Chapitre neuf
Sans doute depuis qu’il lui fallait moins d’une minute pour s’endormir après avoir posé la tête sur son oreiller. Un mouvement insistant le tira une première fois de son sommeil, mais il remonta le drap par-dessus sa tête et tenta de se rendormir. Des miaulements répétés prirent le relais, puis deux poids, l’un léger et l’autre lourd sautèrent sur le lit.
« Je vous déteste, râla Thibault en se tournant et en observant Oz et Flèche. »
Le chat s’installa sans lui prêter la moindre attention, mais Flèche lui sauta dessus avec un air ravi.
« Arrête ou je t’emmène pas en promenade, menaça Thibault. »
Au mot promenade, le berger suisse glapit de joie.
« Pas ! Je t’emmène pas ! Pas ! Tu sais ce que ça veut dire ? »
Vu que Flèche fourra son museau dans son cou, lui indiquant qu’il n’en avait pas la moindre idée, ou qu’il s’en contrebalançait. Thibault saisit le réveil sur sa table de nuit, il sentait sa grasse mat fichue. Il bondit quand il vit l’heure affichée dessus.
« Merde ! »
Dalil arrivait dans trente minutes et il n’était même pas prêt ! Il balança le drap qui couvrait son corps. Il s’était endormi nu, la main posée sur son érection persistante, n’ayant plus assez d’énergie pour se masturber, mais suffisamment d’imagination pour tomber dans des rêves agréables. Il savait qu’il avait rêvé de sexe. Il le sentait à la langueur de son corps, à l’envie encore présente dans ses reins. Il referma les yeux et s’étira pour garder cette sensation. Il savait aussi qu’il avait rêvé de Dalil, de ses yeux sombres aux cils longs, de son sourire amusé et d’une licorne avec un béret de commando en train de remuer le popotin dans une danse de la victoire effrénée. Merci pour le côté tordu. Il finit par se lever et, avant de filer sous la douche, remplit les gamelles de Flèche et Oz.
Il terminait son deuxième thé quand le van se gara le long de sa maison. Il ouvrit la porte et attendit sur le seuil que Dalil descende. Il attendait sans savoir exactement quoi. Et il comprit quand le cordiste descendit du véhicule et le contourna.
Thibault attendait que l’envie se manifeste à nouveau entre ses jambes. Et elle le fit, mais elle se plaça aussi dans la courbe de sa langue, vive et exigeante.
« Salut ! Bien dormi ?
– Très bien, je viens à peine de me lever. Tu veux boire quelque chose ?
– Non merci, ça ira.
– Flèche nous accompagne, ça te dérange pas ?
– Du tout. On a besoin de nos pieds encore ?
– Et de ton van.
– Ok. J’ai hâte de voir où tu m’emmènes »
Thibault sourit. Il y avait pensé pendant des jours. Trouver un endroit sympa n’était pas difficile, choisir lequel était plus complexe. Il s’était finalement dit qu’il déciderait en fonction de la température. Comme il faisait déjà lourd, la décision coulait de source, tout comme le lieu.
« Tu as un maillot de bain là-dedans ? demanda-t-il en montrant le van.
– Bien sûr. On y va quand tu veux. »
Thibault attrapa son sac à dos et ferma sa porte à clé. Il ouvrit la portière passager et rigola en voyant Dalil se pencher pour fourrer avec empressements des papiers dans le vide-poche.
« Je t’assure que d’habitude, c’est super bien rangé.
– J’y crois pas une seconde. »
Thibault siffla et Flèche bondit devant lui.
« Couché ! ordonna-t-il. Aïe, tu es lourd ! Tu es sûr que ça t’embête pas de l’avoir ? Il n’a pas eu assez de balade ces derniers jours et si je le laisse dans le jardin, il va passer l’après-midi à aboyer. »
Dalil hocha la tête.
« Ça me va. Il est efficace contre les lynx et les loups ?
– Non, seulement contre les cordistes la nuit. »
Un éclat de rire s’éleva entre eux, et Thibault eut l’impression qu’ils retrouvaient la complicité avec laquelle ils s’étaient quittés la veille au soir, aussi douce et agréable que les baisers de Dalil. Thibault se lécha les lèvres. Il se demanda si le brun l’embrasserait encore aujourd’hui, s’il arriverait à réclamer plus ou s’il s’endormirait encore la tête pleine de fantasmes inassouvis.
« Prends la direction des gorges, indiqua-t-il.
– J’ai l’impression d’aller au boulot.
– On tourne avant, t’en fais pas. »
En effet, une bonne centaine de mètres avant la fermeture de la route, Thibault le fit bifurquer sur une route étroite. Suivant ses directives, il se retrouva bientôt à prendre des virages serrés pour grimper à flanc de montagne.
« Arrête-toi là ! dit Thibault en montrant un bas-côté en gravillons. Tu ne gêneras personne. »
Thibault descendit en premier, puis attrapa son chien par le collier pour le garder à ses côtés.
« Pas maintenant, Flèche, on est encore sur la route, dit-il en levant un doigt devant la truffe.
– Il t’obéit ?
– Pas vraiment, non. Il était déjà adulte quand je l’ai eu, et ses anciens maîtres ne s’étaient pas embêtés à le dresser. J’essaie de lui apprendre quelques règles de base, mais ça marche une fois sur deux. »
Dalil ouvrit la porte coulissante arrière et attrapa son sac à dos. Il brandit ensuite son téléphone.
« Tu seras ravi d’apprendre que j’ai fait des recherches sur la faune et la flore remarquables de la région.
– Ok, on va voir si tu as bien tout retenu ! »
Tenant du mieux qu’il pouvait Flèche, il marcha sur le côté de la route jusqu’à un chemin en terre qui descendait. Ils plongèrent immédiatement dans la nature et Dalil retint son souffle. Devant lui, Thibault lâcha son chien qui fila prestement au « va ! » que lui chuchota son maître.
« Tu n’as pas peur qu’il se perde ?
– Tu te perdras avant lui. Il connaît bien le coin et ne s’éloigne jamais trop. Il revient toujours quand je l’appelle. »
Ils descendirent pendant encore quelques mètres avant d’arriver au fond du vallon. Un cours d’eau paisible en avait fait son lit et Dalil devina que c’était le même qui coulait ensuite dans les gorges où il travaillait. Thibault se pencha pour attraper une pierre plate le long du rivage, il l’observa et la fourra dans sa poche.
Dalil attrapa sa main quand il l’extirpa de son vêtement. Il tira lentement Thibault jusqu’à lui. Le boulanger lui renvoya un regard ravi et attentif.
« J’ai envie de faire ça depuis que je t’ai vu, murmura Dalil. »
Et il embrassa Thibault, tout simplement. Il avait envie de faire beaucoup plus. Mais il se rendit compte à ce moment précis combien il n’avait jamais profité totalement d’un baiser, toujours en attente du sexe. Un baiser n’était pas qu’une entrée en matière, un prélude au sexe, c’était un acte à part entière. Avec Thibault, un baiser revêtait un caractère unique et singulier. Bien sûr, Dalil désirait qu’il y ait une suite à ce baiser, mais ça ne l’empêcha pas d’apprécier entièrement tous les mouvements de l’homme devant lui. Le léger effleurement de ses hanches contre les siennes. Ses lèvres qui s’ouvraient et se refermaient, essayant de se calquer sur son rythme à lui, la langue impatiente qui tentait de se maîtriser.
Il tendit les mains et l’attira plus près, permettant à Thibault d’explorer sa bouche de part en part et le mettre dans un état incroyable. Ils se séparèrent en haletant.
« J’espère que t’as pas prévu une randonnée de trois heures.
– Bah pourquoi pas, t’as déjà la canne de marche ! »
Dalil se marra et tira sur son short pour se rajuster.
« Allez, avance, je te suis ! »
Thibault se détacha de lui avec un sourire radieux et Dalil se dit qu’il n’avait jamais produit un tel effet sur un amant. Enfin, après de longs déhanchés bien ajustés, oui, mais pas avec un seul baiser. Il regarda le boulanger poser les pieds avec assurance sur les pierres affleurant dans le courant.
« Viens ! dit Thibault en se retournant et en lui tendant la main. Tu vas adorer ! »
* * *
« Rappelle-moi pourquoi on monte là-haut si c’est pour redescendre ? demanda Dalil après une petite heure de marche.
– Tu montes bien en haut des falaises ou des immeubles, non ?
– Ouais, mais je sais pourquoi j’y vais.
– La vue est superbe, se justifia Thibault.
– J’ai déjà une superbe vue !
– Merci, je fais de mon mieux ! »
Malgré les rougeurs sur son visage, le gamin prenait délicieusement en assurance. Et Dalil était persuadé que le balancement des fesses devant lui n’était pas seulement dû à la montée ardue. Ils firent une pause quand le terrain devint moins pentu.
« Hé, je sais ce que c’est ça ! s’exclama Dalil. »
Il pianota sur son téléphone quelques secondes puis se pencha pour observer une plante aux longues feuilles.
« C’est de l’ail des ours ! Ça se mange, non ? »
Il tendit la main vers une feuille et Thibault l’arrêta.
« Non, c’est pas de l’ail des ours, c’est des colchiques, c’est toxique.
– Il y a des trucs qui tuent pas dans ta montagne ?
– Plein, rétorqua Thibault avec un sourire, mais faut savoir les reconnaître. Les feuilles de l’ail des ours se ramassent au printemps, c’est trop tard.
– Merde, dommage, ça avait l’air super bon.
– Ça l’est. Range ton téléphone, tu voulais un guide en chair et en os, tu l’as. »
Dalil glissa son téléphone dans son sac à dos pour ne plus être tenté de le sortir.
« Ne dis rien, je sais, j’ai l’air d’un abruti de citadin. »
Ils avancèrent de quelques mètres.
« Tu pourrais au moins me contredire !
– Mais tu m’as dit de rien dire !
– Je m’attendais pas à ce que tu obéisses, se moqua Dalil. »
Les yeux de Thibault se voilèrent une seconde puis il sourit, laissant à Dalil le sentiment d’avoir raté quelque chose. Comme la veille au soir, avec tous ces gens qui avaient plus ou moins ignoré Thibault. Flèche vint tourner autour d’eux et Thibault l’empêcha de leur sauter au visage, puis le chien fila comme son nom l’indiquait. Dix minutes plus tard, la fichue manie de se rendre intéressant de Dalil ressortit.
« Ah, ça, c’est des mûres ! J’ai bon, non ?
– Ouais, bravo ! rigola Thibault.
– Et ça se mange !
– Oui, mais… »
Trop tard, Dalil avait forcé pour cueillir le fruit et le fourra dans sa bouche.
« Mais plus tard dans la saison, continua Thibault, là, elle risque d’être…
– Dégueulasse ? grimaça Dalil.
– Un peu acide.
– Ta montagne me veut du mal.
– Tu n’écoutes pas ton guide aussi, ça aide pas. »
Un nouveau fou rire les prit et ils eurent toutes les peines du monde à se remettre en route. L’air devint soudain plus frais, et l’odeur se chargea d’humus. Le sentier se perdit parmi les branches, la terre uniquement marquée par les pas des rares promeneurs.
« On a quitté le chemin balisé, expliqua Thibault. La montée va être un peu plus ardue à partir de là. »
Ils se cramponnèrent à des branches, s’arrimèrent l’un à l’autre pour avancer, et ils revinrent enfin le long du torrent pour en longer le lit agité, s’aidant des roches pour grimper.
« Tu avais raison, j’adore !
– Et c’est pas fini !
– Il y a un bar à bière tout en haut ? Parce que je rêve de quelque chose pour me rafraîchir. »
Thibault lâcha un rire et continua de monter. Dalil ne sut pas s’il s’habituait au chant de l’eau ou si le courant était moins fort, mais les autres sons de la nature reprirent leurs droits. Il comprit pourquoi quand ils arrivèrent à une retenue d’eau, formant un bassin de plusieurs mètres de larges.
« Waouh ! »
Il lâcha son sac à dos et avança jusqu’au bord. Avec étonnement, il découvrit un mélange de sable et de roche. Il balança ses baskets et sautilla pour enlever ses chaussettes, se foutant bien de ne plus paraître comme le plus adulte des deux.
« On peut se baigner ? demanda-t-il en s’avançant. Ou faut attendre une autre saison ?
– Faut attendre qu’il fasse moins chaud. On a une alerte sur les étendues d’eau de la région. Il y a une algue qui se développe avec la chaleur et qui provoque un prurit génital.
– Un quoi ?
– Des démangeaisons à l’entrejambe !
– Sérieux ? s’exclama Dalil. Putain, mais c’est quoi cet endroit ? »
Il capta trop tard le sourire espiègle sur les lèvres. Dalil sentit une poussée sur ses épaules et il se retrouva les fesses dans l’eau et les oreilles emplies du plus beau rire qu’il ait jamais entendu.
« Mais t’es un enfoiré ! Je suis trempé !
– Tu voulais te rafraîchir !
– Ouais, pas me noyer. »
Thibault fit valser chaussures et chaussettes à son tour et entra dans l’eau. Il tendit la main vers Dalil avec un sourire penaud.
« Désolé, murmura-t-il. »
Dalil attrapa la main et la serra.
« Vengeance ! clama-t-il soudain avec un sourire triomphant. »
Il tira brusquement Thibault en avant, tout à fait confiant dans ses capacités. Avec un cri, le jeune homme bascula dans l’eau et Dalil le récupéra contre lui. Une fois stabilisés, il guida les jambes de Thibault de chaque côté de ses hanches.
« Alors, on rigole moins maintenant ? »
Thibault cligna des yeux et réprima un frisson. Mais il ne put occulter le deuxième quand la main de Dalil courut le long de sa colonne vertébrale pour s’arrêter sur sa nuque. Il avait envie de s'arquer sur le bras de Dalil, de laisser son corps réagir. Il baissa les yeux et esquissa un sourire en découvrant l’homme qui le retenait.
Dalil agrippa son cou et l’incita à descendre. Leurs bouches se retrouvèrent encore à cette distance intenable et Thibault la combla avec une envie brutale, si éloignée du garçon timide et rougissant qu’il était d’habitude. C’était leur troisième baiser et il était encore différent, plus animal. Il avait la sensation de ne plus chercher à suivre un rythme, mais de suivre son instinct.
Les mains de Dalil descendirent sur sa taille et lui intimèrent d’une pression de bouger. Et il le fit, ajoutant des remous à l’eau déjà vive. Une première fois, il vint cogner l’entrejambe de Dalil, puis une deuxième. Il devina l’excitation qui gagnait le brun, il la sentait se déployer contre lui.
« Hé, attends, murmura Dalil.
– Non je veux pas attendre, répondit Thibault en ramenant son corps contre celui de Dalil.
– Ok.
– Ok ? »
D’un mouvement empli de calme, Dalil descendit les mains sur ses fesses, les saisit et le rapprocha, augmentant le contact entre eux, débutant une lente dance. Thibault se contracta une seconde. Dalil le faisait bouger sur lui comme un pantin, et passé la surprise, il s’abandonna tout entier sous le mouvement.
Soudain, Dalil se dressa hors de l’eau, Thibault dans ses bras, sans même sembler forcer. Le jeune homme émit une acclamation étonnée qui arracha un rire à son amant. Pendant quelques instants, il crut que Dalil allait les sortir de l’eau, mais il pivota et s’avança vers l’endroit plus profond. Thibault sentit son corps se faire plus léger à mesure que Dalil les immergeait dans l’eau.
Et il l’embrassait encore, il le ramenait et l’éloignait de lui avec ce mouvement qu’on aurait pu croire perpétuel.
« Plus ? demanda Dalil à mi-voix.
– Oui, s’il te plaît, oui.
– Trop poli, ricana le brun.
– Trop excité.
– Ça me plaît beaucoup. »
Dalil remit Thibault sur ses pieds, puis il se dressa face à lui. L’eau avait beau être fraîche, leur excitation n’était pas redescendue. Lentement, Dalil descendit le short de Thibault sur ses hanches. Le vêtement tomba presque de sa propre volonté.
« T’as mis combien de pierres dans tes poches ?
– Beaucoup trop, je crois, murmura Thibault en réponse, le souffle soudain court. »
Dalil s’arrêta une seconde et attrapa les cheveux humides entre sa main jusqu’à pouvoir plonger son regard dans celui de Thibault.
« Je continue ?
– Je… oui.
– Ok. »
Même si Thibault n’avait aucune idée de ce qu’il allait continuer là maintenant. Son adjudant-chef licorne alluma son cigare hocha la tête d’un air concerné, le trouvant trop sage à son tour. Lentement, les doigts s’introduisirent dans son boxer, ils caressèrent ses poils pubiens. Thibault devina le regard curieux de Dalil regardant à travers l’eau pure.
« Je suis roux partout !
– Je vois ça. »
D’un mouvement vif, Dalil s’avança contre lui et Thibault l’accueillit. Il avait à son tour envie d’abaisser le short pour découvrir le membre qu’il sentait contre lui.
« Vas-y, fit Dalil.
– Merde, me dis pas que je viens de parler à voix haute !
– Non mais ton regard était suffisamment éloquent. T’as envie de me toucher, fais-le. »
Encore une fois, Dalil gardait cette distance de quelques centimètres. Thibault tendit la main et la plaqua en douceur sur le vêtement trempé. Il fit abstraction du toucher humide pour englober la forme dessous. Il la traça du bout des doigts puis de sa paume. Et se faisant, il la sentit grandir encore. Il eut un hoquet de surprise et Dalil éclata de rire.
« Hé, je me vantais pas.
– Je vois ça, répondit Thibault en écho de ses paroles quelques secondes plus tôt. Je sais pas s’il faut que je sois admiratif ou terrifié.
– Reste sur excité, c’est bien. »
Les lèvres de Dalil s’avancèrent, un sourire crâneur peint dessus. Les doigts du brun descendirent plus bas et se saisissent de son sexe.
« Tu n'es pas mal non plus, murmura Dalil. »
Thibault hocha seulement la tête, ses mots envolés quand la main plongea pour attraper ses testicules et les serrer légèrement.
« Et sensible aussi. »
Ou trop sage, se rappela Dalil. La main de Thibault avait cessé son exploration. Elle reposait contre son membre sans s’engager plus avant. Dalil avait envie de bouger contre, mais il ne voulait pas brusquer le jeune homme.
Par taquinerie, sa main glissa un peu plus en arrière et traça du doigt le chemin qui menait à l’anus de son partenaire. Thibault respira plus fort, mais ne bougea pas. Il bascula le front contre celui de Dalil et ferma les yeux. Dalil posa un baiser volage sur ses lèvres et remonta sa main sur son sexe. Il attendit quelques secondes, ses doigts effectuant un petit mouvement lascif.
C’est vraiment en train d’arriver, songea Thibault. Il ouvrit les yeux. Et il eut l’impression que le monde venait de s’éveiller à son mouvement, il entendit à nouveau le clapotis de l’eau, le bruissement du vent dans les branches des arbres, il sentait la nature chargée d’une lourde chaleur d’été et il était envahi par la présence de Dalil devant lui. Et sous sa main pulsait un sexe en érection. Il s’aventura à serrer doucement ses doigts et Dalil reproduisit son geste. Mais il n'avait pas la barrière du sous vêtement et la sensation fit trembler Thibault. Il avait envie de rendre tout ce que Dalil lui donnait. Il tendit les mains pour avoir entièrement accès au sexe devant lui, abaissant le tissu des vêtements.
Les lèvres de Dalil l’encouragèrent en se posant dans son cou. Leurs mains décidèrent de jouer une partition. Ils se trompaient parfois de rythme de notes et tentaient de s’accorder comme ils le pouvaient à l’autre. Thibault adorait cette sensation même s’il se sentait terriblement gauche. La main de Dalil attrapa ses cheveux, lui intimant de le regarder. Cela faisait plusieurs fois qu’il effectuait ce geste dominateur imprégné de tendresse et de douceur. Thibault le fixa et se retrouva à haleter sous un rythme différent.
« T’as fait exprès, murmura-t-il.
– J’allais pas rater ça. Ton expression, tes joues… »
Thibault voyait le même air calme et railleur sur le visage de Dalil, pas un gémissement, pas un souffle plus rapide qu’un autre. Il raffermit sa prise et tenta d’accentuer son mouvement, mais sa position ne lui facilitait pas la tâche.
« Laisse-moi faire, murmura Dalil. »
Il les rebascula dans l’eau et assit Thibault sur ses cuisses. Il avança totalement entre ses jambes et leurs queues entrèrent en contact, chaleur contre chaleur, rudesse contre dureté. La main de Dalil entoura tout cela d’un seul mouvement. Les joues de Thibault s’empourprèrent et Dalil posa sa bouche sur chacune d’elles, l’une après l’autre.
« Accroche-toi ! sourit-il.
Et quand il le vit obéir dans la seconde, son sourire s’agrandit encore. Thibault était cramponné à lui, bras autour de son cou, cuisses serrées sur ses hanches. Il poussa son sexe dans l’étau de sa main, le laissa coulisser tout contre celui de Thibault. C’était loin d’être parfait, mais la sensation était tout de même électrisante. Il dégagea les mèches collées par l’eau et la sueur sur le front de Thibault et embrassa la peau dévoilée. L’abandon total de ce gamin lui donnait envie de tendresse.
Il retrouva ses lèvres pour un baiser. Thibault s’en empara et changea le rythme. En quelques secondes, sous l’impulsion d’une langue taquine et curieuse, Dalil se retrouva à les branler tous deux rapidement, comme si la patience n’était plus une vertu. Il jura entre ses dents, trop proche désormais pour ralentir. Il espérait seulement que la sensation était partagée. Il écarta Thibault de lui et saisit son regard extatique.
Sous les yeux sombres et scrutateurs, Thibault se sentit disparaître. Son être se rétracta dans les dizaines de centimètres cubes de son entrejambe, puis reprit d’assaut tout son corps. Sa voix lui échappa et il l’entendit de très loin. Il flottait dans l’eau, ses bras nonchalamment posés sur le cou de Dalil, ses genoux glissant derrière ses cuisses. Et Dalil s’activa encore quelquefois contre lui avant de trembler discrètement, seule manifestation de son orgasme.
Ils restèrent l’un contre l’autre quelques secondes encore. Thibault reprit pied au fond de l’eau les jambes semblants faites de coton. Encore une fois la main de Dalil se porta dans ses cheveux pour attirer son regard. Ils se sourient tous deux au moment où leurs yeux se croisèrent.
« J’espère que tu connais un coin sympa pour faire sécher nos fringues.
– Au-dessus, fit Thibault en se détachant lentement. Mais faut d’abord que je retrouve les fringues en question ! »
Dalil éclata de rire et se mit à l’aider, cherchant l’ombre de son short au fond de l’eau, se demandant pourquoi le boulanger s’était lesté de la sorte.
« Ah, je le vois ! s’exclama Thibault. »
Il s’immergea jusqu’aux épaules et tapota le fond de l’eau jusqu’à saisir ses vêtements. Il se sentait bien, calme et apaisé, mais pas seulement grâce au sexe. Dalil avait été doux, et il l’avait embrassé. Bon dieu, il l’avait embrassé des tonnes de fois et son goût restait dans sa bouche, indéfinissable. Ils récupérèrent leurs sacs à dos, enfilèrent uniquement leurs chaussures.
« J’espère qu’on va croiser personne ! se marra Dalil. »
Une dizaine de mètres plus loin, une petite étendue d’herbe et des grosses pierres inconfortables jouxtaient la rivière. Ils prirent le temps d’étaler leurs vêtements sur les cailloux chauffés par le soleil. Thibault jeta un œil à Dalil et ce dernier fouilla dans son sac pour en extraire son short de bain. Il releva les yeux alors qu’il le remontait sur ses fesses.
« Tu pourras toujours me l’enlever, si jamais l’envie te reprend, lui dit-il avec un large sourire. »
Thibault rougit, il avait profité de la vue, et s’il avait été excité par le sexe en érection de Dalil, il trouvait la version apaisée presque fragile, avec le gland apparent dû à la circoncision. Il attrapa à son tour son maillot et se rhabilla. Un jappement lui indiqua que Flèche se promenait à quelques centaines de mètres au-dessus d’eux. À peine une minute plus tard, le berger suisse débarqua à toute allure, le poil sali de terre et de brindilles.
« Oh, bon sang, où tu es encore allé te fourrer, toi ? gronda Thibault. »
Se fichant de la réprobation dans sa voix, Flèche lui sauta dessus, puis sur Dalil, ensuite il tournicota et repartit aussi vite qu’il était arrivé. Cela leur tira à tous deux un éclat de rire.
« Il porte bien son nom, s’amusa Dalil. »
Il avisa ensuite la pile de cailloux que Thibault avait sortie de son short.
« Pourquoi tu remplis tes poches de cailloux ? T’as peur de te perdre ?
– Ouais, ça doit être ça ! »
Thibault sourit paisiblement, et se sentit suffisamment à l’aise pour parler de cette passion qu’il avait depuis son adolescence. Quand le besoin de solitude s’était fait trop présent, elle l’avait accompagnée, et même si désormais, il y consacrait moins de temps, l’habitude était restée. Il s’installa sur sa serviette, attrapa son sac à dos et en sortit des marqueurs. Puis il extirpa du fond du sac un galet gris clair qui était déjà paré de couleurs.
« Le principe, c’est de laisser des galets décorés dans des lieux de passage ou des lieux insolites. Certaines personnes laissent un lien internet, d’autres écrivent seulement leur prénom.
– Et toi ?
– Moi, j’aime me dire que j’ai fait sourire les gens pour quelques secondes. »
Il tendit sa pierre décorée et Dalil l’attrapa. Le dessin était simple et fin, efficace sur la petite surface. Un papillon, comme ceux qu’ils avaient observés lors de leur première balade. Dalil releva les yeux pour fixer Thibault.
« T’es vraiment pas ordinaire, toi, murmura-t-il.
– Est-ce que ça rentre dans les bonnes raisons ? demanda Thibault avec un sourire taquin. »
Dalil éclata de rire.
« Ouais, complètement.
– C’était quoi, tes mauvaises raisons ?
– Que de l’ordinaire, une histoire qui ne s’est pas bien terminée. »
Le visage de Thibault fut envahi par la compassion.
« Il t’a fait du mal ? »
Dalil sourit à la formulation innocence et incongrue. Puis soudain, il réalisa que oui, Ryan lui avait fait du mal. Il l’avait abaissé au rôle de plan-cul sans aucun sentiment, rien. On ne fait pas ça à un ami, et encore moins à son meilleur ami. Il aurait accepté que Ryan ne ressente pas d’amour pour lui, mais pas qu’il l’utilise ainsi. Tout ça, tout ce gâchis pour un peu de plaisir, même pas avec un soupçon d’amour ? Il n’arrivait pas à lui pardonner.
Il passa la main dans ses cheveux, mal à l’aise d’exposer ses sentiments et heureux de pouvoir le faire pour la première fois depuis des semaines.
« Oui, j’imagine qu’il m’a fait du mal. Ou que je m’en suis fait tout seul. Désolé, j’ai plombé l’ambiance.
– Ne t’en fais pas. »
Ils s’inclinèrent dans la chaleur et dans un silence agréable. Dalil finit par choisir un galet rosé, et Thibault plaça les marqueurs entre eux.
« Je dessine comme un pied, prévint-il.
– Alors prie pour que personne ne le trouve ! »
Thibault le regarda tracer une ligne et quelques traits en cercle au-dessus. Au bout de quelques secondes, il comprit que Dalil dessinait la fleur vue un peu plus bas, l’Angélique des bois.
« Hé, mais tu m’écoutais en fait ! s’exclama-t-il.
– Vu tout ce qui en veut à ma vie ici, ouais, je t’écoutais ! »
Thibault s’esclaffa. Il repoussa les feutres et s’étendit sur sa serviette. Le soleil passait dans un creux entre les arbres et frappait sa peau, la rendant plus blanche encore, presque translucide. La main de Dalil se posa sur sa clavicule, descendit sur son torse en frôlant un téton, finit sa course au-dessus de son nombril, puis s’arrêta avant de descendre plus bas.
« Tu ne risques pas de prendre des coups de soleil ?
– Je ne suis pas un roux ordinaire, je bronze, le côté italien de ma mère peut-être.
– Tu es d’origine italienne ? Tu parles la langue ?
– Mio tesoro, murmura Thibault d’une voix légèrement plus grave que d’habitude.
– Wow, sexy !
– T’excite pas, c’est tout ce que je connais, s’esclaffa Thibault. Ma mère m’appelait comme ça quand j’étais gamin. »
Il y avait une blessure dans sa voix et elle poussa Dalil à demander :
« Et plus maintenant ?
– Non, plus maintenant. »
Thibault sentit la main de Dalil se presser contre son flanc. Il ouvrit les yeux, le ciel était toujours là. Et cet homme envoyé par une licorne bizarre également.
« Mes parents sont décédés tous les deux quand j’avais douze ans.
– Je suis désolé.
– Ce sont des choses qui arrivent. T’as vu, j’arrive mieux à plomber l’ambiance que toi.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? Mio tose… tero…
– Mio tesoro, corrigea Thibault en riant. Mon trésor. »
Puis son visage se chamboula en un instant et il répéta doucement :
« Ça veut dire Mon trésor. »
Dalil ne savait pas comment réagir. Ce gamin venait de mettre son cœur à nu, ouvrant un coffre pour lui montrer que l’intérieur n’était pas rempli de pièces d’or, mais de souvenirs gris et tristes. Alors, il fit la seule chose qui lui vint en tête, il se pencha et appuya son front contre celui de Thibault. Il resta là jusqu’à ce que le plus jeune relève la tête et emprisonne ses lèvres des siennes. Il n’y avait plus de désir, seulement du réconfort donné et pris.
Et étrangement, Dalil en fut également tout rasséréné.
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