Chapitre 29

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Sous le couvert de la nuit, nous pénétrâmes dans la cité. Comme des ombres parmi les ombres, nous longeâmes les murs gris des habitations cubiques qui semblaient vides. Au détour d’une rue, la forteresse apparue, écrasante dans notre champ de vision. D’un gris plus sombre que le reste de la cité, comme si elle avait été directement taillée dans la roche, elle me terrifiait.

Ma compagne ne semblait pas affectée par l’aura du bâtiment, elle s’était même un peu plus avancée, risquant de se faire repérer.

— Tu vois quelque chose ? me demandait-elle.

— Euh non…

— Rien de semblable à Zael ? Pas de symboles au sol ?

— Ah, non. Tout à l’air ok.

— Parfait, allons-y. Prépare-toi à devoir te battre.

Elle s’élança sans attendre ma réponse vers les grandes portes closes. Un peu surprise par sa stratégie quelque peu brutale et irréfléchie, je la suivais tout de même. J’arrivais à sa hauteur alors qu’elle poussait l’un des battants qui s’ouvraient dans un grincement.

— Mais ça va pas de courir comme ça ? chuchotais-je sous tension.

Kendra m’ignora superbement avant de pénétrer dans l’antre de la bête. Très sombre, l’entrée me donna immédiatement froid dans le dos, il n’y avait personne, pourtant, je sentais comme un regard sur nous.

— Tu as un plan ? demandais-je.

— Il faut qu’on fouille ce château. Mais ça risque d’être long et je ne sais pas combien de temps nous avons devant nous.

— Commençons par le sous-sol.

— Pourquoi ?

Je haussais les épaules :

— Une intuition.

Elle me souriait avec malice avant de dire :

— Très bien, nous commencerons par le dernier étage alors.

Comment pouvait-elle être aussi détendue ? Ne se rendait-elle pas compte de notre situation ? À moins que ce ne soit qu’une façade.

— Ne fais pas cette tête, on va suivre ton intuition, me disait-elle avec un coup de coude.

Ainsi passa-t-elle devant, lame au clair. Nous tombâmes rapidement sur l’escalier menant aux cachots, son humidité et son odeur de moisi me firent quelque peu hésiter. Cet endroit semblait peu fréquenté. Mon intuition était-elle la bonne ? Et si je nous faisais perdre du temps ?

— Peut-être qu’on devrait se séparer, proposais-je. Au cas où je me tromperais.

— Et comment tu comptes me prévenir si tu le trouves ? Ou pire, si tu tombes sur Bélial ?

Je ne répondais pas, elle avait raison comme toujours. Ainsi s’engagea-t-elle dans les escaliers, la mine plus sérieuse. Nous descendîmes dans l’obscurité, les poils de la nuque hérissée et les muscles tendus. Les marches étaient glissantes, rendant notre avancée plus dangereuse encore. Cette dernière dura une éternité, d’autant plus que le silence nous accompagna tout le long.

Enfin, j’entendis les pas de Kendra rencontrer une autre sorte de sol.

Je posais une main sur son épaule, comptant sur elle pour me guider et lui faisant comprendre que j’étais là. Nous avançâmes quelques minutes dans le noir lorsqu’une lumière violette glissa le long des grosses briques humides qui composaient les murs. Changeante et charriant une chaleur agréable, elle aurait pu être réconfortante si sa couleur ne me rappelait pas le feu qui avait suivi mon cauchemar.

Le crissement caractéristique d’une lame sortant de son fourreau confirma mes peurs.

— Prépare-toi, disait ma compagne.

Nous débouchâmes dans une salle si grande qu’on aurait dit une grotte. De nombreuses alcôves surplombaient l’espace au centre duquel se tenait bien droite la personne pour qui nous étions descendus en enfer.

— Kaleb ! m’exclamais-je en m’élançant vers lui.

— Attend, Oz ! C’est surement un piège.

Trop tard. J’étais à quelques pas du garçon lorsqu’il se jeta sur moi. Je ne remarquai son épée que lorsque cette dernière cliqueta contre ma propre lame que j’avais levée in extrémis. C’était donc lui que nous avions entendu dans le tunnel. Où était Bélial ? Pourquoi Kaleb m’attaquait-il ?

— Oz ! criait Kendra devant l’agressivité du jeune homme. Il n’a pas l’air lui-même, regarde ses yeux.

— Je m’en occupe, Kendra. Explore la caverne, Bélial ne pas être loin. Je suis sûr que c’est lui tire les ficelles.

Je l’entendais acquiescer et me reconcentrais sur mon combat. La lame de mon ami crissait toujours contre la mienne, bloquée par la position que je lui avais imposée. Je le repoussai violemment pour mettre de l’écart entre nous. Et tentais de comprendre ce qu’il se passait.

— Kaleb, c’est moi, Oz. Tu ne me reconnais pas ? Avec Kendra on est venu te chercher.

Comme seule réponse, il attaqua. Je parais de nouveau en prenant toute la violence du choc dans les bras. Je grimaçais, il ne s’était pas ramolli, loin de là. Cette fois-ci, il ne se laissa pas bloquer et enchaina les attaques tandis que je refusais de faire de même. J’étais venu jusqu’ici pour le sauver pas le déchiqueter, il était hors de question que je le blesse. Cela dit, je doutais de mes capacités à y arriver. Je me contentais donc de parer ses assauts, ce qui semblait passablement l’énerver.

— Je ne te reconnais pas, Kaleb, disais-je.

Mais mon adversaire ne semblait pas m’entendre, à moins qu’il n’ait aucune envie de me répondre. Lorsque je croisais son regard pour la première fois, je comprenais alors qu’il ne me voyait pas vraiment. Ces yeux semblaient voilés, il était dans un autre monde, probablement coupé du mien. Comment le ramener près de moi ?

Je décidais d’attaquer, je savais qu’il était capable de bloquer la plupart de mes attaques, après tout, c’était lui qui me les avait apprises. Il ne risquait rien, du moins je l’espérais. Pourtant, lorsque ma lame s’élança vers lui, il ne bougea pas et il me fallut un grand effort pour dévier mon coup qui frôla son épaule droite.

— Qu’est-ce que tu fais ? Tu veux que je te tue ou quoi ? m’énervais-je. Je suis là pour te sauver ! Tu pourrais être un peu plus reconnaissant.

— Je n’ai pas besoin d’être sauvé par une fillette.

Sa voix autant que ces mots me glacèrent le sang, froids et tranchants comme une lame, ils me firent mal au cœur.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Tu te crois si spéciale et si forte que tu peux venir comme une fleur dans le royaume de Bélial et me ramener avec toi ? Tu n’es pas spéciale, Oz. Tu as seulement eu de la chance. De la chance de survivre le jour de l’attaque, de la chance que je te trouve quand tu as mis le feu à ce tas de cadavres, de la chance que je te ramène à la résistance, de la chance que je t’entraine, de la chance que je te donne mon sang pour que tu puisses survivre, de la chance que je me sacrifie pour que tu survives…

Il ne s’arrêtait plus, me mégenrant et me balançant toute notre histoire à la gueule. Chaque mot était un poignard de plus dans ma poitrine. Comment osait-il ? Il ne savait pas ce que j’avais enduré pour venir jusqu’ici ! J’allais lui hurler tout ce qui débordait au plus profond de moi lorsqu’il se mit à rire.

— Qu’est-ce qu’il y a ?! demandais-je avec méchanceté.

— Rien.

Pourtant, il riait à pleine dent, comme se moquant ouvertement de moi. Je me jetais sur lui.

Il para aisément tandis que je frappais toujours plus fort, plus vite. Mes mouvements n’étaient pas les bons, les émotions m’empêchaient de réfléchir correctement. Et lui riait toujours.

Kaleb finissait par me désarmer.

L’épée s’envola puis rebondit sur le sol minéral, hors de portée. Il avait arrêté de rire, maintenant, le garçon me regardait avec froideur. Il allait me tuer.

Les mains nues, je le regardais avancer, prêt à en finir. Je serrais les poings au point de me planter les ongles dans la peau. Soudain, des flammes blanches s’enroulèrent autour de mes avant-bras, presque contre mon gré. Je souriais alors à mon tour, même sans arme, je pouvais encore m’en sortir et qui sait, peut-être retrouver le Kaleb que je connaissais. Car j’en étais persuadé, il était manipulé, Kaleb n’aurait jamais dit ça.

— Je sais que ce n’est pas toi le vrai Kaleb. Où as-tu mis mon ami ?

— Mais voyons, qu’est-ce que tu racontes. Je suis le seul et unique Kaleb, désolé que ma vraie nature ne te plaise pas, mais c’est comme ça.

Toujours cette voix sans émotion et ses yeux presque blancs. Toujours cette façon de parler, comme si quelqu’un lui soufflait ce qu’il devait dire. Ces mots ne faisaient que renforcer mon idée, à moins que je ne veuille tous simplement pas reconnaitre que notre expédition en enfer était un échec.

Était-ce un double ou était-il simplement possédé ? Comment le savoir ?

Le faux Kaleb se tenait maintenant trop près de moi, je faisais quelques pas en arrière, prêt·e à esquiver ses attaques tout en essayant de mettre en place une stratégie. À côté de tout ça, j’essayais de ne pas penser à Kendra. Tout irait bien pour elle, elle maitrisait ses flammes bien mieux que moi et était plutôt bonne bretteuse.

Le brun attaqua soudain, me laissant que peu de marge pour éviter sa lame, j’esquivais ainsi pendant plusieurs minutes, m’essoufflant doucement, mais surement. Mes poings, toujours enflammés, n’arrivaient jamais à atteindre leur cible et je n’arrivais pas à les projeter. L’usurpateur me tenait à distance grâce à la longueur de son épée tout en tentant de m’infliger des blessures.

Tout à coup, l’évidence se présenta à moi, douloureuse.

Épuisé·e, sa lame finissait par tracer une ligne sur mon torse. Arrêtant notre dance du chat et de la souris, sa lame repassa une nouvelle fois et se planta dans mon ventre.

Ébaubi·e, je croisais de nouveau son étrange regard et, tentant le tout pour le tout, je m’empalais encore plus sur la lame me rapprochant de lui. Il tenta de se dégager, mais j’attrapais sa main posée sur la garde de son arme, le bloquant d’autant plus. Du sang commençait à me remonter dans la gorge, le gout ferreux glissant sur ma langue.

Presque collé à lui, je lui souriais, les dents pleines de sang et posais ma main libre sur son front. Toujours couvertes de flamme, ces dernières firent leur rôle. Je ramenais l’esprit de Kaleb à la réalité.

— Oz, murmura-t-il alors que ses yeux retrouvaient leur teinte d’origine.

Je souriais de nouveau en entendant sa voix légèrement grave et chaude avant de m’effondrer. La lame s’arrachant de mes entrailles. Il était sauvé, j’étais fichu·e.

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