Chapitre onze

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Dalil quitta la maison de Thibault en silence, Oz sur ses talons. Le chat se faufila à la suite de Dalil, et Flèche essaya de passer à sa suite.

« Oh non, toi, je doute que tu aies la permission de sortir ! dit Dalil en le bloquant à moitié. »

Le chien gémit et lui fit ses grands yeux humides, et Dalil se sentit ému. Exactement comme la veille avec Thibault.

« Bordel, t’es pas mieux que ton maître ! Mais non, je céderai pas, et pourquoi je te parle, c’est pas comme si tu comprenais, non ? »

Le chien inclina la tête, et Dalil s’agroupit pour le caresser.

« Allez, rentre et sois sage. »

Au bout de plusieurs minutes de marchandage et de grattements sur la tête, Dalil réussit à faire obéir le chien, mais il se sentit comme un tortionnaire quand Flèche apparut derrière la vitre du rez-de-chaussée, tout penaud. Et résultat des courses, il était en retard. Il enfila rapidement ses vêtements de travail devant la porte coulissante, sautillant dans le froid matinal. Il y avait quelque chose de différent ce matin, et il n’arrivait pas à mettre la main dessus.

En quelques minutes, il arriva dans les gorges, le soleil venait tout juste de se lever et nimbait l’endroit d’orange et d’un peu d’humidité.

« Ça va ? Pas trop dérangé par ton réveil, espèce de feignasse ? se moqua Valentin.

– Deux minutes, j’ai deux minutes de retard.

– Plutôt dix et en plus, tu prends le temps de te faire un café. Ça va, tranquille ?

– J’ai pas déjeuné. »

Son collègue l’observa longuement, un sourire aux lèvres.

« Toi, t’as la tronche d’un gars qui a bien occupé son week-end.

– Toi, t’as la tronche d’un gars qui a connu sa seule satisfaction dans l’alignement de son carrelage.

– Connard ! Hé, j’ai une vie sexuelle. Faut arrêter de penser qu’il y a que les homos qui baisent. »

Dalil se marra devant l’air indigné de Val.

« Ravi pour toi.

– Nous aussi, on baise, faut seulement qu’on arrive à se croiser avec ma femme. Elle travaille parfois les week-ends. »

Dalil eut un sourire compréhensif.

« Mince, j’imagine que c’est compliqué.

– Mais non, ça va, je l’ai vu en mars pour la dernière fois. »

Après un fou rire, Dalil lui tapa sur l’épaule.

« Allez, t’as toujours ton tête à tête avec le carrelage pour te consoler !

– Ouais, et toi, t’as un tête à tête avec le sommet de cette falaise.

– Encore ?

– Les retardataires ont toujours torts ! »

En s’équipant, Dalil repensa à sa journée, puis à sa soirée. Un souvenir, non, ce n’était pas moche, juste réaliste. Thibault avait accepté ce fait avec simplicité, manifestant clairement son envie de découvrir le sexe. Et bordel, que ça avait été bon, bien. Et pour l’instant, ce n’était pas encore un souvenir, ce moment vibrait dans sa tête, dans son corps encore ralenti par le manque de sommeil.

Il escalada plusieurs fois la falaise, prenant des pauses régulières pour ne pas s'ankyloser. Valentin le remplaça certaines fois. Et à la fin de la journée, l’évidence le frappa. Il comprit enfin ce qui avait changé. Il ne se sentait plus alourdi par la culpabilité. Et il n’avait pas pensé à Ryan de la journée. Et même à cet instant, quand il songea à son meilleur pote, il ne se sentit pas assailli par ce qu’il avait fait. Il devrait des explications et des excuses à Juliette un jour ou l’autre, et s’il ne se sentait pas prêt à le faire à l’heure actuelle, l’idée qu’il soit confronté à sa meilleure amie avait cessé de le faire angoisser.

Mince, il se demanda s’il n’avait pas grandi dans la nuit ou pris un peu de la sagesse étrange de Thibault. À la fin de la journée, il remonta une dernière fois tout en haut de la falaise. Il ouvrit les bras vers le ciel et respira enfin. Il allait attraper les bons souvenirs, tous les bons souvenirs.

Son talkie crachota et la voix de Valentin sortit.

« Quand t’auras fini de faire le piaf là-haut, tu pourras bosser ! Et arrête de la ramener avec ton bonheur post week-end de débauche, j’ai une grosse envie de couper tes cordes de sécu ! »

* * *

Thibault ouvrit les yeux d’un coup. Après deux orgasmes, son corps avait rendu les armes, et il s’était laissé aller à un sommeil lourd. Bien plus que quand il s’amusait tout seul, il y avait eu cette excitation difficile à maîtriser, un peu la peur de l’inconnu, et ces extases impossibles à définir avec des mots. Enfin, si, il en voulait plus.

Évidemment, mes troufions savent y faire.

Un peu trop même, il espéra que pour Dalil, la nuit avait été satisfaisante. Au matin, il avait entendu une courte sonnerie avant de sentir le corps près du sien s’évaporer. Il avait eu envie de tendre les mains, de manifester sa présence par un toucher, une caresse, mais son corps s’était mis en grève, décidant qu’il était hors de question qu’il bouge du cocon chaud fait de leurs ébats, surtout au petit matin alors qu’il n’avait pas besoin de se lever.

Deux heures plus tard, Thibault se réveillait enfin, le corps reposé et le sexe tendu, rêvant d’encore et de plus.

Tu m’étonnes.

Non, mais sérieusement, est-ce que cette licorne voulait bien lui laisser un semblant d’intimité ? Thibault descendit lentement au rez-de-chaussée. Sur la table de la cuisine était posée la pierre décorée de la fleur d’Angélique de Dalil, comme une trace de son passage. Coup d’un soir, coup au cœur, Thibault se sentit comme un idiot d’avoir rêver d’encore. Puis, il distingua le ticket de caisse coincé dessous. L’écriture était heurtée, comme si Dalil n’avait plus l’habitude de le faire.

J’ai pensé à aller te chercher des croissants, puis je me suis rappelé que j’étais dans le lit du boulanger. Et puis, j’étais grave à la bourre.

Il avait dessiné un petit smiley avec un sourire.

Alors, je laisse une petite pierre et je viendrai la récupérer sans faute. Dis-moi quand.

Thibault attrapa le ticket et le retourna pour dévoiler un numéro de portable. La première seconde, il sourit, la deuxième seconde, il se traita d’abruti pour n’avoir pas cru à plus, et à la troisième seconde, il avait entré le numéro dans son téléphone. C’était d’ailleurs étrange qu’aucun d’entre eux n’aient eu le réflexe jusque-là, comme si jusque-là, leur relation se devait d’être rempli d’occasions imprévues et de rencontres impromptues.

Thibault pianota rapidement un message. Un été, c’était trop court pour s’en remettre au hasard. Et puis, il avait sa licorne qui le regardait d’un air sévère.

Thibault : Encore désolé pour ce matin, j’ai pas réussi à me lever.

Dalil : Ne t’excuse pas. Je voulais pas te réveiller. Bien dormi ?

Thibault : Presque trop dormi, mais oui, merveilleusement bien.

Dalil répondit par un smiley sans équivoque et Thibault s’enhardit.

Thibault : Envie de revenir me voir ?

Dalil : Bah oui, j’ai pas encore rencontré ta table.

Thibault : S’il n’y a que mes meubles qui t’intéressent…

Dalil : J’ai mes kinks, que veux-tu. Ne dis surtout pas les mots commode ou guéridon ou je ne réponds plus de moi.

Thibault : Je vais faire attention. Tu veux passer ce soir ? Ou en fin d’après-midi vu que je ne travaille pas ?

Dalil ne répondit pas de suite et Thibault détesta ces quelques instants. Il se sentit devenir transparent, comme d’habitude. Puis une vibration au creux de sa paume lui refit prendre consistance.

Dalil : Ouais. J’essaierai de pas te faire veiller trop tard.

Thibault : Tu essayeras seulement ?

Dalil : C’est déjà beaucoup venant de moi, surtout si tu es aussi peu habillé qu’hier soir.

Un frémissement emporta tout son être à l’idée, Thibault imagina le sourire provocant et sûr de lui sur les lèvres pleines du cordiste. Flèche choisit ce moment pour lui sauter dessus de tout son poids.

« Oui, je vais te donner à manger ! Je le ferai pas plus vite sans mes genoux ! »

Il ouvrit la porte du jardin pour laisser Oz entrer et les deux compères se retrouvèrent aussitôt dans la cuisine, le nez dans leurs gamelles. Il se prépara un café et fouilla dans le congélateur pour en extirper des pains au lait qu’il réchauffa en les posant sur son grille-pain, se sentant comme le cordonnier mal chaussé. La viennoiserie avait durci avec le passage au froid, mais le goût serait toujours là, bien qu’un peu fade. Il ouvrit son pain et le tartina de confiture d’abricots. La fébrilité reprit possession de son corps. Il avait l’impression d’être un gamin à la veille de son anniversaire, sauf qu’il n’aurait pas un nouveau vélo, mais un homme magnifique, tout en muscles saillants et bronzés.

Il décida de faire quelques courses pour préparer un repas sympa. Il laisserait à Dalil le soin de se charger des bières, cela semblait être dans son domaine de compétences. Il se marra, c’est vrai qu’il n’avait jamais imaginé qu’un gars comme Dalil lui plairait. Oh, bien sûr, il avait paré ses fantasmes de muscles et d’autres attributs avantagés par la nature, mais dans la réalité, il s’était vu avec quelqu’un de tranquille, un peu comme lui. Quelqu’un qui s’efforcerait de panser ses plaies et qui n’y arriverait pas. Il démarra sa voiture et prit la route pour gagner la petite ville où se situait la seule grande surface. Dans la longue ligne droite, ses yeux furent fatalement attirés. C’était ici que la voiture de ses parents était sortie de la route. Ici qu’ils étaient morts. Sur le poteau téléphonique, remplacé plusieurs fois depuis, un bouquet fait de plusieurs branches d’hortensia était accroché.

Il retourna le regard sur la route. Il savait que son grand-père avait besoin de ça, qu’il y voyait même une sorte de message de prévention routière. Mais Thibault détestait passer à cet endroit et y voir cette manifestation d’amour et de repentir. Il réussit à faire encore cinq cent mètres sans avoir l’image de son père apparaissant sous ses yeux. Et puis, elle vint, et Thibault bifurqua sur une voix sans issue, il se gara n’importe comment sur le bas-côté. La voix emplissait déjà son esprit.

« Thibault ! »

Il serra entre ses doigts la baguette de fée, le tissu bouffant de la robe le démangea instantanément. Il avait inconsciemment su que c’était une bêtise, mais n’avait pas écouté la petite voix de la prudence. Sous le regard de son père, il arracha aussi vite qu’il le put le chapeau étoilé, oublieux des couettes que lui avaient fait ses voisines.

« Mais qu’est-ce que c’est que cette tenue de tapette ? gronda son père. Enleve ça tout de suite ! »

Il ne comprenait pas les mots, même s’il les avait déjà entendu à de nombreuses reprises. Tapette, pédé, folle, c’est ainsi que son père appellait plein de gens, l’insulte suprême était cet « enculé » qu’il grognait entre ses dents. Thibault n’avait pas le sens des mots, mais il comprit la colère et y réagit en conséquence. Il obéit pour éviter qu’elle ne s’amplifie et dégraffa la robe. Mais il s’empêtra dans le tissu et son père l’attrapa par l’épaule. Il sentait l’anis. Il sentait toujours l’anis lors des soirées.

« Dépêche-toi, petit con ! Non, mais t’as pas honte ! »

Sa mère intervint, alertée par les cris.

« Caro mio, ils jouent juste.

– Mon fils n’est pas un pédé !

– Bien sûr que non. Ils jouent juste. »

Son père attrapa un camion dans une caisse de jeux.

« Qu’il joue avec ça alors ! »

L’objet fila et le heurta en plein milieu du front. Il ne put s’empêcher de crier et de pleurer, plus de surprise que de douleur. Sa mère se précipita à ses côtés.

« Mio tesoro ! murmura-t-elle.

– Mais ça va, il a rien ! Arrête de le materner, bon dieu ! C’est ta faute, tout ça ! »

Elle s’éloigna et Thibault fit un effort pour ravaler ses sanglots et ses larmes.

Thibault enfonça le front sur le volant et fut sorti de son marasme par un coup de klaxon insistant, tel une trompette. Il leva la tête pour découvrir le reflet d’un tracteur dans son rétroviseur. Il agita la main en signe d’excuse et se remit à avancer.

Il alla faire ses courses dans un état second, et revint par la même route, ignorant le bouquet de fleurs. Ses grands-parents n’avaient jamais tout su. Ils savaient pour les soirées avec les gens du village où son père était réputé pour être un « bon camarade ». Thibault entendait encore la chanson, beuglée par un chœur de voix. Mais ses grands-parents n’avaient jamais su pour l’alcool les soirs de matchs, pour ces moments où sa mère devait batailler un temps incalculable pour le faire rentrer ou pour qu’il lui cède les clés de la voiture. Ces fois où les gars l’avaient appelée, après la troisième mi-temps, parce qu’il était incapable de marcher droit, et que ça les faisait bien marrer, tous. Il y avait des centaines, des milliers de moments où l’alcool avait pris possession de son père. Et tous ces autres où il s’excusait longuement, le visage coupable, mais pas suffisamment pour pousser la porte d’un cabinet médical et se confronter à son addiction.

Il avait cessé de regarder les photos, de se plonger dans ses souvenirs, il n’arrivait plus à voir les bons. Ses grands-parents chérissaient d’autres souvenirs et il ne pouvait pas leur en tenir rigueur. Ils avaient aimé leur fils. Thibault aurait voulu que son père en fasse de même.

* * *

« Hé ! Ne me dis pas que tu as fait du pain sur ton jour de repos, s’exclama Dalil en passant la porte, le nez levé pour humer la bonne odeur.

– Alors, je te le dis pas. J’ai fait des essais de pâtes à pain, pour faire des pizzas.

– Hum, et à tout hasard, il en reste de ces essais ? »

Thibault sourit.

« Plein, mais pour plus tard. Tu veux te balader ? On peut aussi aller se baigner, c’est encore tôt.

– Avec plaisir, je suis tout transpirant.

– J’ai vu. »

Les lèvres de Dalil s’ouvrirent dans un sourire satisfait.

« J’ai vu que t’as vu.

– Depuis quand c’est sexy le gars dégoulinant de sueur ?

– Depuis que je suis le gars en question. »

Thibault ne se retint, il explosa de rire et enlaça le cou de Dalil. Ouais, c’était sexy, excitant et incroyablement érotique. Surtout quand Dalil pivota pour l’appuyer sur la table de la cuisine, puis le souleva pour l’y installer, tout en envoyant valdinguer les feuilles sur lesquelles Thibault avait annoté sa recette.

Attaque de phéromones ! Attaque de phéronomnes ! Civil grandement atteint. Troufion, dégage le terrain et porte secours à cet homme ! Go go go !

« T’es venu que pour ma table ?

– Oui, mais je resterai pour tes pizzas, promit Dalil solennellement avant de l’embrasser. »

Et Thibault sut qu’il y aurait un merveilleux souvenir.

Bon, je préviens, la relecture a été plus que sommaire, donc n'hésitez pas si vous voyez des fautes, des incohérences ou tout autre chose.

Le passé de Thibault se dévoile petit à petit, et oui, on est sur une rencontre toute douce, mais il y a quand même quelques aspérités.

Merci à vous, et bonne fin de week-end.

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