Chapitre douze
Chapitre douze
Durant la semaine, Dalil passa plusieurs soirées avec Thibault. Ils avaient cette sensation d’être en vacances, sauf que leurs horaires les contraignaient à se voir quelques heures seulement.
Quelques heures pendant lesquelles Thibault attrapa tous les souvenirs qu’il pouvait. Celui de la fois où Dalil l’avait empêché de monter les escaliers et l’avait sucé, là, plaqué contre la rambarde jusqu’à ce qu’il en ait le souffle coupé et les jambes tremblantes. Il avait bien manqué de se casser la figure, mais Dalil l’avait retenu de ses bras puissants. Il y avait celui où Thibault avait montré comment il préparait les brioches pour le lendemain et ça s’était terminé avec du sucre dans les cheveux et du coulis de framboise sur le torse bronzé de Dalil. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait léché chaque goutte du fruit acidulé sur la peau de Dalil. Il avait vu le pantalon du brun se gonfler sous l’effet de ses lèvres, et cette fois-ci, sa fellation fut un peu moins maladroite et très appréciée. Du moins, c’est ce qu’il lui sembla.
Il créa un nouveau souvenir ce vendredi soir, quand ils profitèrent de la cabine de douche étroite pour se coller l’un à l’autre et frotter leurs sexes l’un contre l’autre avec une lenteur délectable. Il voulait accélérer, ses hanches désiraient bouger et accentuer la friction, mais Dalil le maintenait collé au carrelage et l’obligeait à ce rythme indolent.
« Dalil, je vais pas y arriver, murmura-t-il alors que le plaisir montait, mais restait hors de portée.
– Mais si, laisse-toi aller. »
Le corps de Dalil se fondit dans le sien, ses lèvres glissèrent contre les siennes avec un rythme identique, puis ses doigts descendirent jusqu’à son torse pour frôler ses mamelons. Thibault gémit, ouvrit les yeux, se sentant coupable d’émettre ce son aussi peu viril.
« Oui, comme ça, l’encouragea Dalil en enroulant son bras autour de sa taille. Encore, j’adore t’entendre.
– C’est pas juste, il n’y a que moi qui… Aaah… »
Dalil venait de glisser ses doigts entre ses fesses et de caresser son anus.
« La vie est injuste, rigola-t-il contre ses lèvres avant de se reculer pour observer son visage. »
Thibault rougit, tendit les bras et le ramena contre lui. Dalil accéléra enfin l’allure, et ses doigts continuèrent à aller et venir entre ses fesses, sans pour autant le pénétrer franchement, juste effleurer son intimité, comme pour l’accoutumer à l’idée de quelque chose d’autre. L’idée, Thibault l’avait déjà en tête, depuis plusieurs jours, et il attendait avec impatience ce moment. Dalil prenait tout son temps, un peu trop peut-être. L’été allait se terminer, et Thibault n’aurait même pas découvert le Saint-Graal.
Tout à fait, pensa Thibault en acquiesçant mentalement et en gémissant à la légère intrusion d’un doigt.
Eh bien voilà !
Thibault agita la tête et ouvrit les yeux, parce qu’il ne pouvait pas penser à son adjudant-chef licorne et se laisser aller en même temps.
« Plus, demanda-t-il.
– Plus de quoi ?
– De tout, de toi ! haleta Thibault, contrarié de voir Dalil si calme devant lui. »
Dalil se pencha et embrassa les lèvres serrées entre bouderie et envie. La frustration de Thibault était évidente, et oui, il en jouait, il aimait la faire monter, et voir son regard se transformer. Mais il voyait bien que le jeune attendait autre chose de leurs ébats.
Il lécha et entrouvrit les lèvres de son amant et l’embrassa. Puis, il s’avança entre ses cuisses jusqu’à l’obliger à se dresser sur la pointe des pieds. Leurs sexes reprirent leurs places l’un contre l’autre, et Dalil remonta une des jambes de Thibault contre sa hanche, puis glissant le long de sa cuisse jusqu’à l’arrondi de sa fesse. Et un peu plus loin encore. Il en avait douloureusement envie, mais il s’y refusait. Ça ne lui semblait pas correct. Il avait déjà pris plein de choses à Thibault. Et il n’était pas sûr d’avoir donné l’équivalent. Il savait que c’était stupide de penser ainsi, mais il ne voulait pas profiter de l’engouement de Thibault pour la découverte du sexe.
Malgré tout, un désir violent parcourait ses reins, celui de plaquer le jeune homme contre le carrelage pour le pénétrer, pour voir cet éclat dans ses yeux, pour se sentir désiré et pas utilisé. Ses doigts avancèrent de quelques centimètres et il entendit Thibault murmurer des mots indistincts dont il comprit malgré tout le sens. Il voulait plus de tout, il voulait plus de lui.
Thibault le désirait avec force et honnêteté, avec gêne parfois, mais sans dissimuler ni son envie ni son plaisir. Dalil cercla lentement l’anus de son amant, se laissa guider par les murmures dénués de mots, tout en continuant le balancement de ses hanches. Thibault engloba leurs sexes de sa main, et Dalil s’amusa de le voir prendre cette initiative. Il appuya son bras contre le carrelage devant lui, puis entreprit de coulisser à l’intérieur de cette main, le long de l’autre sexe prisonnier de l’étau. Plus il tentait de bouger, plus Thibault refermait ses doigts dans un réflexe inconscient, se crispant à l’approche de l’orgasme.
Dalil plongea le front dans le cou de Thibault, lui aussi à deux doigts de succomber. Lui ne voulait pas plus, mais il voulait tout, il voulait seulement tout. Ce désir le dévora de l’intérieur, il poussa un doigt dans l’intimité de Thibault et entendit ce dernier gémir, puis exploser tout de suite après dans un orgasme long et bruyant.
Dalil ne résista pas. Il glissa ses mains sous les cuisses de Thibault, le souleva du sol et le plaqua contre le mur. Il guida prestement son sexe entre ses fesses. Il pressa l’arrondi contre son membre pour reproduire la sensation d’une pénétration et il leva la tête pour saisir le regard de Thibault. Le désir de plus, de tout, enflammait les yeux verts et les faisa it briller, et Dalil jouit ainsi, la tête levée vers le ciel verdoyant nimbé d’un orange incandescent, et le sexe prit entre deux montagnes magnifiques.
* * *
« Hé, dit Dalil en séchant rapidement ses cheveux, puis en enroulant la serviette autour de sa taille. Dimanche, c’est moi qui m’occupe du repas et moi qui choisis la sortie.
– Si tu veux. T’as épluché les guides touristiques ?
– Ouais, et j’ai trouvé un endroit super chouette. Oui, tu connaîtras déjà, et oui, tu pourras quand même jouer les guides relous.
– Relou ? »
Dalil écarta ses mains et mima la paire de fesses qui s’y était calé moins d’un quart d’heure auparavant.
« J’admets, pas si lourd que ça, et oui, je serai content de t’entendre me raconter tout de l’endroit que j’ai choisi, s’amusa Dalil. »
Thibault secoua ses mains mouillées vers lui, puis prit une inspiration écourtée devant la tenue de Dalil et son aisance à se balader en serviette.
« Habille-toi ! J’ai des voisins, tu sais !
– Ils vont adorer me voir traverser le chemin à moitié nu pour aller chercher des vêtements propres dans le van.
– Tu aurais pu y penser avant !
– Avant quand ? Tu m’as sauté dessus dès que j’ai passé la porte ! »
Thibault rougit, puis sourit d’un air satisfait. Le sexe, ce devait être comme le vélo, une fois qu’on a trouvé l’équilibre, on progresse vite. Il s’approcha pour rajuster le voilage devant la fenêtre et son regard s’arrêta sur la vieille voiture garée juste à côté du van de Dalil et la silhouette encore énergique qui parcourait les derniers pas pour venir chez lui.
« Mince, planque-toi ! Il y a ma grand-mère qui arrive !
– Je croyais que t’avais pas de souci avec ta famille ? Elle sait pas que tu es gay ?
– Si, elle sait ! Mais si tu veux qu’elle te demande tes intentions et où est-ce qu’on met le buffet pour le mariage, vas-y, reste !
– Non, ça va, merci ! »
Thibault retint Dalil alors qu’il allait monter les escaliers, pile devant la fenêtre où sa grand-mère lançait déjà un œil scrutateur à travers la vitre. Il le poussa dans l’étroit placard mural servant garde-manger à côté de la cuisine et referma la porte.
Juste à ce moment, sa grand-mère frappa deux coups et entra tout de suite après.
« Thibault ? Oh, tu es là.
– Bonsoir, mamie, ça va ?
– Ça va. »
Tout en répondant, sa grand-mère avait déjà passé son doigt sur le meuble à l’entrée, rangé sous la table de la cuisine une chaise qui dépassait et jeté un regard accusateur à l’étendage non rangé dans le salon.
« Tu n’étais pas chez toi, hier soir, fit-elle.
– Je suis sorti me promener.
– Sans Flèche ? Il couinait dans le jardin. J’ai voulu le faire rentrer à l’intérieur, mais tu avais tout fermé. »
Et heureusement, pensa Thibault en se souvenant que Dalil l’avait sucé, là, au bas des escaliers, et que sans les volets fermés, sa grand-mère aurait eu une vue parfaite sur ce moment.
« Et tu te promenais aussi avant-hier soir quand j’ai fait ma ronde… ma balade.
– Mamie, t’es pire qu’un gardien de prison !
– Je m’inquiète seulement pour toi, mon chéri. »
Il se dandina d’un pied sur l’autre.
« Je vais bien. Je travaille, je me balade, voilà.
– Hmm, fit-elle avec suspicion. »
Elle ouvrit son cabas.
« Je t’ai amené des confitures.
– Merci, je vais les ranger… »
Il jeta un œil au garde-manger, s’imagina Dalil à moitié nu dans le noir et manqua d’éclater de rire. Il se contenta de poser les deux pots sur le plan de travail, mais sa grand-mère les attrapa.
« Tu sais, un jeune homme comme toi devrait sortir, voir du monde, avoir un amoureux… ou plusieurs, il paraît que c’est ce que font les jeunes maintenant.
– Je sais pas, je demanderai si jamais j’en croise un, un jour. »
Sa grand-mère empila les pots dans une main.
« Bref, tu devrais sortir, mon chéri, et pas… »
Elle empila les pots sur une main et ouvrit la porte du garde-manger de l’autre. Ses yeux firent un aller-retour sur l’homme, juste vêtu d’une serviette de toilette.
« …et pas cacher un jeune homme à moitié nu dans ton garde-manger. Surtout que ça ne se conserve pas éternellement. Bonjour.
– Bonjour, madame. Désolé, d’habitude, je suis plus habillé.
– Mais oui, bien évidemment. »
Dalil s’extirpa du placard en lançant un regard moitié furieux, moitié hilare à Thibault. Ce dernier mordait ses lèvres pour s’empêcher d’éclater de rire, puis ses yeux ne purent s’empêcher de dévorer Dalil. Sa peau hâlée luisait encore d’humidité et les cheveux sur le dessus de son crâne bouclaient allègrement.
Dalil lança un sourire engageant à la grand-mère de Thibault puis, la voyant choquée, son sourire s’assombrit. Il avait l’habitude du racisme ordinaire, de cette suspicion instantanée qui se peignait sur le visage des gens en devinant ses origines. Il n’avait pas pensé que la grand-mère de Thibault dont il parlait avec tant d’affection allait le regarder ainsi, avec un dégoût à peine dissimulé.
« Thibault, qu’est-ce que c’est que ça ? aboya-t-elle.
– Ça a un nom, rétorqua Dalil.
– Pardon, jeune homme, je ne parlais pas de vous, bien évidemment. Thibault, qu’est-ce que c’est que cette serviette affreuse ? »
Dalil baissa les yeux, il avait pris la première serviette de la pile, elle était marbrée de grands halos bleuâtres, il avait pensé à un motif démodé.
« Oh, c’est rien, un de mes jeans a déteint au lavage.
– Tu laves tes jeans avec tes serviettes de toilette ? s’offusqua-t-elle.
– Oui, il faut pas ?
– Mon dieu, toute une éducation à refaire ! Tu te rends compte que tu invites ton amant chez toi, et que tu n’as même pas une serviette décente à lui offrir ? »
Même si le mot amant lui était venu plusieurs fois à l’esprit, il sonna si désuet que Dalil s’empressa de corriger :
« Je suis pas…
– Il n’est pas…
– Oui, j’imagine que vous jouez aux dames ou plutôt aux échecs dans votre cas. On faisait ça aussi de mon temps. Mais avec des serviettes propres ! »
Thibault roula des yeux, marcha vers Dalil et agrippa le nœud à sa taille.
« Oh d’accord, j’ai compris. Donne-moi cette fichue serviette, Dalil !
– Heu, non !
– Mais si !
– Mais non ! »
Dalil retint les mains de Thibault.
« Tu m’enlèves ma serviette quand tu veux, Thib, surtout quand je suis tout nu dessous. Mais je crois franchement que le moment est mal choisi, là ! »
Thibault se rendit alors compte de l’absurdité de la situation et sentit ses joues rougir au-delà du possible.
« Désolé. Et arrête de rire, Mamie, c’est ta faute !
– Oh ben tiens, tu veux arracher son dernier rempart à un innocent jeune homme et c’est de ma faute !
– Innocent ? répéta Dalil en ricanant.
– Tais-toi. »
Thibault finit par attraper un de ses tee-shirt qui traînait sur l’étendage et le lança à Dalil. Ce dernier s’habilla, mais le vêtement trop étroit ne fit que souligner sa musculature. Sa grand-mère tendit la main à Dalil.
« Je suis Maryse, enchantée de vous rencontrer, jeune homme, et de voir mon petit-fils en bonne compagnie.
– Dalil, tout le plaisir était pour moi.
– Pas que pour vous, j’espère !
– Mamie ! »
Dalil vit les yeux de Maryse pétiller et un sourire était tout prêt à éclore une nouvelle fois sur ses lèvres. On aurait dit Juliette quand il lui parlait d’une conquête, quand elle partageait son bonheur et son plaisir. Son amie lui manquait. Bon sang, elle lui manquait tant.
« Tu disais que tu voulais récupérer le vélo de ton grand-père, dit Maryse, il est dans le coffre.
– Il ne fallait pas, j’allais venir le chercher.
– Ça me faisait un prétexte pour ma ronde. Ton vélo ne marche plus ?
– Non, il va très bien. »
Maryse jeta un regard à Dalil.
« Oh, je vois. Tu vérifieras qu’il roule bien, surtout les freins, Roland ne l’a pas utilisé depuis un bon moment.
– Je regarderai, merci mamie. »
Thibault sortit de la maison et extirpa le vélo du coffre avant de remettre les sièges passagers dans leur état d’origine. Il cala le vieux vélo contre le mur de la maison.
« Merci. »
Sa grand-mère hocha la tête, puis jeta un œil à Dalil, accoudé dans l’embrasure de la porte.
« Je vais vous laisser, ne jouez pas trop aux échecs les enfants, profitez aussi du soleil, dit-elle en s’installant au volant de sa voiture après quelques contorsions malvenues à son âge.
– Mais pourquoi les échecs, mamie ?
– Quelle question ? Parce qu’il faut prendre le roi bien sûr !
– Mamie ! »
Derrière Thibault, Dalil partit dans un fou rire qu’il ne chercha même pas à camoufler.
Un peu plus tard, ils s’installèrent dans le jardin, et Dalil aida Thibault à vérifier le vieux vélo.
« Donc, tu m’as prévu une balade.
– Ouais, je me suis dit que je pouvais fermer la boulangerie dès samedi midi, j’ai rarement du monde l’après-midi, et qu’on pouvait aller se balader le long de la rivière. Il fera chaud, mais avec l’eau et l’ombre des arbres, on devrait être bien. Enfin, si ça te dit.
– Tant qu’on est encore en forme pour ma sortie de dimanche, ça me va.
– La via ferrata du col de Matant ? dit Thibault, essayant de trouver.
– Non. Ça avait l’air sympa, mais j’aurais eu trop l’impression d’être au boulot. »
Thibault éclata de rire et attrapa le vélo pour le retourner sur ses roues, aidé par Dalil. Il le souleva légèrement, lança le pédalier et appuya sur les freins pour voir la roue arrière s’arrêter en quelques secondes.
Tout l’été, ils avaient tout l’été. Mais il avait cette impression que les jours commençaient à se faire grignoter par le temps.
Bonjour,
Désolé, j'ai voulu vous poster ce chapitre plus tôt, mais entre le manque de temps et un vilain rhume qui ne veut pas partir, j'ai pas réussi.
J'espère que la lecture vous a plu (j'adore la grand-mère de Thibault XD).
Bon week-end.
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