12 juin 1771

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Le Mal me ronge toujours. La lumière me brûle les yeux. Affaibli, je ne peux me lever. Je me questionne sur les aliments avalés la veille. Trois coupes de champagne, des toasts, une tranche de rôti. Ne tiens-je déjà plus l’alcool ? Ne me voyant pas descendre, Elisabeth débarque dans ma chambre. Sa silhouette est déformée, floue, ses paroles hachées avec une tonalité très aigüe. Le paysage n’est pas comme avant. La porte s’ouvre brusquement sur une autre femme. J’entends des cris, non, des hurlements. J’ai affaire à des monstres, à des diablesses. Je n’entends pas ce qu’elles disent. La deuxième inconnue hurle, se précipite sur mon épouse. Elles se battent. Le sang brûlant gicle sur mon visage. Puis un long râle. Des coups de poings. Qui est à terre ? Quelqu’un se relève. C’est Elisabeth, les griffes en sang, des morceaux de cervelle dégoulinants sur son front. Mon amour, relève-toi, je t’en supplie, ne sois pas vaincue. Ma femme se dirige vers moi, je sens son haleine fétide, le sang de ses griffes. Un flot de larmes coule sur mes joues.

Elle murmure :

« Je t’ai, enfin. Cette femme ne pourra jamais t’enlever, tu es à moi, rien qu’à moi Axel ! »

Je me réveille en sursaut. Je regarde à droite, à gauche. Mon dieu, ça n’était qu’un cauchemar. Elisabeth est à mes côtés, elle tend la main pour examiner la température de mon front. Je recule, méfiant.

« Mon amour, c’est moi. Tu as parlé dans ton sommeil, c’était très effrayant ! J’ai demandé à la domestique de prendre soin de toi, je ne suis malheureusement pas très à l’aise avec les malades. »

« Pas très à l’aise avec les malades », « mon amour ». Je ne comprends pas. J’ai le sentiment d’avoir la peste. Trempé de sueur, je me rallonge, contraint par Elisabeth qui déjà se presse vers la porte. Les images sont plus claires, je vois qu’elle est en tenue de ville.

« Où pars-tu ? Demande-je avec difficulté. »

« Je sors, Dit-elle évasivement. »

Elle se sauve. Je suis seul face à ma maladie. Une bonne me nourrit à la petite cuillère mais je n’ai pas faim. J’ai besoin d’écrire.

En plein après-midi, je décide de me lever.

« Monsieur, ce n’est pas raisonnable ! Fait la jeune femme. Rallongez-vous, je vous en prie. »

« Non, ne…ne vous inquiétez pas petite, je vais très bien. Laissez-moi reprendre mes esprits. »

« Je suis à côté si vous avez besoin. »

Je hoche la tête, m’installe doucement à mon bureau. Bon Dieu, que j’ai chaud ! Les fenêtres sont grandes ouvertes, le soleil envahit la pièce. Où sont mon papier et ma plume ? J’attrape maladroitement le godet d’encre, le déplace à ma portée et commence à écrire :

Qui que tu sois belle créature, je m’apprête à me sacrifier pour toi. Toute la nuit, j’ai pensé à toi, à tes formes, à ce qui te constitue en tant que femme. Comment pourrais-je t’oublier après une délicieuse soirée, un échange passionné de qualités communes ? J’ai rêvé de toi sans discontinu. J’ai fantasmé, tremblé, pleuré, sangloté pour toi. Je ne connais pas ton nom, j’essaye de le connaître à travers mes rêves. Te rends-tu compte de l’effet que tu exerces sur moi ? Maintenant, je suis un homme faible, nu face aux sentiments. Tu bois mon âme et ma vie. Je ne peux encore te remercier pour ce que tu me fais. Souffrir pour une femme est plus agréable que je ne le pensais.

Je ne savais pas qu’écrire à une femme était aussi exaltant. Je ne peux plus écrire, la plume brûle entre mes doigts. Je le lâche brusquement. L’encre dégouline de la pointe. Je ne me sens pas bien. J’appelle la bonne à plusieurs reprises. Mes tripes se tordent. La nausée me monte. Je crache le Mal.

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