Chapitre 31

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Assis·e devant Kendra, la meilleure cavalière d’entre nous, je me faisais balloter dans tous les sens alors que le cheval trottinait joyeusement. Une nausée persistante encombrait toutes mes pensées et je me sentais faible et inutile.

Devant mon air probablement malheureux, Kaleb essaya une blague en rapport avec ma petitesse.

— Kendra, la grande elfe des bois accompagnée d’Oz, son fidèle hobbit !

Il rigolait de son forfait tandis que je boudais. Grand comme il était, je ne pouvais même pas le traiter de nain et il était bien trop beau pour être un orque. Ainsi, alors que je finissais par m’endormir, les traits du brun se mélangèrent avec ceux de Aragorn, et pour une fois, depuis plusieurs nuits, je rêvais de quelque chose qui n’existait pas.

Le sommeil fut plus que réparateur, et lorsque je me réveillais je m’étonnais d’avoir aussi bien dormi. Les chevaux galopaient toujours. J’essuyais discrètement un filet de bave au coin de ma bouche et saluais mes compagnons.

— Bon dormi ?

— Super bien ! Où sommes-nous ? Vous n’êtes pas fatigué ?

— Nous avons parcours plus terrain que prévu, nous devrions arriver à la gare demain. Tu seras de garde lorsque nous dormirons, disait Kendra.

Nous ne tardâmes pas à nous arrêter, les chevaux étaient aussi épuisés que leur cavalier. Ainsi, je me retrouvais rapidement seule, surveillant mes compagnons de voyage dormir. Je m’occupais alors comme je pouvais, observant les alentours ou cajolant les bêtes. Nous repartîmes plutôt rapidement, j’avais l’impression qu’ils n’avaient pas assez dormi, mais ils m’assurèrent le contraire.

La ville fut alors en vue. Moins haute en couleur que Zael, je fus tout de même émerveillé·e par le paysage. Construite au pied d’une montagne, la cité se fondait parfaitement dans la nature, reprenant les couleurs de la roche et des sapins.

Quelques mètres avant les portes, Kendra nous fit descendre de selle. Elle se pencha ensuite à l’oreille de chaque monture, leur chuchota quelques mots que nous n’entendîmes pas, puis les chevaux firent demi-tour et s’éloignèrent.

— Ils vont retourner à Zael d’eux même, nous informa-t-elle sereine.

Je me demandais comment ces bêtes pouvaient connaitre le chemin, puis je me souvenais du principe des pigeons voyageurs et j’estimais que cela devait être pareil ici.

Nous marchâmes jusqu’à la ville, nos maigres affaires sur le dos.

— Le train est payant, je suppose, disait Kaleb. Avons-nous de l’argent ?

— Ne t’inquiète pas pour ça, je m’en occupe. Ne tardons pas, ordonnait la brune en se tournant vers moi. Pas le temps de gouter les spécialités cette fois-ci, Oz.

— Dommage, mais tu as raison.

Elle nous entraina dans le dédale des rues. Comment faisait-elle pour s’y retrouver, elle qui n’avait vraisemblablement jamais mis les pieds en enfers ? Je remarquais qu’elle levait souvent la tête, comme cherchant un point de repère. À force, je finissais par comprendre. Une grande antenne, sur laquelle brillait une boule dorée, semblait être notre destination.

— Dans chaque ville, les bâtiments publics ont un élément permettant de les reconnaitre. Les gares ainsi que les hôpitaux sont les plus simples à trouver.

Elle avait dû me voir l’observer.

— Très intelligent.

Nous continuâmes en silence. Il y avait peu de monde dans les rues, rendant notre avancée agréable. Il ne pleuvait pas, d’ailleurs la pluie existait-elle ici ? Je n’avais encore vu aucun nuage. Les rayons des soleils me caressaient la peau, faisant baisser ma vigilance. La fatigue prenait doucement le contrôle de mon corps, après tout j’étais encore en convalescence. J’avais tellement envie de m’allonger au soleil et rester là pour toujours.

Mes deux compagnons de route semblaient tout aussi détendus que moi, était-ce vraiment les conditions météo qui nous mettaient dans cet état ? Je croisais alors le regard d’une femme, son visage m’était familier. Elle me souriait puis disparaissait au coin d’une rue.

Étrange.

Nous arrivâmes finalement devant la gare. Le bâtiment, une grande halle en acier et en brique de terre sombre, s’ouvrait sur une place bien plus fréquentée que les rues que nous venions de traverser. Quelle pouvait être la raison de toute cette agitation ?

Kendra fila rapidement au guichet, prête à nous acheter des billets pour le prochain train en partance pour la capitale. Pendant ce temps, avec Kaleb, nous ne parlions guère. Pourtant, nous aurions eu beaucoup de choses à nous dire, chacun de nous deux avait développé des pouvoirs dont jamais nous n’aurions pu soupçonner l’existence. Il était presque mort et surtout, j’avais abandonné la Terre pour le trouver. Pourtant, nous ne disions rien, comme gênés.

— On n’a vraiment pas de chance, disait Kendra. Il n’y a plus aucune place dans les trois prochains trains.

— Comment c’est possible ? demandait Kaleb.

— Je me suis renseigné et nous ne sommes pas les seuls à vouloir nous rendre à la capitale. Habituellement, les gens prennent ces trains pour faire halte à la capitale avant de reprendre un train pour ailleurs. Mais, là, il y a une sorte de festival où tous remercient Lucifer de les avoir créés. Apparemment, c’est l’occasion de bien manger et boire ainsi que de faire la fête pendant une semaine.

— Tu veux dire que Kaleb a rendez-vous avec Lucifer pendant un festival ?

Je me retenais de rire face à l’image qui me venait en tête. Pourquoi jamais rien ne se passait comme prévu ? La brune m’ignora, retenant un sourire et se tourna vers le concerné.

— Nous ne pourrons prendre un train que demain, avec un peu de chance.

— Je peux vous aider si vous le souhaitez, disait une voix féminine dans mon dos.

Je faisais volte-face, et retenais un cri de surprise. C’était la femme que j’avais repérée dans la rue. Ainsi bien plus proche de nous, élancée et la peau comme taillé dans de l’ébène, j’étais sûr que je l’avais déjà vu, Kendra fut plus rapide que moi.

— Vous êtes la femme de Zael. Que faites-vous ici ? Et comment pourriez-vous nous aider ?

Ainsi, c’était la magnifique et terrifiante femme qui avait puni le meurtrier qu’avait attrapé la ville. Je frissonnais, son regard n’arrêtait pas de nous dévisager avec intérêt.

— Je suis Asmodée, fille de Lucifer et gouvernante de Zael. J’ai réservé un wagon entier dans le prochain train, je peux vous y faire une place si vous le souhaitez.

— Pourquoi feriez-vous ça ? demanda Kaleb.

— Parce que je sais qui tu es, mon frère, et que je suis très curieuse de savoir d’où tu viens comme ça. Évidemment, je te laisserais amener tes deux camarades.

Elle avait dit ça sur un ton qui me fit frissonner de plus belle, pourtant, le jeune homme accepta son offre sans nous demander notre avis à Kendra et moi. Contente de sa réponse, la femme s’en alla, disparaissant dans la foule.

— Dis-moi tout ce que tu sais sur Asmodée, disait immédiatement le brun à la brune.

Son regard était encore posé à l’endroit où la femme se trouvait encore quelques instants plus tôt.

— Euh, Asmodée est la seule fille de Lucifer. Personne ne connait la couleur de ses flammes, mais son parfum à lui seul est très efficace. Elle est séductrice, vous avez dû le remarquer, ainsi elle est souvent entourée de démons ou démones voulant attirer ses faveurs. Je pense qu’il faut se méfier d’elle, nous l’avons vu à l’œuvre à Zael.

Kaleb acquiesça doucement, pensif.

— Nous n’avons pas le choix, j’ai déjà accepté et, plus vite nous y serons, plus vite nous pourrons rentrer sur Terre.

Je n’avais rien dit, écoutant l’échange en me demandant si c’était son parfum qui m’avait détendu dans la ruelle. Cette femme me faisait clairement peur, bien plus peur que Bélial, car elle semblait pouvoir être tellement plus sournoise que son frère. Ma main se posa sur la garde de mon épée, presque inconsciemment. Je croisais le regard de Kendra tandis qu’elle emboitait le pas à Kaleb, nous étions sur la même longueur d’onde.

L’intérieur de la gare et les trains étaient bien trop normaux de mon point de vue, ça en était presque décevant. Cela dit, il était logique que les démons qui avaient accès aux technologies humaines les rapportent chez eux. À moins que ce soit eux qui les aient amenés sur Terre.

Je commençais à remettre toute l’histoire humaine en question lorsque nous entrâmes dans le train où nous attendaient les employés d’Asmodée. Nous nous installâmes en silence.

Assise sur la banquette matelassée bleue, j’essayais de retenir ma jambe de tapoter le sol de stress. Notre hôte n’était pas encore là, ainsi faisait-elle attendre tous les passagers du train qui aurait déjà dû partir depuis presque une heure.

À mes côtés, Kendra regardait par la fenêtre, tout aussi tendue, presque en colère. En face de moi, Kaleb dormait, peut-être était-ce cela qui énervait tant la brune. C’était comme si le garçon ne se méfiait plus de rien.

— Bienvenue à bord, disait la femme en entrant enfin dans le wagon.

Elle s’asseyait sur la banquette de l’autre côté du couloir, une coupe dans la main. Et enfin, le train démarra.

Bien plus moderne que ce à quoi je m’attendais, il n’y eut aucune secousse comme si le train volait, seul le paysage qui défilait me confirmait que nous avancions. Nous quittâmes rapidement la ville et la campagne nous accueillit de nouveau. J’eus une pensée pour nos montures qui devaient galoper gaiment pour retourner à Zael.

Le silence était reposant, mes yeux se fermaient tout seuls, mais je luttais contre le sommeil.

— Dors, Oz, chuchotait mon amie. Je veille, comme toujours.

J’entendais vaguement que Kendra avait commencé une discussion avec Asmodée, mais c’était si lointain que mon esprit oublia vite. Ainsi, je me laissais sombrer dans les bras de Morphée.

Une ombre, une silhouette dont les hanches se balançaient au rythme d’une musique que je n’entendais pas.

J’étais encore loin d’elle, mais son odeur me parvenait déjà aux narines. Des frissons d’excitation me parcouraient le corps, je marchais vers elle sans m’en rendre compte, mais elle restait hors de portée.

Son rire cristallin voletait autour de moi, accompagnant son parfum et me faisant tourner la tête.

— … en mon pouvoir, disait une voix lointaine.

Était-ce celle que je poursuivais qui parlait ? Non, elle s’éloignait seulement en riant. Je m’arrêtais.

Où me trouvais-je ? Le décor était flou, comme pas fini.

— … Oz…

Ce n’était pas la même voix, celle-ci m’était familière. Je suivais sa résonance et tout à coup, je fus aspiré hors du paysage.

Je me trouvais maintenant au-dessus d’une scène, je reconnaissais notre wagon, mon corps était là, en dessous, endormi la tête posée sur l’épaule de Kendra. Était-ce elle qui m’avait appelé ? Je comprenais alors que je rêvais encore. La jeune femme discutait avec notre hôte, Asmodée.

— Tes deux amis sont en mon pouvoir… disait la démone à la peau noire.

— Quelle est la couleur de tes flammes ? demandait ma compagne de voyage, coupant l’autre. Tu essaies de me faire croire que tu as plongé Kaleb et Oz dans un sommeil où tu contrôles leurs rêves, ainsi insinues-tu que tu peux contrôler les esprits, comme Bélial. Or, je ne te crois pas. Tes flammes ne seraient pas un mystère si tu dévoilais aussi facilement leurs capacités.

Asmodée restait silencieuse, jaugeant son interlocutrice qu’elle avait surement sous-estimée.

— Je pense que tes flammes sont loin d’être violettes. Ton parfum, enivrant et probablement de ta création. Ce n’est pas à la portée de tout le monde de créer des odeurs puissantes. Probablement, sais-tu aussi créer tes propres poisons. Asmodée, je pense, je suis même sûre que tes flammes sont celles des maladies, les jaunes.

La femme s’était crispée à ses mots, ne faisant que confirmer les dires de Kendra.

— Tu es guérisseuse, n’est-ce pas ? demanda-t-elle finalement.

— Je préfère le terme docteure, mais oui, mes flammes sont vertes.

— Tu dois être bonne, pour avoir découvert mon secret.

— Quelle docteure serais-je si je ne repérais pas les maladies ? disait la brune avec un sourire en coin.

— C’est la meilleure, disais-je en ouvrant les yeux.

— Tu écoutais ? Je croyais que tu dormais ? sursautait mon amie.

— Je dormais.

Le train s’arrêta alors. Je n’avais pas l’impression d’avoir dormi si longtemps pourtant, puis je me rappelais que personne ne m’avait donné d’indications sur la longueur du trajet alors que j’avais supposé que celui-ci serait long.

Asmodée sortit presque immédiatement du train, nous laissant en plan. Elle n’avait pas dû apprécier son échange avec Kendra. Cette dernière s’attelait d’ailleurs à réveiller la troisième roue du carrosse. Kaleb grogna, bailla et s’étira avant d’enfin se lever de la banquette bleue.

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