Chapitre huit

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Thibault ferma la boulangerie un peu plus tôt que d’habitude et prit cinq minutes pour passer sous la douche avant de gagner les festivités dans un champ non loin de l’étang. Il fut un des premiers présents pour monter les barnums et les tables pour la fête. Il s’occupa plus particulièrement du stand de restauration. Il s’était engagé à réaliser les baguettes pour les hot-dogs et avait commandé des saucisses chez un commerçant local. Un peu plus loin, d’immenses barbecues étaient mis en service et l’odeur du feu de bois flottait jusqu’à lui.

« C’est quoi, ça ? »

Il leva la tête. Un gars de son âge venait d’ouvrir le petit frigo coffre et observait les emballages avec dégoût. Thibault connaissait de vue la plupart des gens du village. Mais lui, il savait très exactement qui c’était : Mathéo, pompier volontaire, fils de l’entraîneur du club de rugby et de la présidente du comité des fêtes, bref, une déité locale. Ils avaient passé leur scolarité ensemble, ils avaient même joué dans la même équipe de rugby, dans ce qui semblait une autre vie. La logique aurait voulu qu’ils deviennent amis à un moment donné. Mais, après la mort de ses parents, Thibault n’avait pas joué le rôle qu’on lui avait assigné et les gens l’avaient relégué sur le bord de la route.

« Saucisse végétarienne ? lut Mathéo en soulevant les sachets et en les jetant sur le côté. T’es sérieux ?

– Il y a aussi des saucisses de Francfort.

– Je te préviens, si tes trucs végétariens nous restent sur les bras, ne t’attends pas à ce qu’on te paye tes baguettes !

– J’ai dit que j’offrais mes baguettes ! rétorqua Thibault en maîtrisant sa colère. Et les saucisses végés sont vraiment bonnes, il suffit d’y goûter.

– Sans moi. Je suis un mec, je mange de la viande ! »

Mathéo rejeta le sachet dans le frigo et en claqua la porte, puis il avisa le panneau des prix. Thibault avait mis les hot-dogs végétariens un peu moins chers, pour essayer d’attirer les clients. Il était persuadé que pour une famille de quatre ou cinq, la différence de près d’un euro finirait par jouer.

Quelques minutes plus tard, il fut rejoint par des voisins un peu moins prompts à la critique et ils terminèrent de préparer le stand rapidement, mettant les saucisses à cuire dans les appareils et coupant les baguettes. Lentement, les bordures de l’étang se chargèrent de monde, la musique s’éleva et la piste de dance, un parquet mobile installé pour l’occasion, se remplit avec peine. Il y avait toujours cette gêne en début de soirée d’être le premier à gesticuler.

« Hé, bonsoir ! »

La voix chaude le fit se retourner. Dalil sourit devant son visage surpris.

« Tu es venu ?

– Évidemment, tu m’as dit que tu t’occupais des saucisses. J’aime qu’on s’occupe des saucisses.

– Bravo, tu viens de débloquer le niveau 2 de la beaufitude ! complimenta Thibault. »

Ils pouffèrent avec l’élégance de collégiens. Puis Thibault fut appelé par un client et après quelques pirouettes pour préparer, servir et encaisser, il se retrouva à nouveau devant Dalil, la table en tréteaux les séparant.

« Désolé, d’ici une heure ou deux, je serai un peu plus dispo.

– Tu as besoin d’aide ? »

Sans attendre la réponse, Dalil avait plié son corps musclé pour passer sous la table et le rejoindre.

« Merci.

– Ouais, alors, je préviens, je suis simple troufion, j’ai aucune idée de comment on prépare tout ça. »

Thibault sourit au mot et entendit sa licorne ricaner dans sa tête.

Tant que tu sais suivre les ordres, ça me va.

« Je t’en prépare un pour te montrer si tu veux. Viande ou végé ? Moutarde, ketchup ou mayo ?

– Végé ou mes parents ont pas fini de prier pour moi. Et moutarde. »

En moins d’une minute, Thibault assembla le hot-dog et lui tendit dans une serviette en papier, tout chaud.

« Merci. Attends, je trouve de la monnaie pour le payer.

– Pas la peine, je compte bien te faire bosser pour ça. »

Dalil sourit et mordit dans le hot-dog.

« Hé ! C’est pas mal du tout ! s’écria-t-il après la première bouchée. Le goût est agréable, on sent les épices.

– C’est du paprika et de la levure maltée.

– C’est parfait. »

Les yeux de Thibault s’emplirent de quelques reflets et Dalil se demanda ce qu’il avait bien pu faire pour mériter une telle réaction. En quelques bouchées, il termina le hot-dog, il reconnaissait le pain de Thibault, son croquant et sa façon de fondre dans la bouche. Dalil se mit au travail avec application. C’était un peu comme une soirée entre potes, sauf qu’il n’avait pas à courir après les gens pour leur demander de participer.

« Excuse-moi, je passe, dit-il en plaquant son corps contre celui de Thibault pour découper du pain.

– T’as besoin de beaucoup d’espace pour passer.

– J’ai beaucoup de muscles à faire passer.

– Oh, moi qui croyais que c’était tes chevilles qui coinçaient. »

Dali se marra et ils détachèrent dans un frôlement évocateur. Ils n’arrivaient pas vraiment à se parler, seulement quelques phrases et des sourires. Dalil s’arrêta devant un jeune homme qui manifesta son impatience par un tapotement de ses doigts sur la table.

« Oui ?

– Deux hot-dogs, un ketchup et un mayo, fit le gars sans cérémonie. Et pas un truc de soja, on est des viandards, nous ! »

Il eut un rire en direction de son groupe. Dalil patienta sans se départir de son sourire.

« Ben, t’attends quoi ?

– Un s’il te plait.

– T’es qui, toi ? T’es pas d’ici ! »

Thibault intervint avec une expression que Dalil ne lui avait jamais vue, neutre et distante.

« C’est un ami à moi, Mathéo, et il en fait plus que toi et tous tes potes réunis.

– Nous, on boit ! »

Des cris d’approbation s’élevèrent derrière lui.

« Alors, tu les vends tes trucs pour les piafs ?

– Un peu. »

Thibault jeta un coup d’œil vers les appareils à hot-dogs. Il avait proposé la version végétarienne à chaque fois, mais la nouveauté rebutait parfois les gens, heureusement, Dalil avait eu un peu plus de succès que lui. Mathéo se tourna vers cordiste.

« Ok, deux hot-dogs, s’il te plait, fit-il avec une politesse feinte. »

Dalil attendit que Thibault se détourne avant de s’exécuter. Il venait de se rendre compte de quelque chose. C’était le village de Thibault, mais personne ne s’était arrêté très longuement pour lui parler, personne ne l’avait abordé avec une exclamation joyeuse. Il y avait une indifférence à son endroit, comme s’il existait à peine. Dalil prépara les deux hot-dogs et encaissa avec une amabilité bien foutage de gueule. Il vit le gars brandir ses snacks et mordre dedans avec un rugissement théâtral.

« Hé, fit Thibault, tu t’es trompé, tu lui as donné des saucisses végés.

– Ah ouais ? Bah, il a pas l’air de s’en plaindre, non ? Et les autres non plus.

– Les autres ? »

Dalil eut un sourire d’excuse.

« Je me suis planté quelques fois, pas volontairement, hein. Pour l’autre con, par contre, je l’ai bien fait exprès. Et regarde-le, tout content de jouer avec une grosse saucisse, ça doit pas lui arriver souvent, le pauvre. »

Ils jetèrent un œil vers Mathéo qui se mettait en scène auprès de ses potes, puis se regardèrent et partagèrent un même fou rire.

« T’es incroyable, murmura Thibault.

– Et encore, t’as pas tout vu.

– On parle toujours de saucisse, là ?

– Je vise le niveau 3 de beaufitude, admit Dalil avec un sérieux surjoué. Permission de faire à ma façon pour la vente ?

– Au point où j’en suis, tu fais comme tu veux !

– Ok, chef, c’est parti ! »

Ils passèrent encore une heure à servir les clients, Dalil vanta « le hot-dog spécial au goût relevé d’épices, une vraie merveille » et écoula une grosse partie des saucisses végétariennes sous les rires dissimulés de Thibault. Il n’avait jamais connu une telle complicité avec quelqu’un. Dalil était facile, évident, accessible. Et surtout, Dalil ne le connaissait pas et c’était tout ce dont il avait besoin, quelqu’un qui ne voyait qu’une page blanche avec quelques mots.

Thibault débrancha les appareils et rangea les aliments restants. Désormais, ce serait la buvette qui ferait office d’attraction principale. Dalil s’assit sur la table et regarda les gens évoluer sur la piste de danse. La musique était pour l’instant un joyeux medley entre les époques pour satisfaire tout le monde. Après le feu, le DJ passerait à de la musique avec des grosses basses pour faire fuir les anciens. Thibault lui posa lentement la main sur l’épaule, appréciant la fermeté sous ses doigts.

« Bravo, et merci.

– De rien. J’adorais faire le marché avec ma mère quand j’étais gamin. Je pourrais vendre un tapis volant à Superman. »

Ils éclatèrent de rire. Dalil bascula vers lui et reprit :

« C’est drôle cinq minutes, mais servir des gens toute ma vie, je pourrais pas. »

Puis, il s’arrêta, parce que c’était une partie du travail de Thibault.

« Pardon, j’imagine que c’est pas ainsi que tu vois ton métier.

– C’est pas le côté vente qui me passionne, mais je ne peux pas employer de vendeur pour l’instant. »

La main de Dalil se superposa à celle de Thibault et il leva les yeux vers lui. Thibault se lécha les lèvres, intimidé, puis demanda :

« On bouge ? Ils vont tirer le feu d’artifice d’ici un quart d’heure. On peut aller s’installer.

– Et trouver les meilleures places ?

– Elles sont déjà prises. Mais c’est possible que je connaisse un petit coin sympa. »

Ils laissèrent le stand et gagnèrent le chemin de terre longeant le champ. De toute part, les gens convergeaient vers le même endroit, certains éclairant leurs pas avec leurs téléphones portables.

« Viens ! »

Thibault glissa sa main dans celle de Dalil et le tira dans le bois adjacent.

« Fais attention aux branches.

– Aïe ! Ça aurait été bien de me le dire avant ! »

Thibault se retourna et tendit la main vers le visage du cordiste.

« Pardon ! Tu t’es fait mal ?

– Non. »

Dans la pénombre, il pouvait voir le sourire sur les lèvres rieuses et il avait envie de les embrasser. Il resserra sa main sur celle du cordiste, il sentait ses doigts contre les siens, la poigne forte et tendre.

« Viens, c’est pas très loin. »

Ils passèrent sous la frondaison des arbres, puis longèrent le cours d’eau. Enfin, ils arrivèrent sur le bord de l’étang. Sur leur gauche, ils pouvaient voir la rive bondée de monde.

« Waouh, t’as raison, c’est sympa.

– Ne t’assois pas !

– Quoi ?

– Il y a des orties.

– C’est tout de suite moins sympa ! »

Thibault le poussa en avant, profitant de ce contact. Durant son adolescence, il avait déjà embrassé des garçons, les avait frôlés, parfois leurs mains s’étaient aventurées dans leurs sous-vêtements, mais ce n’était pas allé plus loin. Dalil n’était pas un garçon, c’était un homme et il désirerait plus que quelques caresses. C’était terrifiant de le savoir et enivrant d’attendre ce moment.

« Il y a un grand rocher plat juste là. Attention ! »

Il ne voulait pas allumer son téléphone et gâcher l’ambiance, aussi il aligna son corps contre celui de Dalil et le guida. Tout aurait été plus simple si son entrejambe n’avait pas réagi aussi rapidement à la peau de Dalil collée à la sienne et à la façon dont ce dernier laissa aller son dos contre son torse, puis ses fesses contre ses hanches.

« Ça, c’est très sympa, murmura le brun en effectuant un léger mouvement sur lui. »

Thibault sentit le tissu de son short et de son boxer se faire inexistants. Sa queue se mouvait légèrement entre les fesses de Dalil et si, jusque-là, il s’était toujours imaginé dans le rôle inverse, la sensation le suffoqua. Il avait envie de tout ! Il s’écarta, honteux :

« Pardon ! »

Dalil se retourna et scruta les ténèbres pour percevoir son visage qui devait être écarlate.

« Y a pas de mal, fit-il. Je crois que j’ai trouvé ton rocher. »

Ils s’installèrent en silence, côte à côté, sentant à chaque geste leurs peaux entrer en contact. Quelques minutes plus tard, le dernier projecteur s’éteignit et la musique crachota dans les enceintes avant de se stabiliser. Les premières fusées montèrent et explosèrent au-dessus d’eux.

Dalil s’inclina vers Thibault. Il n’avait jamais dragué aussi lentement, et il découvrait que c’était surprenant et agréable. Et que le boulanger était sans encore plus innocent qu’il le pensait. Mince, est-ce qu’il avait seulement fait quoi que ce soit ?

Des sifflements le détournèrent de ses interrogations. Des filaments de lumière montèrent de chaque côté de l’étang et se rejoignirent pour exploser en une pluie d’étincelles et descendre sur l’horizon, semblant toucher la cime des arbres. Pendant une dizaine de minutes, les feux d’artifices jaillirent et s’estompèrent en une multitude de tableaux. Son cœur était entraîné par la musique, un medley de chansons françaises, et la féérie des couleurs tranchant sur le ciel sombre, il n’avait pas souvenir d’un feu d’artifice pareil. Il se souvenait de fêtes, de beuveries avec des amis, mais jamais d’avoir profité aussi intensément du spectacle. De son bras, il entoura la taille de Thibault et le ramena contre lui.

« C’est magnifique, chuchota-t-il entre deux bruits de détonation.

– Tu n’as pas encore vu le bouquet final.

– On n’y est pas ? »

Thibault se tourna et secoua la tête, heureux de le surprendre.

« Pas encore. »

Il lut ces deux mots sur ces lèvres et eut envie de les embrasser, mais une myriade de couleurs déchira le ciel, nimbant le visage de Thibault, et il tourna les yeux vers le haut. Pendant plusieurs secondes, les fusées se succédèrent, ne laissant pas le temps à l’une de s’éteindre qu’une autre prenait sa place, formant des paysages dans une symétrie imparfaite. D’un seul coup, il vit une dizaine de fusées monter vers le ciel et lâcha un juron. Les feux éclatèrent presque en même temps, débordant le ciel de lumière pendant quelques instants fugaces.

Et tout s’arrêta, les dernières étincelles descendirent lentement jusqu’à toucher leur reflet dans l’eau. Dalil se tourna vers Thibault et l’attira tout près de lui. Il voulait l’embrasser. Il voulait parfaire ce moment, le rendre unique, mémorable.

Thibault sentait sa peau moite, son cœur fébrile. Il ne restait que quelques centimètres entre eux, il le devinait à défaut de le voir clairement. Dalil n’allait pas l’embrasser, il allait lui laisser trouver ses bonnes raisons à lui. Et à ce moment, Thibault n’en avait qu’une en tête : il en avait envie. Est-ce que c’était une bonne ou une mauvaise raison, il n’en savait rien. Une raison égoïste sans aucun doute, mais d’un égoïsme partagé qui ne faisait de mal à personne. Il sentit le souffle d’un rire, d’une attente. Et il plongea, il s’avança et déposa ses lèvres sur celles de Dalil. Elles étaient chaudes et sèches et elles flattèrent les siennes avec douceur.

Puis, le bras du cordiste s’enroula autour de sa taille et le ramena plus fortement dans l’étreinte. Son autre main monta pour glisser son pouce sur ses lèvres et les entrouvrir, avant de poursuivre le baiser, poussant sa langue dans sa bouche. Thibault s’entendit gémir et il eut l’impression que le monde entier avait perçu ce bruit. Et Dalil surtout. Il sourit contre lui et ravit sa retenue en ravageant sa bouche. Il se retrouva plaqué contre le rocher, les bras accrochés aux épaules de Dalil et ses hanches recommençant ce mouvement de bascule infini.

Il avait l’impression de voir encore les fusées scintiller, d’entendre leurs explosions et leurs sifflements, sauf qu’elles explosaient dans son corps. Dalil attrapa son menton et bascula son crâne en arrière. Il crut qu’il allait attaquer son cou, mais il l’embrassa à nouveau, trouvant l’angle parfait pour aviver le contact et plonger dans sa bouche.

Thibault accueillit ce baiser avec un laisser-aller qui le surprit. Il ne savait pas s’il était lui-même ou un autre à ce moment précis, tout ce qu’il savait, c’était qu’il se sentait bien. Il flottait dans un état presque extatique, conquis et ravi de l’être. Dalil se recula, l’embrassa encore, rit quand Thibault tendit la langue pour toucher la sienne.

Dalil s’amusa de l’ardeur de Thibault et de sa sensibilité. On aurait dit que son corps allait accepter tout ce que Dalil ferait sans reculer. Lentement, il s’était fait une place entre les cuisses du jeune homme et sentait son sexe dur pressé entre leurs corps. Thibault se tortillait légèrement, des petits gémissements au bord des lèvres à chaque mouvement. Dans la pénombre moite, les sons étaient délicieux, mais Dalil avait envie de contempler les yeux verts, de les voir s’abaisser d’embarras, il voulait voir les joues s’embraser de rouge. Il voulait tout ça alors qu’il répondait au mouvement de Thibault. Quelques secondes de plus et il extirperait son sexe de ses vêtements pour le coller entre les fesses étroites. Il résista et se redressa, ramenant Thibault en position assise. Le jeune homme tentait de cacher son souffle court et lourd.

Qu’est-ce que ce serait quand Dalil ravagerait son corps du sien, quand il le baiserait sans qu’il puisse se cacher ? Oh, il voulait voir tout ça et il sentit son sexe tressaillir à l’idée, mais il le ferait correctement, au bon moment, pas sur un rocher au milieu des orties. Dalil guida sa main sur son visage, jusqu’à pouvoir poser son pouce sur sa bouche, il caressa la lèvre inférieure, se pencha et l’embrassa une seule fois, dans un baiser léger.

« On retourne à la fête ? demanda-t-il. Je veux bien que tu me guides, je sais plus du tout par où on est venus.

– Ouais, ok, dans deux minutes, le temps que je…

– Que tu débandes. »

Thibault se tortilla à côté de lui et Dalil se mit à rire.

« Je peux te sentir rougir !

– Moque-toi et je t’abandonne ici ! »

Ils se dressèrent sur leurs jambes, la main de Thibault retrouvant celle de Dalil pour l’entraîner entre les arbres. Ils se lâchèrent dès que les spots de la piste de dance leur permirent de savoir où ils mettaient les pieds. Thibault contempla les lieux et la foule. Il le savait, le moment était passé.

« J’ai encore quelques trucs à ranger, mais va t’amuser, je te rejoins plus tard.

– Tu as besoin d’aide ? »

Thibault sourit et secoua la tête.

« Non, va boire, va danser, t’es venu là pour ça, non ?

– Tu sais très bien pour quoi je suis venu, rétorqua Dalil en le fixant et en attendant que ses joues s’enflamment en réponse. Mais ok, je vais nous chercher à boire et je reviens. »

Thibault acquiesça et se hâta d’aller aider les membres du comité des fêtes. Il avait ce sentiment de devoir être exemplaire, aussi se chargea-t-il des tâches les plus ingrates, comme aller nettoyer les grilles des barbecues et vider les friteuses. Il se tourna plusieurs fois vers la buvette et la piste de danse, essayant de distinguer la silhouette de Dalil.

Mais le temps passa sans qu’il ne l’aperçoive.

« Thibault, c’est bon, on a fait le plus gros, on finira demain. »

Il se tourna vers Nino, un des employés municipaux.

« Ok.

– J’ai pas vu tes grands-parents, dit-il.

– Non, mon grand-père ne supporte plus trop la foule.

– Je comprends. J’essaierai de passer les voir quand j’aurai un peu de temps. »

Thibault hocha la tête. Plein de gens promettaient la même chose pour se donner bonne conscience, mais la maison de ses grands-parents n’accueillait personne. Ils maintenaient tout juste des relations de bon voisinage.

Il s’assit sur un banc et étala ses jambes devant lui. Il était épuisé, il s’était levé aux aurores et avait couru toute la journée. Sans parler des allers-retours dans sa poitrine, son cœur devait avoir parcouru trois étapes du tour de France rien qu’aujourd’hui. Et il continue à pédaler, à tourner trop vite. Dalil ne revenait pas.

Ils s’étaient embrassés, et Dalil ne revenait pas. Qu’est-ce que Thibault avait raté ? Est-ce qu’il aurait dû être plus entreprenant ? Le déshabiller ? Manifester un peu plus d’enthousiasme ? Il n’avait rien fait ! Encore une fois, il n’avait rien fait. Il détesta instantanément cette phrase.

C’était Dalil qui avait mis le holà à chaque fois, comme s’il cherchait encore des raisons, et seulement des bonnes. Oh bordel ! Il emprisonna sa tête entre ses mains et ferma les yeux. Pendant quelques minutes, il laissa sa fatigue le submerger. Il pensait que ce serait facile, un bel homme, lui et sa foutue façon de rougir comme un tomate, et une étendue d’herbe, une pierre, n’importe quoi pour laisser leurs ardeurs prendre le dessus. C’était comme ça que ça marchait, non ? Ou était-il trop décalé avec le monde pour comprendre ne serait-ce que les bases d’un coup d’un soir ? Le plan de sa licorne adjudant-chef avait un accroc quelque part.

Quelque chose de froid se plaqua sur la peau de son front et il sursauta brusquement.

« J’ai cru que tu t’étais endormi, s’amusa Dalil. »

Il se tenait accroupi devant lui, deux bouteilles de bière à la main, ayant taquiné Thibault avec l’une d’elles.

« J’étais pas loin de sombrer, mentit Thibault en se redressant et en saisissant la bière tendue. »

Il n’avait pas envie de bière, plus d’un grand verre d’eau, mais il porta tout de même le goulot à ses lèvres. Dalil répéta son geste et s’assit à ses côtés.

« T’es debout depuis quelle heure ? demanda-t-il.

– Trois heures, comme d’habitude.

– Nom de dieu, et c’est maintenant que tu le dis ? J’ai envie de t’envoyer au lit avec un coup de pied aux fesses. »

Dalil glissa la main dans ses cheveux. Il saisit ses mèches et les secoua pour le gronder comme un enfant rebelle.

« C’est pas comme ça que j’ai envie que tu m’envoies au lit.

– J’ai bien compris, dit-il en laissant retomber sa main. »

Dalil but une gorgée de bière et resta silencieux. Il ne se reconnaissait plus, il n’avait jamais reculé devant un homme qui lui plaisait. Il n’avait jamais reculé et c’est ainsi qu’il s’était retrouvé dans une situation pourrie avec Ryan. Parce qu’il n’avait pas réfléchi à toutes les mauvaises raisons. Mince, il était encore hanté par son meilleur ami.

« Tu veux venir chez moi ?

– Et que tu t’endormes sous mes assauts virils ? Je risquerai d’être vexé. Va dormir, Thib, tu es épuisé, on se voit demain.

– Mais je… »

Dalil posa la main sur la cuisse du jeune homme. Elle était ferme et il pensa à la sensation que ce serait de les écarter pour s’y faire une place. Il se demanda si Thibault banderait tout aussi vite à ce moment-là ou si l’appréhension le gagnerait. L’inexpérience du gamin était de plus en plus flagrante. Il n’était pas le seul à chercher à effacer quelque chose dans cette histoire.

« Laisse-moi encore trouver des bonnes raisons. Plus il y en a, mieux c’est.

– Je vais me venger, prévint Thibault dans un bâillement.

– Si tu comptes faire tomber le bas, j’ai hâte de voir ça ! »

Thibault ricana. C’était meilleur que ce qu’il avait imaginé, meilleur et beaucoup moins simple que prévu. Dalil ne prévoyait pas de coucher avec lui pour repartir ensuite vers d’autres missions, le soleil couchant éclairant sa silhouette virile. Mais mince, depuis quand la fatigue empêchait-elle de s’envoyer en l’air ?

Bonjour,

et si je vous dis que cette scène, ça fait près de deux ans qu'elle est là dans ma tête. Et que chaque fois que je vois un feu d'artifice, je pense à eux.

Bref, voilà, ça me fait plaisir d'enfin la partager.

Bon week-end.

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