Chapitre 28
Les deux soleils rouges se levaient doucement, je m’étais réveillé tôt exprès pour les voir. Le ciel se colorait des mêmes couleurs que sur Terre, rose, orange, bleu.
— C’est magnifique, disait Kendra à mes côtés.
Je ne l’avais pas entendu se réveiller. Je souriais en silence, ma rencontre avec la jeune femme était l’une des choses qui m’évitaient de trop penser à ma vie d’avant. Nous observâmes le ciel un long moment, aucun nuage ne gâchait le spectacle apaisant.
Lorsqu’enfin les astres furent assez haut dans le ciel, la précarité de notre situation me revint en pleine face. Comment pouvions-nous ne rien faire pendant si longtemps alors que Kaleb était peut-être en danger ?
Je me relevais vivement et fis quelques mouvements. Les chevaux semblaient impatients de galoper, moi un peu moins. Ma compagne s’en rendit compte rapidement et me tendit une collation.
— Ne t’inquiète pas pour la chevauchée, je vais t’apprendre.
— Nous n’avons pas le temps pour ça, disais-je à contrecœur. Tu avais l’air inquiète pour Kaleb lorsque la serveuse a parlé de Bélial. D’ailleurs tu ne m’as pas encore expliqué pourquoi.
— C’est vrai, ramassons nos affaires. Nous en parlerons sur la route.
J’obéissais et, en quelques minutes, nous fûmes en selle. J’avais encore mal aux fesses de la chevauchée de la veille, mais ne laissait rien paraitre. Nous allâmes plus vite cette fois-ci, avalant les kilomètres et détruisant encore plus mon postérieur. Finalement, Kendra ne me parla pas du trajet, on aurait dit qu’elle organisait ses pensées, essayait-elle de me cacher quelque chose ?
Lorsque nous nous arrêtâmes pour manger, elle engagea enfin la conversation.
— As-tu quelques notions sur les enfers ? As-tu déjà entendu parler de Bélial ?
— Non, seulement que c’est censé être horrible et que les âmes des morts qui ont fait des trucs mauvais dans leur vie y sont envoyées. Mais bon, tout ça a été rapidement invalidé, riais-je. Pour Bélial, ça ne me dit rien.
— Parfait, on n’aura donc rien d’autre à déconstruire. Bélial et, comme les jumeaux, l’enfant de Lucifer. Pourtant, il a coupé les ponts avec Lucifer après avoir reçu des terres qu’il gouverne maintenant. Il est le plus mal aimé des démons et surtout plein de ressentiment. Si on devait suivre les descriptions que l’on trouve sur Terre sur les démons, seul Bélial y correspondrait vraiment. Évidemment, comme chez les humains, il y a des démons bons et d’autres mauvais, mais Bélial bat tous les records de haine. Ce témoignage me vient de mes parents, j’espère sincèrement qu’ils avaient tort.
— Pourquoi ?
— Parce que si Kaleb est vraiment parti avec lui, peut-être que Bélial a réussi à le monter contre Lucifer.
Je manquais de m’étouffer avec mon morceau de pain. Je n’avais aucune envie de gérer un conflit familial alors que la Terre était sous l’emprise des anges.
— Je sais ce que tu penses, disait la brune. Nous n’avons pas le temps pour ses bêtises, mais si nous voulons retrouver Kaleb, il va nous falloir emprunter ce chemin.
Son ton était presque grave, dans quoi je m’étais encore fourré ? J’essayais donc de détendre un peu l’atmosphère.
— Kaleb va m’entendre s’il s’est allié avec ce démon, disais-je avec sourire cruel faisant rire ma compagne.
Le reste du repas se passa plus ou moins en silence, puis nous remonta en selle.
— Il n’y a pas d’autre moyen de transport ici ? râlais-je en me frottant les fesses.
Kendra, plusieurs mètres devant moi et qui n’étaient pas censés avoir entendu, me répondit pourtant :
— Si, le train, qui relie les différentes villes entre elles. Mais la région de Bélial est plutôt isolée, nous aurions mis bien plus de temps.
— Pourquoi ? Trop de changement ?
— C’est ça, nous aurions dû passer par la capitale, nous n’avons clairement pas le temps.
J’acquiesçais doucement, c’était bon à savoir. J’espérais pouvoir revenir en enfers un jour, pour visiter, quand tout se sera calmé. Dans l’éventualité où je survivrais.
Les kilomètres s’engrainaient tandis que les soleils descendaient inexorablement vers l’horizon.
— Nous dormirons encore à la belle étoile ce soir, il n’y a aucune ville dans les parages.
— C’est fou comme la nature est présente en dehors des cités, faisais-je remarquer.
— Oui, c’est un souhait de Lucifer. Les démons n’ont pas le droit d’habiter en dehors des villes pour laisser la place à la faune et à la flore. Seules les voies de chemin de fer dénaturent réellement la campagne et les forêts.
— Et l’agriculture ?
— Il y a des zones dédiées. Peut-être que nous en verrons quelques-unes proches de chez Bélial.
La nuit tomba finalement et nous nous arrêtâmes.
Comme la veille, nous mangeâmes rapidement puis nous nous endormîmes autour du feu. Les bruits de la vie nocturne, nous entourâmes alors. Cette fois encore, je ne m’endormis pas tout de suite. J’essayais de reconnaitre les bruissements, des craquements et les cris qui résonnaient sous le ciel étoilé. Certains ressemblaient à des oiseaux, d’autres à des prédateurs que le feu tenait à distance.
Bercé·e par tout ce beau monde, je finissais par m’endormir.
Devant moi se dressait un immense château dont les tours se dressaient vers le ciel rouge. Ce dernier, alors que je le fixai, coula doucement vers le sol. Visqueux comme du sang, il se répandait sur la terre, se rapprochant de mes chaussures. Je faisais quelques pas en arrière, mais la chose s’arrêta.
Elle se mit à bouillir et à grandir, formant une silhouette imposante.
Faisant presque le double de ma taille, l’homme me regardait à travers le heaume de son casque en métal rouge comme le reste de son armure.
Bélial.
Sa voix résonna alors :
— Intrus ! Pensais-tu pouvoir regarder sans être vu ?
Je ne comprenais pas pourquoi il me disait cela. Où est-ce que je me trouvais ?
— Alors ? Tu ne dis rien ? Très bien, je viens te chercher.
Il tendait alors le bras sans un bruit, ses doigts s’allumèrent d’une lumière violette. Je ne pouvais plus bouger. Les flammes se rapprochaient horriblement de mon visage, il fallait que je fasse quelque chose.
Je fermais vivement les yeux.
Lorsque je les rouvrais, je me trouvais près du feu, de l’autre côté dormait Kendra. Je soufflais un grand coup, ce n’était qu’un rêve.
Je replaçais mon pull sous ma tête et m’apprêtais à me rendormir, quand soudain, les flammes prirent une teinte violette. Je hurlais de surprise, attrapais ma gourde et balançais tout son contenu sur le foyer. Dans un sifflement, les dernières braises s’éteignirent. Je m’affalais alors au sol, dans le noir.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? entendais-je ma compagne crier.
— Désolé, Kendra. Je crois que Bélial a eu vent de notre existence.
Je lui décrivais en détail ce que je pensais être un rêve puis l’apparition dans notre feu de camp.
Nous n’attendîmes pas le lever du jour pour faire nos affaires et déguerpir loin de notre campement. Kendra avait pris au sérieux mes avertissements, d’après elle, temps que Kaleb ne serait pas en sécurité, nous ne pouvions pas nous permettre d’être négligentes et irresponsables. De plus, nous ne savions pas encore quelles étaient les spécialités de mes flammes blanches. Peut-être que mes rêves en faisaient partie ?
Nous galopâmes toute la journée, l’ambiance était pesante. J’avais l’impression que nous pouvions être attaqués à chaque tournant, que Bélial se cachait derrière chaque arbre, chaque buisson. Il avait réussi son coup, j’étais terrifié.
Chaque nuit, nous dormions peu et mal, mais nous nous rapprochions de notre but, de la gueule du loup. La nature changea doucement, les arbres se faisaient plus rares. Nous étions de plus en plus à découvert.
Enfin, nous aperçûmes la ville grise. En son centre se dressait le château que j’avais vu en rêve. De loin, l’agglomération semblait vide, étions-nous au bon endroit ?
— Quel est le plan ? demandais-je alors que Kendra descendait de selle.
— Nous allons laisser les montures ici, à l’abri. Nous nous faufilerons dans la ville cette nuit.
— Il n’y a pas de risque qu’il y ait un sort similaire à Zael autour de la ville ?
— Il y a toujours un risque, mais je ne pense pas. Par contre, autour du château…
— Par rapport à ce que j’ai vu en rêve ?
— C’est ça. Il faudra faire très attention.
J’acquiesçais, le visage grave. J’essayais de ne pas penser a ce que nous allions y trouver. Et si Kaleb n’était pas là ? Et si, pire encore, il était mort ? J’avais mis en pause ma lutte contre les anges, pour venir le chercher, il avait intérêt à être là.
Je repensais à de nombreux héros qui disaient à leur coéquipier, « si tu meurs, je te tue. » Quelle bande d’imbéciles.
Lorsque je descendais enfin de ma monture, je remarquais que ma compagne s’affairait à dessiner des symboles sur le sol poussiéreux.
— Pour protéger les chevaux, m’expliquait-elle avant que je pose la question. Profites-en pour manger.
J’obéissais, m’asseyant plus loin avec mon sac. J’en sortais un morceau de pain et de la viande séchée. L’estomac serré, je mangeais sans vraiment avoir faim.
La nuit tomba si rapidement, que j’en vins presque à regretter d’avoir mangé aussi lentement. Il était temps d’y aller. Je sortais de son fourreau la lame que m’avait donnée Kendra, ma propre épée me manquait terriblement. Mais elle était angélique et n’aurait jamais pu entrer en enfer.
Simple et finement aiguisée, ma nouvelle arme était plus lourde et un peu plus longue. Je ne m’étais que peu entrainé avec.
— Ne t’inquiète pas pour ça, disait Kendra derrière moi. Ce n’est pas la lame qui fait le bretteur, tu sais te battre.
— Merci d’être là, Kendra.
Elle ne disait rien, mais même sans me retourner, je pouvais savoir qu’elle souriait. Je me levais, prête à la suivre dans la gueule du loup.
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