Chapitre 30

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Le sol dans mon dos, en plus d’être froid, devenait de plus en plus humide. Est-ce que je me vidais de mon sang ?

— Oz ! Réponds-moi, criait Kaleb au-dessus de moi. Je suis désolé.

— Ce n’est pas ta faute, marmonnais-je pour le rassurer.

Le garçon continuait pourtant à hurler, se rappelant surement tout ce qu’il avait fait sous l’emprise de Bélial. Car maintenant, c’était sûr pour moi, les flammes du démon rouge servaient à cela.

Kendra arriva en courant, alertée par les cris du garçon. Elle s’agenouilla près de moi et soupira :

— Je ne peux pas te laisser seule cinq minutes.

— Je suis désolé. Dis à Amélia que j’aurais aimé l’aider à retrouver maman, mais je ne pourrais pas. Dit à Isis… commençais-je.

— Chut, chut, tu leur diras tout ça toi-même, me coupait ma compagne de voyage. Je vais te soigner. Tu devrais avoir l’habitude te faire embrocher maintenant.

Je sentais qu’elle tendait de me changer les idées et de me rassurer comme elle pouvait, mais encore une fois, je me sentais partir doucement. Elle posa les mains contre ma blessure, me faisant couiner. Je sentais alors ses flammes passer dans le trou qu’avait fait la lame, soulageant les douleurs, arrêtant les saignements. La plaie se refermait doucement dans un bruit peu ragoutant.

Je reprenais doucement pied et croisais le regard inquiet de Kaleb. Il avait aussi l’air perturbé par ce que faisait Kendra.

— Et voilà ! disait-elle soudain. Tu vas être faible un petit moment, car mes flammes se nourrissent de l’énergie du patient et tu as perdu un peu de sang, mais tu devrais t’en sortir.

Elle m’aida à me redresser et le brun s’empressa de venir l’aider.

— Tu sais où nous sommes Kaleb ? demanda la guérisseuse.

— Tout se mélange dans ma tête, je ne sais même pas depuis quand je suis ici. Tout a commencé lorsque je me suis embrasé depuis, rien ne va. Et Bélial…

— C’est lui te contrôlait n’est-ce pas ? intervenais-je.

— Je crois, oui.

— Où est-il ?

— Pas loin et il sait pertinemment ce que je vais faire maintenant.

— Tu ne peux pas y aller seul, disait Kendra. Laisse-moi déposer Oz dans un lieu sûr puis nous irons nous occuper de lui.

— Kendra, je ne suis plus ignorant. Je sais que je suis le fils de Lucifer, comme Bélial. C’est donc mon frère. C’est à moi de m’en occuper. De plus, j’ai quelques tours dans mon sac moi aussi, affirma-t-il avec un clin d’œil. Ne me suivez pas.

Il ramassa sa lame et s’élança vers le fond de la caverne, nous laissant derrière. Toujours en appuis sur la brune, je pestais :

— Mais ce n’est pas possible ! On aurait juste pu partir, rentrer sur Terre et laisser tout ça derrière nous ! L’apocalypse n’attend pas !

— Comprends-le, son frère l’a manipulé plusieurs semaines. De plus, j’ai comme le pressentiment qu’il ne voudra pas repartir tout de suite.

Je soupirais bruyamment, moi aussi j’avais une famille et elle m’attendait sur Terre. Pourtant, vidée de mon énergie ou pas, je ne pouvais pas partir sans eux.

— Qu’est-ce qu’on fait, demandais-je enfin.

— On attend.

— Pose-moi, tu te fatigues pour rien.

Elle s’exécuta, avant de sortir son arme, prête à me protéger si quelqu’un arrivait. Ainsi assise contre un rocher relativement adapté à mon dos, je finissais par m’endormir, me reposant totalement sur mon amie.

L’escalier en colimaçon semblait interminable, les marches s’engrainaient sous mes pas, mais, sans aucune vue sur l’extérieur, j’avais l’impression de faire du sur place. Arme en main, je me sentais prête à en découdre. Contre qui ? Je n’arrivais pas à m’en souvenir.

Je continuais à grimper pendant ce qui me sembla une éternité avant d’arriver sur le toit d’une tour grise et humide. Pourquoi tout était toujours si gris et humide ici ? D’ailleurs où était-ce « ici » ?

Mes yeux observèrent les alentours, et remarquèrent l’homme ou plutôt le démon que je recherchais.

— Mon frère, j’espère que tu ne m’en veux pas trop, disait-il.

Sa voix résonnait sous son heaume qu’il ne retirait jamais. À quoi pouvait-il ressembler là-dessous ?

— Pourquoi m’as-tu fait ça ? m’entendais-je dire.

Sauf que ma propre voix était plus grave qu’à l’accoutumée, plus en colère aussi. Mon regard me paraissait aussi plus haut comme si j’avais soudainement grandi.

L’action continuait à se dérouler tandis que j’étudiais les différences qui me paraissaient plus qu’étranges. Lorsque je levais l’épée devant moi, mon bras me parut inconnu. Étais-je dans le corps de quelqu’un d’autre ?

Je réfléchissais un instant alors que mon moi extérieur hurlait des choses à l’homme en armure rouge. J’avais comme une sensation de déjà-vu. Cela m’était déjà arrivé, c’était sûr. Petit à petit, la situation dans laquelle je me trouvais réellement, c’est-à-dire endormie contre une pierre, me revint en mémoire. Je rêvais.

Pourtant, tout ce qu’il se passait ici semblait tangiblement réel, sauf que je ne contrôlais pas mes actions. Doucement, les souvenirs revinrent à moi. Cela m’était déjà arrivé et j’avais cru que Sam était mort, ou lorsque j’avais pénétré les souvenirs de Sam.

Je voyais par les yeux de Kaleb.

Le combat avait commencé. Avec toutes ces réflexions, j’avais loupé la justification de Bélial, mais celle-ci n’avait pas l’air d’avoir convaincu mon ami.

Le grand démon maniait une épée à double tranchant plus large que ma tête tandis que Kaleb se contentait du format plus conventionnel. Ainsi, à chaque coup, ma peur de voir sa lame se briser augmentait. Je savais que je ne risquais rien, mais le brun jouait sa vie.

Leurs forces étaient bien trop différentes, ce n’était pas en combattant à l’épée que Kaleb pourrait gagner. Quel était le fameux tour qu’il avait dans sa manche ? Ce fut lorsqu’il attrapa la lame de son adversaire à deux mains que je compris.

Les paumes pressées contre le métal, des flammes englobèrent ses avant-bras et ses mains puis, enfin, l’arme. Je mettais quelques secondes à comprendre leur couleur. Pour moi, il était impossible qu’un feu ait cette couleur, après tout, c’était censé être de la lumière. Pourtant, devant mes yeux, enfin plutôt ceux de Kaleb, dansaient des flammes noires.

Bélial semblait encore plus étonné que moi, peut-être ne savait-il pas que son frère avait réussi à développer ses flammes dans son dos, à moins que leur couleur singulière en soit la cause. Le métal fondit rapidement et le démon se retrouva désarmé.

Il fit donc lui aussi apparaitre ses flammes. Violettes comme dans mes souvenirs, leurs pouvoirs me semblaient encore un peu flous. Il semblait pouvoir manipuler les esprits ainsi que pénétrer dans les rêves, mais comment pouvait-il attaquer avec ce genre de flammes ?

J’eus rapidement ma réponse.

Devant les yeux de Kaleb, Bélial se transforma en moi. J’avais beau savoir que ce n’était pas moi, la ressemblance était frappante et une petite suggestion de la part de Bélial suffirait à l’esprit du brun pour croire que c’était moi. Pourtant, Kaleb ne se laissa pas démonter. Il projeta ses flammes sur mon double et, comme l’aurait fait un trou noir, elles absorbèrent l’illusion, rendant à son frère sa forme d’origine.

Ainsi, c’était donc ça le pouvoir du feu noir, annuler le pouvoir des autres ? Pouvait-il faire autre chose ? Le combat continuait, chacun usant dès ses atouts et utilisant les faiblesses de l’autre. Je sentais que je perdais la connexion. J’étais surement en train de me réveiller. Or, plus j’essayais de rester endormie, plus la connexion se brouillait. Tout à coup, un éclair blanc sépara les deux frères, éblouis, je perdais le fil et reprenais doucement conscience.

— Oz, réveille-toi ! Quelqu’un arrive.

Je clignais des yeux, reprenant pied avec la réalité. L’image de Kendra se stabilisa et je me redressais péniblement. En appui sur la pierre sur laquelle j’avais fait une petite sieste, je plissais les yeux pour essayer d’apercevoir ce qui approchait. Les mains encore légèrement auréolées d’ombre, Kaleb fit signe à Kendra de se calmer.

Elle se détendit immédiatement avant de poser la question qui me brûlait les lèvres :

— Tu as gagné ?

— Quelqu’un a interrompu notre affrontement, répondait-il avec un sourire contrit.

L’éclair blanc que j’avais vu.

— Qui ? demandais-je d’une voix faible.

— Nul autre que Lucifer, figure-toi. Un éclair foudroyant nous a séparés avant qu’une voix nous ordonne de nous rendre à la capitale. Je pense qu’on va se faire taper sur les doigts.

— Tu comptes y aller ? Nous avons encore beaucoup à faire sur Terre, l’apocalypse n’attend pas, disait la brune, reprenant mes mots.

Je lui souriais, contente qu’elle comprenne et soutienne mon point de vue. Elle aussi devait rentrer, pour Sam.

— Je veux rencontrer Lucifer. Vous pouvez partir si vous le souhaitez, mais moi, je reste encore un peu en enfers. Il faut que j’en apprenne plus sur mes flammes pour pouvoir faire face aux anges. Et qui sait, peut-être que j’arriverais à convaincre des démons de me suivre sur Terre.

Je serrais les dents. Il avait raison, il y avait tellement de choses à faire ici, tellement d’occasions de se faire des alliés. Je sentais que Kendra hésitait. Elle souhaitait tellement rentrer pour s’occuper de Sam, mais ne pouvait pas laisser Kaleb dans un monde qu’il ne connaissait pas. Tiraillée entre les deux jumeaux, je finissais par la prendre de court.

— Nous te suivrons, mais il faudra faire vite.

Le brun me lança un regard plein de gratitude.

— Allons-y, pas de temps à perdre. La capitale ne doit pas être toute proche et ne laissons pas Bélial changer d’avis, disais-je.

— Iel a raison, il faut que nous rejoignions la ville la plus proche pour prendre un train. Avec nos deux chevaux, ça devrait le faire en trois jours, peut-être quatre. Il faudra faire attention à la blessure d’Oz, mais tout devrait bien se passer, expliqua ma compagne de route.

Le jeune homme acquiesça, passa son bras sous les miens pour me soutenir et m’entraina vers la sortie à la suite de Kendra. Nous sortîmes rapidement de la forteresse puis de la ville, abandonnant sa grisaille lugubre.

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