Chapitre 23 : Le retour
Lorsque Tomy recouvrit la vue, une lumière intense, chaude et rassurante, irradiait derrière Erin qui se tenait face à lui. Elle ouvrit les yeux avec douceur tandis qu’un sourire serein se dessinait sur son visage angélique.
Alors que Tomy la tenait par la main, le corps de la jeune fille commença à s’éloigner de lui, aspirée vers l’étrange clarté. Il se jeta en avant et réussit à la rattraper dans ses bras.
— Je suis désolée, Tomy, murmura-t-elle avec bienveillance, mais il est temps pour moi de partir.
— Mais... tu vas où ? sanglota-t-il.
Erin prit une grande inspiration.
— Je t’aime, Tomy ! Je t’aimerai toujours…
Les bras du jeune garçon traversèrent soudain le corps d’Erin qui s’éloignait inexorablement dans le silence le plus total. Le pauvre aurait voulu hurler son chagrin, mais ses cordes vocales ne lui obéissaient plus. Soudain, le spectre de Noah apparut aux côtés d’Erin, la serrant dans ses bras, lorsqu’une voix lénifiante s’éleva des profondeurs sombres du puits :
Tomy, ton heure n’est pas encore venue, ta famille t’attend, va les retrouver.
Tomy leva les yeux vers Noah qui arborait un sourire désolé. Il hocha la tête puis posa sa main sur son front dans une sorte de salut militaire.
— J’veux pas ! J'veux rester avec Erin ! hurla Tomyla vois pleine de désespoir.
C’est impossible.
Sans qu’il ait le temps de réagir, une force invisible le poussa dans l’ouverture. Il glissa vers le fond noir, redoutant le moment où il percuterait le sol rocheux. Mais rien ne vint perturber sa longue plongée dans l’abîme. Après un temps qui lui sembla infini, une frêle lueur apparut au loin, vacillante comme celle des lampes néons. Tomy remarqua alors qu’il ne tombait plus, mais qu'il flottait avec légèreté en direction d’une sorte de chambre aux murs verts. Il aperçut un enfant allongé dans un lit drapé de linges blanc, tandis que dans un coin, une autre personne lui parut endormie dans un fauteuil. Une femme était assise sur une chaise, le haut du corps posé sur le lit. Sa longue chevelure blonde et bouclée s’étalait telle une cascade d’or sur la couverture immaculée. De mystérieux appareils, munis de diodes lumineuses clignotantes, étaient reliés à l’enfant et produisaient de petits bips réguliers. Son bras était plâtré et son crâne était enturbanné de gazes et de pansements.
— Tomy ? Oh mon Dieu, je suis si heureux de te revoir!
— Bruce ? appela Tomy en reconnaissant sa voix. Où es-tu ?
— Désolé pour ce qu’il s’est passé, mon ami, je n’avais pas d’autre choix si je voulais te permettre de revenir.
— Qu’est-ce que tu racontes, Bruce ? J’comprends rien ?
— Il fallait nous débarrasser du fantôme du tyrannosaure pour vous permettre de trouver la sortie. Où est Erin ?
— Elle… elle ne pouvait plus revenir, souffla Tomy dans un sanglot.
— Oh... je suis vraiment désolé, mon ami…
Lentement, Tomy glissa vers le corps du garçon et le traversa. Sa vision se brouilla et une grande douleur le frappa au niveau de la tête. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il était étendu dans le lit, Bruce posé sous son bras, sa mère dormant sur sa main et son père assoupi dans le fauteuil. Il entrouvrit péniblement la bouche, mais sans réussir à en sortir un son tant elle était sèche. Il tenta de bouger la main pour réveiller sa mère et remarqua qu’on lui avait glissé une sorte d’interrupteur entre les doigts. Après un effort qui lui sembla surhumain, il enfonça le bouton, déclenchant un bip strident qui vrilla son cerveau endolori.
Lucy se releva d’un bond et bascula ses longs cheveux sur le côté. Ses grands yeux rougis par la fatigue et les larmes s’illuminèrent lorsqu’elle remarqua que Tomy tentait de lui parler.
— Oh mon Dieu ! Jeffrey ? Il est réveillé ! hurla-t-elle.
Le pauvre homme sursauta, les yeux à demi ouverts, bouche bée de surprise.
Le visage inondé de larmes de joie, Lucy posa ses mains sur le torse de Tomy tandis que Jeffrey courait dans le couloir pour prévenir les infirmières.
— Je suis tellement désolée, mon bébé ! pleura-t-elle en embrassant son fils. On a eu si peur que tu…
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase que Jeffrey revint aussi vite qu’il était parti et se plaça de l’autre côté du lit, puis embrassa la main du bras plâtrée de Tomy.
— Tu nous as fait une sacrée frayeur, mon champion, lança-t-il en tentant de réprimer un sanglot.
Un médecin suivit de deux infirmières pénétrèrent dans la chambre pour l’examiner.
— Comment t’appelles-tu ? le questionna le docteur en pointant une petite lampe torche dans ses yeux.
Le regard vide, Tomy chercha la réponse sans parvenir à la trouver. Le médecin lui manipula ensuite les bras et les mains, avant de vérifier ses jambes et ses pieds.
— Sa motricité est bonne, il ne devrait pas garder de séquelles, mais il est encore sous le choc, laissons-lui du temps pour recouvrer ses facultés cognitives, déclama le médecin en regardant tour à tour Lucy et Jeffrey.
Tandis que les adultes discutaient dans un brouhaha inintelligible, Tomy remarqua une petite fille qui l’observait d’un air bienveillant depuis le couloir. Il esquissa un sourire en voyant son visage sympathique, mais lorsqu'une infirmière quitta la chambre, elle se volatilisa avant qu’il puisse la reconnaître. Tomy attrapa la peluche posée à ses côtés et la serra dans ses bras. Une incroyable sensation de soulagement l'envahit sans qu’il sache pourquoi.
Après neuf jours de coma, Tomy venait enfin de se réveiller.
—
Il lui fallut plusieurs jours afin de reprendre suffisamment de forces pour parvenir à communiquer normalement. Au fur et à mesure que sa mémoire lui revenait, il questionna ses parents sur les circonstances de l’accident ; Jeffrey et Lucy lui expliquèrent l’avoir trouvé au pied du grand saule, tard dans la soirée de son anniversaire. Tomy avoua ne gardait aucun souvenir de ce qui s’était passé ce soir-là, ni même durant son coma.
— Tu te rappelles ta journée d’anniversaire ? demanda Lucy en l’aidant à marcher dans la chambre.
— Pas vraiment, répondit Tomy en se raclant la gorge.
— Désolé de vous interrompre, mais quelqu’un ici est très impatient d’entrer.
Tomy tourna la tête et reconnut Debby qui se tenait dans le couloir, les yeux humides.
— Salut, mon pote ! lança Zach en s’avançant dans l’encadrement de la porte.
— Zach !
Tomy manqua de trébucher en se jetant dans ses bras, laissant échapper un sanglot de bonheur.
— Tu m’as trop manqué ! murmura Zach.
— Toi aussi, mon pote !
Lucy s’approcha de Debby et passa sa main dans son dos tandis qu’elle retirait ses lunettes pour s'essuyer les yeux.
—
Lorsque le souvenir d’Erin lui revint, ses parents furent obligés d'annoncer à Tomy la triste nouvelle ; la forme rare du cancer dont souffrait la jeune fille et qui avait emporté son frère ainé, Noah, cinq ans auparavant, s’était subitement aggravée peu après qu’elle et sa famille avaient emménagé à Phillips.
Le 24 avril, deux jours après l’accident de Tomy, elle avait été admise à l’hôpital dans un état grave alors que son cancer venait de toucher son système nerveux. Les médecins la placèrent dans un coma artificiel pour lui éviter de souffrir dans l’attente d’une potentielle amélioration, mais le sort s’acharna sur la pauvre enfant ; des tumeurs apparurent à des endroits impossibles à opérer et ses chances de survie s’évanouirent en un rien de temps.
Conjointement avec ses parents, les médecins prirent la décision de cesser l’acharnement et de lui permettre de partir sans douleurs. Son décès fut prononcé peu après l’arrêt des machines qui la maintenaient en vie, à 10h18 le 1er mai, seulement quelques minutes avant que Tomy sorte du coma.
Annotations