6. Roxane

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Quand je me réveille, je suis en nage.

T’avais qu’à mettre un short, pas un jogging, on est en été, souffle la voix d’Alex dans ma tête.

Je m’extirpe lentement des bras de ce dernier, veillant à ne pas le réveiller, et relève mes cheveux en un chignon bouclé pour dégager ma nuque moite. Je respire un grand coup, m’aérant le corps et l’esprit, avant de regarder mon pantalon de jogging : ils savent que je suis maigre, maintenant, alors pourquoi devrais-je encore me cacher ?

C’est tellement mieux de pouvoir réfléchir ainsi, et non comme si je vivais avec trois inconnus. Je regarde leurs visages endormis, le sourire aux lèvres. Je ne sais pas l’heure exacte, mais le soleil a déjà envahi la pièce de sa lumière – ce qui n’a pourtant pas l’air de déranger leur sommeil – alors je me dirige vers la cuisine pour regarder le petit écran du four. Dix heures. S’ils se réveillent trop tard, on ne pourra pas profiter de la journée. Je les regarde une dernière fois, l’air si paisible et sage sous ces quatre couettes, avant de monter à l’étage, à pas de loup. Dans ma chambre, j’enfile l’un de mes maillots de bain – une pièce, laissant voir le moins de peau possible, ce qui est malgré tout un exploit – que j’ai emportés, et redescends avec la même précaution. Je ne sais pas s’il est encore trop tôt dans notre réconciliation pour pouvoir les réveiller en surprise, mais je me sens heureuse et c’est ce que j’aurais fait avant la mort de Sam, alors je ne me pose pas plus de questions. Sur la pointe des pieds, je sors dans le jardin par la porte de la cuisine et essaie de faire le moins de bruit possible en ouvrant la protection de la piscine, que Clément a préparée dès notre arrivée, malgré l’ambiance qui laissait imaginer que nous n’en profiterions pas. Le soleil n’est pas à son zénith, mais il tape déjà, et l’eau claire me fait de l’œil alors que j’y trempe le bout de mes doigts pour aviser sa température, avant de les passer sur ma nuque. Elle n’est ni trop froide, ni trop chaude, parfaite pour un réveil en douceur. Résistant à mon envie d’y plonger, je me retourne pour prendre les deux verres vides que j’ai attrapés dans la cuisine.

_ Qu’est-ce que tu fais ?

Je sursaute si brutalement que l’un des deux verres s’échappe de ma main, retombant dans celle de Constance. Elle est toujours aussi rapide qu’avant : ses réflexes sont impressionnants, si je tente de la mettre à l’eau c’est moi qui y finirais, et mon plan aura échoué. Fixant le verre qu’elle vient de rattraper, je réfléchis une seconde à mes options, avant de décider de la mettre dans le coup :

_ Je voulais vous… réveiller, dis-je avec un sourire, montrant l’objet qu’elle tient d’un geste vague de la tête.

_ Hm, je vois. J’hésite entre me venger de ce que tu t’apprêtais à me faire ou t’aider à embêter les garçons.

Je lui fais les yeux doux tout en m’éloignant un peu du bord de la piscine, par sécurité, mon plus beau sourire charmeur au visage.

_ Tu as gagné, dit-elle. Je te laisse Alex.

Elle me fait un clin d’œil complice alors que je lève es yeux au ciel. Quand je m’accroupis pour remplir le récipient de l’eau fraîche de la piscine, je vois les yeux de Constance se balader sur mes jambes maigres. Elle n’est pas habituée à me voir comme ça : avant la mort de notre meilleur ami, je pesais près du double de mon poids actuel, alors je ne lui en veux pas de me reluquer ainsi, déjà soulagée qu’elle ne me fasse aucune remarque. Quand nous nous relevons, les verres pleins, je remarque le sourire malicieux sur son visage, un sourire que j’ai vu tant de fois, et que j’avais presque oublié, tant nous ne nous sommes pas fréquentées ces derniers temps.

Lentement, nous pénétrons dans la maison jusqu’à rejoindre le canapé, se jetant des œillades machiavéliques l’une l’autre. Une fois que nous sommes toutes les deux prêtes à attaquer nos cibles respectives, je murmure :

_ Un… Deux… Trois !

Nous versons le contenu de nos vers sur eux, sans pitié. Avec des grognements et injures diverses, ils se redressent, les yeux plissés, avant de se rendre compte de la situation. En moins de temps qu’il n’en faut normalement pour se lever, Clément se jette sur Constance, qui l’évite de peu alors qu’Alexis se lève d’un bond et que je m’enfuis dans le jardin. Leurs menaces sont inintelligibles, leur esprit sûrement encore brouillé par le sommeil, mais nous nous retrouvons rapidement au bord de la piscine.

Alors qu’Alexis arrive à ma hauteur, les yeux plissés par la soudaine clarté, je tente de l’éviter pour le pousser plus facilement, mais il est plus vif que moi. En un rien de temps, je me retrouve accrochée à ses bras, les orteils crispés sur le rebord en pierre, à peine retenue. Il semble pleinement satisfait de sa position de force, l’air bien réveillé à présent, et je me rends compte que, de nous quatre, je suis la seule à avoir un avantage : le maillot de bain.

_ S’il te plait, murmuré-je à l’intention de mon agresseur.

Il sourit malicieusement en me penchant un peu plus en arrière, prenant sans doute un malin plaisir à faire durer mon supplice. En réalité, je me fiche de finir à l’eau, mais je ne veux pas y tomber seule, alors il faut que je retrouve un semblant de supériorité.

_ Si tu m’avais choisi comme complice à la place de Constance, on n’en serait pas là…

Je lève les yeux au ciel, prenant un air blasé.

_ Mouais, je sais très bien que t’es pas si fort que ça.

_ Retire ça ou je te lâche.

_ Même pas cap, lui réponds-je avec mon plus beau sourire.

Il n’a pas le temps de réagir à ma réponse que je me laisse tomber en arrière, le tirant de toutes mes forces pour l’entraîner avec moi. La manœuvre est plus dure que ce que je n’aurais pensé, il se débat plutôt bien et ne tombe pas tout de suite, mais c’est peine perdue : j’arrive finalement à l’attraper par le t-shirt tout en me jetant en arrière, le faisant chuter avec moi.

Mon corps se crispe un peu au contact de l’eau fraîche, mais je me sens bien. Pendant le court instant que je passe sous l’eau, j’ouvre les yeux : contrairement à beaucoup, ça ne m’a jamais dérangée. Bien que ça pique un peu, j’adore cette vision qu’on a, là-dessous, c’est beau, apaisant et calme. Tout est trouble, comme dans un rêve, le soleil projetant ses rayons blancs alors que le monde entier au dehors semble disparaître. Les bruits, le vent, la chaleur, la gravité, plus rien ne semble exister, ou a toute petite dose. Je vois le corps d’Alex remonter à la surface, son t-shirt noir contrastant avec sa peau pâle, tandis que je reste, les poumons vidés, jusqu’à finalement ressentir le besoin de respirer.

_ T’as gagné : tu ne dors plus dans ma chambre !

Je rigole de sa remarque, le souffle court :

_ Je te rappelle que ta couette est en bas, maintenant et que, te connaissant, elle va y rester jusqu’à la fin des vacances, et nous aussi.

Il hoche la tête, une ombre de sourire sur le visage, mais ne répond rien, les yeux arrimés aux miens. L’ambiance change soudainement, et j’ai l’impression que nous avons fini de nous bagarrer. Les yeux d’Alex se posent furtivement sur mes lèvres, et j’observe une goutte d’eau glisser le long de sa pommette alors qu’il ne tourne la tête, comme s’il se ravisait de faire quelque chose. A quoi joue-t-il ? Avant que je ne puisse poser la question, un grand splatch ! se fait entendre derrière Alex, suivi des cris de victoire de Constance qui vient – enfin – de faire tomber Clem à l’eau. Alexis et moi regardons notre ami faire un doigt d’honneur à Constance, qui lui saute dessus pour toute réponse, le sourire jusqu’aux oreilles. Ils continuent leur bataille dans l’eau et Alex se tourne à nouveau vers moi. Il me regarde avec la même lueur étrange que tout à l’heure dans le regard, et finit par s’approcher à une lenteur calculée de moi, pour déposer un baiser… sur ma joue. Je lève les yeux au ciel, sans pouvoir retenir mon sourire, déçue d’un tel cinéma pour ça, et il se marre en défaisant mon chignon, passant ensuite ses doigts dans mes cheveux pour les dénouer. Frustrée, je m’enfonce jusqu’au fond de la piscine et remonte, mes cheveux alourdis par l’eau, les éclats de rire des mes amis résonnants dans mes oreilles.

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