Chapitre deux

7 minutes de lecture

Dalil n’avait jamais imaginé qu’il existait un endroit avec autant de verdure, surtout en plein été. Mais à mesure qu’il conduisait, suivant les indications de son téléphone, les collines et les montagnes environnantes se paraient de verts profonds et divers. Oh, bien sûr, il y avait quand même sur le côté de la route quelques champs légèrement jaunis. Mais même les blés étaient loin de la couleur blonde qu’il avait vu tout le long du trajet. Il se demandait même si c’était seulement du blé ? Il n’y connaissait absolument rien, le blé, il le voyait en farine, rarement dans les champs.

Cela lui rappela les moments où il avait travaillé sur la réfection de silos de céréales ou de sucre, il n’aimait pas du tout ces boulots-là. Ce qu’il appréciait, c’était sentir le vent, toucher le ciel, et pas avoir l’impression de plonger dans un gouffre sans fin jusqu’à en étouffer. Il détestait cette sensation de claustrophobie provoquée par les silos.

Il avait ressenti la même sensation avec Ryan, celle d’être coincé quelque part, sans lumière ni issue, avec l’impression que l’air devient plus difficile à respirer. Avec les kilomètres avalés, il se sentait de mieux en mieux, comme si son esprit se détachait de l’engourdissement provoqué par son errance, même la pression sur son cœur s’allégeait. Il obéit au GPS et suivit la route entre les deux falaises, malgré le panneau de travaux interdisant l’accès. Il ne commençait que le lendemain, mais il voulait observer les lieux. La montagne se referma sur lui, mais les pans de pierre recouverts de feuillage ne provoquèrent pas la même impression que les silos. Par contre, la fraîcheur brutale le surprit. L’air filant par sa fenêtre sembla perdre plusieurs degrés d’un seul coup, et même son odeur changea, se chargeant d’humidité. Il jeta un œil vers le ravin sur sa gauche, puis observa la carte sur son téléphone. Oui, un cours d’eau courait tout au fond du ravin. Quelques mètres plus loin, la route était totalement barrée, et il gara son fourgon sur le bas-côté. Il passa les barrières sans se poser de questions. Longeant la route, il découvrit des kilomètres de falaises verticales au ras de la route, projetant leur ombre dessus. Il posa la main le long de la roche et la retira, surpris. Elle était humide. Il leva la tête pour observer la mousse et les plantes affleurant sur la pierre. Pendant encore quelques minutes, il visita les lieux, découvrant les opérations de stabilisations des dernières années, et songeant à celles qu’il allait faire. Puis, il reprit son camion, fit demi-tour et continua jusqu’au camping municipal de la petite ville à cinq minutes de là.

Pour sa première nuit, il décida de ne pas dormir dans le van. Il avait besoin d’air. Il posa une toile étanche sur l’herbe, puis tira son matelas dessus et y déroula son sac de couchage. Il était exactement où il devait être : à la belle étoile. Quand les lumières du camping s’éteignirent, il se sentit enfin loin, ailleurs. Les étoiles paraissaient plus proches grâce à l’altitude et à la visibilité. Il distinguait même avec clarté la bande nuageuse de la Voie Lactée traversant le ciel.

Il avait laissé Ryan derrière lui, mais les souvenirs avaient voyagé avec lui, et il mit une éternité à s’endormir, revivant par petits flashs tout ce qu’il s’était passé. Ça n’avait été que des moments volés assez navrants, Ryan cherchant son plaisir en pensant rarement à celui de Dalil, la façon dont il détournait son regard pour éviter de rencontrer celui de Dalil. Ça aurait pu être n’importe quel mec au final. Pourquoi avait-il fallu que ce soit lui ?

Parce que Ryan savait qu’il ne dirait jamais rien, parce qu’il savait qu’une fois que Dalil l’aurait gouté, il reviendrait, sans rien dire. En vérité, Dalil n’était même pas sûr que Ryan ait songé à tout ça avant de lui attraper la main et de la coller contre son entrejambe. Ryan n’était pas quelqu’un de réfléchi ou qui anticipe les différentes situations, il vivait au jour le jour sans rien prévoir, mentait ou esquivait quand quelque chose ne tournait pas comme il le voulait, ce qui faisait hurler Juliette de rage, qui attendait qu’il grandisse enfin. Dalil ferma les yeux sur les étoiles quand Juliette s’insinua dans ses pensées. Il pouvait prétendre qu’il ne voulait pas la faire souffrir, mais il était tétanisé de peur à l’idée qu’elle le déteste. Ses sentiments pour Juliette n’étaient pas aussi forts que ceux pour Ryan, mais ils étaient moins difficiles à gérer, plus apaisés. En se retournant pour enfoncer le visage dans son oreiller, il se rendit compte qu’il allait tout perdre. Qu’il parle ou non, il avait déjà tout perdu. Il ne lui restait que le poids de sa faute sur le cœur dont il n’arrivait pas à se débarrasser.

* * *

Dalil n’était là que depuis trois jours, mais ça lui avait suffi pour en avoir marre des viennoiseries et du pain dégueulasses que ses collègues achetaient au supermarché.

« Ok, demain, c’est moi qui m’en charge, j’en peux plus de votre pain !

– Qu’est-ce qu’il a, notre pain ? »

Dalil attrapa une baguette et la brandit devant lui. Elle se plia en deux, et les gars ricanèrent.

« C’était assez parlant ?

– Ouais, t’es en manque de bi… de baguette ! s’amusa Valentin. »

Dalil se marra. Avec surprise, il avait retrouvé un gars croisé sur un chantier quelques années auparavant, le monde des cordistes était petit et on finissait toujours plus ou moins par retomber sur les mêmes têtes. À cette époque, lui et Valentin travaillaient sur une rénovation dans une grosse ville pile avant l’été. Et il était hors de question que Dalil rate la Pride, peu importe le lieu où il était. Alors, il y avait traîné une bonne partie de ses collègues. Il se rappelait même de Valentin, son harnais sur son torse nu et son casque sur la tête en une version hilarante de Village People. Voir ces gars hétéros s’agiter sur la musique et crier des slogans pour l’égalité des droits, ça avait été mémorable. Ryan n’avait jamais accepté de l’accompagner, Juliette, oui, mais son meilleur pote trouvait toujours une excuse foireuse.

Merde, il n’avait pas encore pensé à eux aujourd’hui. Pressé par la honte, il avait aussi coupé le contact avec Juliette, prétextant la mauvaise réception de son portable dans ce coin paumé. Après tout, c’était pas loin de la vérité, il perdait l’internet dès qu’il entrait dans les gorges et son van ne captait même pas toutes les radios. Il observa avec dégoût la baguette en pleine débandade.

« Je suis sûr qu’on peut trouver du bon pain par ici, un truc un peu plus dur que ça.

– Vas-y, on te fait confiance pour trouver des trucs durs, dit Valentin. »

Dalil le frappa avec la baguette sous les rires des autres. Val paraissait assez discret au premier abord, puis il se révélait être un mec brailleur et drôle, aimant motiver les troupes. Il visait les autres avec humour, mais jamais méchamment et chacun y avait droit à son tour. Et des fois, Dalil arrivait à oublier qu’il n’était pas parti avec l’envie de découvrir du pays, mais avec le besoin de s’évader d’une relation réduite à un plan cul avilissant et de fuir le regard de sa meilleure amie.

* * *

Dalil avait pris l’habitude de commencer sa nuit à la belle étoile, et de rentrer se mettre au chaud au petit matin, quand la fraîcheur se faisait sentir. Avant le lever du jour, le froid devenait presque piquant. Ce jour ne fit pas exception, et il sortit de la couchette pour prendre un petit déjeuner sommaire, assis dans l’ouverture de la porte latérale. Il porta son café à ses lèvres et pianota sur son téléphone pour trouver les boulangeries du secteur. Ce n’était pas encore six heures du matin, mais en ville, beaucoup de boulangeries étaient déjà ouvertes, même s’il fallait passer du côté du fournil. En pleine campagne par contre, c’était plus difficile à trouver. Il arrêta son choix sur une boulangerie estampillée bio, l’énorme boule dorée recouverte de graines de sésame sur une photo lui rappelant le pain des grands repas familiaux. En plus, la boulangerie était sur sa route. Comme elle ne se situait pas sur la route, il ne l’avait pas remarquée en traversant le petit village avant les gorges. Il tourna à l’endroit indiqué et monta dans le village jusqu’au flanc de la montagne. Il songea qu’en hiver, les habitants ne devaient jamais voir le soleil. Dalil descendit de son van, le rideau de la boulangerie n’était pas abaissé, mais la porte était verrouillée. Toutefois, une lumière brillait dans l’arrière-boutique. Il frappa sur la vitre, mais n’obtint pas de réponse. Alors, il contourna la vieille bâtisse, en suivant les effluves. Il découvrit une porte en bois grande ouverte sur un fournil brûlant, mais personne à l’intérieur.

« Hé, fit une voix derrière lui. »

Dalil se retourna et son premier réflexe fut de lâcher un cri ridicule. À sa défense, le gars était blanc de la tête aux pieds et ressemblait à un fantôme. Et il tenait ce qui ressemblait à une immense machette à la main. Si on rajoutait à ça que Dalil était paumé en pleine cambrousse, sans aucun réseau, on n’était pas loin du film d’horreur, non ? Derrière lui, un grognement sonore retentit, suivi d’un feulement. Il ne se retourna pas, ne quittant pas des yeux la lame du couteau. Elle miroita sous la lumière fade du lampadaire.

« Vous désirez ? demanda le spectre.

– Heu… Survivre ? Ou si c’est pas possible, mourir rapidement et sans douleur. »

Pile au moment où Dalil se disait qu’il ne pouvait pas paraître plus pathétique, un truc long et dur se fourra brutalement entre ses fesses. Cette fois, il hurla réellement comme la meilleure des scream queen et maudit sa quête des trucs durs.

Oui, je sais, j'avais dit le mardi ou mercredi pour les postage. Mais j'ai un peu d'avance sur l'écriture, donc voilà !

Prêts pour la rencontre avec Thibault la prochaine fois ? XD

A très vite !

Prêts pour la rencontre avec Thibault au prochain chapitre ?

A très vite !

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