelque chose. Je laissais durer le silence, la fixant avec des yeux que je voulais curieux, mais qui devaient surement la mettre un peu mal à l’aise.
Elle prit une grande inspiration et lâchait :
— Je ne suis pas humaine.
On aurait dit que le fait de le dire la libérait d’un poids énorme. Pourtant, elle venait d’en rajouter un sur mes épaules à moi. J’avalais bruyamment ma salive alors qu’elle disait :
— Je ne l’ai jamais dit à voix haute, tu sais, disait-elle en riant.
— Et… qu’est-ce que tu es alors ?
Je redoutais la réponse, car je ne pouvais que faire le lien de ses pouvoirs avec ce qui était arrivé face à Marcus. Si elle n’était pas humaine, qu’étais-je moi ?
— Tu te souviens de la discussion que tu as eue avec Kaleb où vous rigoliez sur l’existence potentielle des démons ?
J’acquiesçais en retenant ma respiration.
— Je suis un démon.
— Mais, tu…
— J’ai l’air humaine. J’ai vécu parmi les humains toute ma vie. Je suis toujours la même Kendra, Oz. Je n’ai pas changé.
— Est-ce que les démons vont envahir la Terre comme les anges ?
Kendra ne put retenir un rire et devant mon air sérieux, elle disait :
— Pas du tout !
— Qu’est-ce que tu fais ici alors ?
— Sur Terre tu veux dire ? Eh bien, ma mère y a été envoyée pour surveiller les jumeaux.
— Pourquoi ?
— Kaleb et Sam sont aussi des démons.
J’ouvrais la bouche prêt·e à lui demander pourquoi j’étais lae seul·e à ne pas être au courant quand elle ajouta :
— Ils ne le savent pas. Ils pensent être des humains.
— Qui sont-ils ?
— Je ne peux pas tout te révéler.
— Si tu veux que je te fasse de nouveau confiance, il va falloir tout me dire. Qui sont-ils ? Je veux savoir d’où vient le sang que vous m’avez transfusé. Je dois savoir ce qu’il m’arrive, Kendra.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tes crises de terreurs ont cessé, non ?
J’hésitais et elle le sentit :
— Oz ?
— Marcus, je l’ai tué avec des flammes, lâchais-je d’une traite en fermant les yeux.
Kendra resta silencieuse et j’ouvrais un œil pour apercevoir son visage. Elle semblait soucieuse et réfléchissait surement à quoi me dire.
— Je ne m’attendais pas à ça. Si j’avais su…
— Sans ce sang, je serais mort·e.
— Ce sang t’a changé, Oz. Il faudrait que j’analyse ton sang, mais je crois que tu es devenu une sorte de sang-mêlé.
Je restais sans voix. Je n’étais plus qu’à moitié humain·e.
Kendra continuait de parler, mais je ne l’écoutais plus que d’une oreille.
— … je pensais que tu finirais par rejeter ce sang de démon, tu en avais tous les signes. Pourtant, lorsque j’ai vu que tu guérissais si vite, et ne parlons pas de ton œil, j’aurais dû savoir que ton ADN avait changé.
— Tous les démons peuvent utiliser des flammes ? demandais-je distraite.
Je n’arrivais pas à penser à autre chose. Je n’étais plus humain·e. Avais-je encore ma place sur Terre ?
— Oui, mais chaque flamme à sa spécialité, répondait la jeune femme, contente de me voir intéressé. Les miennes sont vertes, car leur spécialité est de soigner.
— Les miennes sont blanches, faisais-je remarquer de nouveau concentré sur la conversation.
— Je ne connais pas les propriétés des flammes blanches, disait-elle pensive. Je n’en ai jamais vu, mais comme je te l’ai dit, j’ai toujours vécu sur Terre.
Je perdais de nouveau le fil. Et si ma famille ne voulait plus de moi ? Comment continuer à combattre les anges alors que moi-même, je n’étais plus humain·e ? Étais-je encore légitime ?
— Oz ? Tu m’écoutes ?
— Oui, désolé. J’ai du mal à me concentrer.
— Est-ce que tu as mal au crâne ? Tu as pris un coup sur la tête ? Tu as peut-être une commotion.
— Non, ça va. J’ai pris des coups sur la tête, mais ça va. C’est juste que je me pose beaucoup de questions sur moi-même, avouais-je gêné·e.
Elle me souriait gentiment et posa sa main sur mon épaule.
— Je comprends et si tu as la moindre question, je suis là.
Je hochais la tête, reconnaissante lorsque son visage changea d’expression.
— Qu’est-ce qu’il y a ?!
— Des gens approchent, ils sont nombreux.
Elle s’était relevée, dans sa main brillait une de ses lames. J’attendais qu’elle m’en donne une, lorsqu’on toqua à la porte. Nous nous figeâmes. Quel genre d’ennemi toquait avant d’attaquer ?
Kendra finit par aller doucement jusqu’à l’entrée et posa son œil contre le judas.
— Isis ?
J’entendais dans sa voix qu’elle était surprise. Après tout, c’était à nous de la retrouver, pas l’inverse.
— Tu as l’air accompagné, disait la brune méfiante.
— Oui, nous sommes des alliés d’Isis, répondait, non pas Isis qui était toujours muette, mais une voix féminine qui me paraissait familière.
Ma compagne se tourna vers moi pour me dire :
— Je crois qu’Isis articule qu’il faut la laisser entrer elle et son ami·e.
— À quoi ressemble-t-iel ?
— Iel fait la taille d’Isis, peut-être un peu plus grand·e. Mais iel porte un masque qui cache son visage.
— Laisse-les entrer, lui disais-je. Mais donne-moi une arme.
Elle me souriait et m’envoyait son épée. La lame fit une belle parabole avant d’atterrir dans ma main.
— Et toi ? demandais-je.
— J’ai plus d’un tour dans ma manche, ne t’inquiète pas, me disait-elle avec un clin d’œil.
Elle ouvrait alors en grand la porte, faisant une magnifique révérence pour inviter les deux jeunes filles à entrer. Ces dernières s’exécutèrent, Isis arborant un sourire heureux tandis que l’attitude de son amie restait mystérieuse et indéchiffrable.
Kendra se posta devant la porte fermée et attendit que les nouvelles venues prennent la parole. De mon côté, je tenais ostensiblement la lame pour les prévenir que j’étais prêt·e à tout. Le sourire d’Isis disparut doucement. Elle ne comprenait manifestement pas pourquoi nous étions hostiles.
— Je veux voir vos mains, ordonnais-je.
Les deux filles obéirent doucement.
— Que faites-vous ici ? demandais-je. Comment en es-tu arrivé à trainer avec de nouvelles personnes, Isis ? Qui sont-ils ? Qui est-iel ? Pourquoi ce masque ?
Isis prit une grande inspiration, prête à articuler toute l’histoire, mais sa compagne l’arrêta.
— Laisse-moi expliquer, Isis.
Décidément, je reconnaissais cette voix.
— Je dirige un groupe de jeunes survivants, Oz. Nous avons rencontré Isis par hasard et elle nous a demandé de l’aide. Toi et ton amie étiez rentrés dans le nid depuis si longtemps. Nous vous avons vu sortir des sous-sols et nous vous avions suivis. Nous ne voulions pas vous faire peur, vous étiez blessés et fatigués.
— Comment se fait-il qu’Isis vous ait fait confiance aussi facilement ?
— Tout simplement, car tu lui avais déjà parlé de moi.
Elle retira son masque, révélant de la peau brûlée, pourtant, je la reconnaissais immédiatement. Ces cheveux blonds et bouclés auraient dû me mettre la puce à l’oreille.
— Amélia… murmurais-je.
— Oz.
— Tu es en vie ! m’exclamais-je en lui sautant au cou.
— Oui, ça s’en est fallu de peu cela dit.
— Comment ? demandais-je sans réussir à formuler ma question.
— Comment j’ai eu la moitié de mon visage brûlé ? Longue histoire. Je te la raconterais plus tard. Il faut qu’on vous mette à l’abri. De plus, vous avez clairement besoin de soins médicaux.
Je voyais près de la porte que Kendra me questionnait du regard. Je lui souriais grandement avant de dire :
— Nous allons te suivre, mais avant, Kendra, je te présente Amélia, ma petite sœur.
— Des gens encerclent le bâtiment… commença Kendra.
— Ce sont mes hommes, la coupa Amy que j’avais relâchée de mon étreinte. N’ayez crainte, ils sont là pour sécuriser la zone. Vous n’êtes pas sans savoir que nous sommes très proches du nid.
J’acquiesçais avec sérieux. Nous ne devrions pas trainer plus longtemps.
— Je vais demander à deux d’entre eux de porter votre ami inconscient, continuait la blonde.
— Non. Je m’en occupe, je suis son infirmière attitrée, souriait la brune.
Ma sœur hocha la tête et siffla quelques notes. Un jeune homme apparut derrière Kendra qui sursauta.
— Jasper, nous y allons. Préviens les autres.
Le garçon posa son poing sur son cœur en guise de salut puis s’en alla. Kendra alla immédiatement au chevet de Sam qui n’avait toujours pas repris connaissance. Elle vérifia son pouls et quelques-uns de ses pansements avant de le redresser doucement. Mon cœur se serra à la vue du corps du garçon. Je me rendais alors compte que cela devait être pire pour la brune. C’était sa famille.
Amélia prit la tête de notre petit groupe. Nous descendîmes les escaliers en silence. Je ne pouvais m’empêcher de sourire lorsque je regardais ma sœur. Notre relation n’avait pas toujours été simple, mais une apocalypse changeait tout. J’étais heureuse qu’elle soit en vie. Cela me redonnait de l’espoir pour le reste de ma famille.
Nous débouchâmes dans la rue déserte. Il faisait nuit. Je ne voyais aucun des hommes d’Amy, pourtant je sentais leurs regards sur nous.
Nous ne marchâmes pas longtemps.
Deux jeunes hommes, dont Jasper, nous attendaient près d’une bouche d’égout. Ils soulevèrent la plaque et Amélia se glissa dans le trou sombre sans que j’aie le temps de poser la moindre question.
Je lançais un regard à Kendra qui haussa les épaules, soulevant par ce fait Sam endormi.
— Tu penses avoir besoin d’aide ? chuchota Jasper à la brune.
Cette dernière fit signe que non et s’enfonça dans la terre avec notre ami sur le dos. Je la suivais rapidement puis les deux garçons nous suivirent, refermant derrière eux. Le noir nous enveloppa alors.
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