Chapitre treize (partie 2)
Dalil s’amusa toute la soirée à faire monter des rougeurs sur les joues de Thibault en frôlant ses fesses de son corps, du dos de la main ou en lui jetant des regards appuyés. Un peu plus, et il pourrait planter Thibault en bas de la route pour faire office de panneau de signalisation. Il avait la même couleur pétante qu’un panneau Stop. Dalil ne savait pas pourquoi il attendait la nuit, ils auraient pu faire l’amour dès la fin de l’après-midi, mais il y avait comme un accord tacite que ce moment-là ne pouvait se jouer qu’une fois la nuit tombée et quand Thibault se serait mis à l’aise complètement. Quand Thibault prit la place à sa suite dans la salle de bains, Dalil crut voir les rouages tourner dans la tête du jeune homme et il se sentit tout à coup une responsabilité écrasante. Il désirait que ce soit bien fait, mais il avait l’habitude de relationner avec des partenaires expérimentés.
L’image de Ryan vint brutalement dans son esprit. Et il tenta de l’éloigner. Pas maintenant, pas ce soir, pensa-t-il. Vêtu de la serviette délavée, il se posta près de la fenêtre et observa le paysage plongeant lentement dans l’obscurité. Il ne voulait pas penser à Ryan. Il ne voulait pas des souvenirs vifs et douloureux du plaisir qu’il avait pris avec Ryan. Leurs rencontres avaient été brutes, directes et Ryan savait exactement ce qu’il voulait, mais pas à la manière douce et innocente de Thibault, mais avec l’égoïsme d’un homme uniquement intéressé par sa propre jouissance. Et les indices étaient là depuis des semaines, sous ses yeux, sans que Dalil réussisse à les voir, au milieu des mensonges de Ryan, de ces « c’est rien » ou ces « ça ne compte pas » lâchés après l’acte comme pour le dédouaner de toute culpabilité.
Peut-être que c’était « rien » pour Ryan, et peut-être vivait-il tous ces riens qui ne comptaient pas depuis des années avec d’autres hommes sans jamais vouloir le nommer et encore moins l’assumer. Soudain, sans prévenir, la colère laissa place à une tristesse dévastatrice, tel un raz de marée. Dalil se sentit désolé pour Ryan, pour ces mensonges et ces peurs qui avaient empoisonné leurs sentiments, quels qu’ils soient.
Le frôlement d’une main sur ses épaules nues le sortit de sa contemplation et de sa mélancolie. Et il sourit en sentant les lèvres de Thibault se poser sur sa peau et parcourir ses omoplates.
« Toujours prêt à me donner des souvenirs pour l’hiver ? murmura le plus jeune en décollant à peine sa bouche. »
Avec un sourire attendri, Dalil se retourna vers Thibault. Il n’eut même pas besoin de le faire rougir, son teint était déjà écarlate, orné de tâches de rousseurs vives, et la rougeur se prolongeait jusque dans son cou aux reflets humides. L’envie prit place au creux du ventre de Dalil, mais aussi dans toute sa tête, il voulait ses souvenirs, lui aussi. Il voulait pouvoir se rappeler de chaque moment, les retenir, les sentir disparaître dans un petit flou, mais laissant derrière eux ce sentiment que quelque chose de bien avait existé.
Dalil se baissa et souleva Thibault promptement, l’obligeant à ceindre ses hanches de ses cuisses et à enrouler ses bras autour son cou. Il le réhaussa contre lui, le plaquant contre son corps, grisé par cette sensation de puissance. Une de ses mains monta le long du dos nu de Thibault jusqu’à sa nuque pour incliner sa tête et il l’embrassa, prêtant de l’attention à ce baiser, aux petits gémissements de Thibault, à la façon dont ses cuisses se resserrèrent sur ses hanches quand leurs langues entrèrent en jeu. Il l’embrassa une fois, puis une autre, jusqu’à être empli de désir, du haut de son crâne jusqu’au bout des orteils, empli de tant de bonnes raisons qu’il était incapable de les compter.
Il fit quelques pas en direction du lit, mais bifurqua en chemin pour plaquer Thibault contre le mur le plus proche. Il sentit sa serviette descendre sur ses reins et baissa les yeux pour voir qu’une main peu farouche venait de défaire le nœud qui la retenait. Il s’écarta un instant et la laissa tomber jusqu’au sol. Il ne restait plus que le tissu léger de celle de Thibault entre eux. Et ce dernier recommença le même geste, envoyant sa propre serviette fouler le sol et ouvrant les cuisses. Ses yeux verts étaient plongés dans ceux de Dalil, et il paraissait vouloir se laisser envoûter et submerger par l’instant. Dalil aligna son corps pour laisser leurs sexes entrer délicatement en contact.
« Seulement un huitième d’hiver ? bougonna-t-il.
– À peine, rétorqua Thibault, joueur. »
Dalil ondula légèrement et un murmure lui répondit.
« Je vais te donner un hiver entier, et même plusieurs. »
Ses mains glissèrent jusqu’aux fesses de Thibault et il les empoigna franchement, comme quelques jours auparavant sous la douche. Un léger cri de douleur lui parvint et Dalil remonta ses mains en quatrième vitesse.
« C’est rien ! dit rapidement Thibault.
– Je crois que vélo et sodo, ça fait pas bon ménage. On devrait attendre un peu, par égard pour ton petit cul meurtri.
– C’est hors de question ! Tu vas me baiser ce soir et maintenant !
– Encore un ordre ?
– Oui ! Exécution, troufion ! clama Thibault. »
Dalil éclata de rire, puis ses mains regagnèrent avec plus de douceur les fesses de Thibault et les englobèrent.
« À vos ordres, chef ! Et niveau stratégique, tu vois la vois comment cette incursion en terrain inconnu ? Une tactique précise à adopter ? »
Thibault resserra ses bras autour du cou de Dalil avec un sentiment de confiance totale.
« Fais comme tu le sens, murmura-t-il. »
Un baiser vint se poser sur ses lèvres. Puis lentement, Dalil le porta jusqu’au lit et le déposa dessus. La lampe de chevet était restée allumée, mais son abat-jour était orienté vers le plafond, les laissant dans un dégradé de lumière à ombre.
« Je sais que t’as des attentes plein la tête, Thib, j’en avais aussi, alors je préfère te prévenir, ça peut être un peu déconcertant ou décevant les premières fois.
– Je sais. Je te fais confiance.
– Ne me dis pas ça, tu me fous une pression monstre ! s’amusa Dalil. Et si ça foire ? Si tu aimes pas ?
– Oh, ben, je te mettrai tout sur le dos et j’irai vite chercher un autre touriste avec qui ça foirera pas, rétorqua Thibault en se redressant pour sortir du lit. »
Dalil le retint d’une main sur la poitrine et le plaqua sur le matelas, le surplombant de toute sa taille.
« Aucun touriste n’arrivera jusqu’à toi quand j’aurais fait tomber la moitié de la falaise sur la route ! rugit-il, un peu rieur, et sentant s’éveiller en lui un côté possessif dont il ignorait l’existence. »
Il observa les boucles rousses étalées sur le drap, le sourire de Thibault qui l’avait amené exactement là il voulait. Non, là où ils voulaient tous les deux. Dalil articula doucement, bougeant ses hanches pour récréer cette tension entre eux :
« C’est moi qui te donnerai ce souvenir ! Et si le premier est moyen, je t’en donnerai un deuxième bien mieux, et un troisième encore meilleur, et un quatrième extraordinaire !
– On peut aller directement au quatrième ou on est vraiment obligés de passer par les trois premiers ?
– On est obligés, petit impatient ! »
Parce que je veux te voir rougir et t’enflammer, songea Dalil, je veux te caresser, te sentir gêné, te voir surpris par ce plaisir si différent, te voir le rechercher et entendre ta voix prendre une note inattendue.
« Tu as le droit de m’arrêter à n’importe quel moment, dit-il. N’importe lequel, ok ? »
Thibault acquiesça avec sérieux, puis leva les mains vers le visage de Dalil.
« Ça vaut pour toi aussi, murmura-t-il.
– Hé, c’est pas ma première fois.
– Et alors ? Première ou millième fois, le but, c’est d’être deux à apprécier, non ? »
Dalil se redressa. Encore une fois, Thibault venait de viser ses sentiments et il les sentait tomber comme des boites dans un jeu de chamboule-tout. Il ne lui donnait pas seulement des souvenirs, il réparait sa confiance égratignée.
« Oui, tu as raison, répondit-il. Mais j’aimerais quand même être à la hauteur de tous tes fantasmes, j’aimerais tous les réaliser.
– Hum… Tu as un don d’ubiquité ? Ou un petit sort de dédoublement parce que mes fantasmes prennent parfois des tournures fantaisistes, rougit Thibault. »
Dalil ricana et abaissa lentement son corps sur celui de Thibault.
« T’en fais pas, tu vas me sentir tellement partout, sur toi, en toi, que tu auras l’impression qu’on est plusieurs. »
Bravo, soldat ! Ça, c’est du travail d’équipe ! On se met en escouade serrée et on lâche pas jusqu’à ce que l’objectif soit atteint !
La peau de Dalil se plaqua contre la sienne, envahit son espace et bien plus encore. Et quand Thibault voulut basculer la tête pour un peu d’air, ses lèvres furent capturées par celles de Dalil sans aucune concession.
Et pendant les quelques minutes suivantes, Dalil lui sembla en effet partout, tout son corps en contact avec le sien, ses lèvres quittaient à peine sa bouche qu’un doigt venait jouer au creux de sa langue. Le corps de Dalil s’éloignait de quelques centimètres que ses mains se dépliaient sur son torse pour récréer le contact dans une caresse exquise, frôlant ses mamelons du bout des doigts. Chaque éloignement était compensé par un nouveau rapprochement, chaque contact perdu remplacé par un autre, tout aussi intense. Jusqu’à cette caresse éphémère sur son anus, puis plus longue, et enfin, tellement tangible qu’il se mit à gémir. Les doigts de Dalil passaient lentement de ses testicules à son anus, traçant le chemin plusieurs fois. De l’autre main, il caressait le visage de Thibault, repoussant ses boucles de son front en sueur. Il l’embrassa longuement, se redressa et attrapa un tube de lubrifiant, puis il reprit la position à l’identique, refaisant les mêmes gestes.
« N’importe quand, répéta Dalil. »
Thibault voulut acquiescer, mais il se perdit plutôt dans le cou de Dalil un instant pour calmer son excitation. Son sexe était tendu dans l’attente, et il sentait l’érection de Dalil, large et dure, reposant sur son bas ventre. Il essaya d’avaler une goulée d’air, mais ce fut seulement une inspiration courte et rapide qui s’infiltra dans ses poumons. Les doigts continuèrent leurs caresses, glissant avec plus d’aisance.
Thibault écarta son visage du cou de Dalil, agrippa ses cheveux courts et l’attira vers lui, son regard dans le sien. C’était leur souvenir et il voulait s’en rappeler avec le plus d’exactitude possible. Il contempla le visage à la peau mat, les yeux sombres aux cils longs, le sourire qui n’était plus dévastateur, mais attentif. Il redressa la tête, posa un baiser sur la pommette gauche de Dalil, puis sur sa tempe, sur sa joue, le long de sa mâchoire. Et quand il arriva sur ses lèvres, Dalil le pénétra lentement du bout du doigt, et Thibault gémit son approbation de sentir enfin son attente comblée. Il y avait tout un plaisir étrange qui se mêlait, dans son corps, mais également dans sa tête.
Il attaqua la partie droite du visage de Dalil, répétant le même chemin, et alors qu’il déposait des baisers sur la peau de Dalil, ce dernier parcourait un itinéraire balisé entre ses cuisses, entre ses fesses, s’occupant alternativement de son sexe et de son anus, l’ouvrant avec lenteur. Leurs yeux se trouvèrent et Thibault ressentit un peu l’incongruité de la situation, fixer quelqu’un alors qu’on avait ses doigts dans l’arrière-train, et ce, sans raison médicale, c’était un peu spécial.
Mais Dalil sourit et bougea ses doigts, et là, Thibault trouva la raison pour laquelle il avait envie de ça, c’était électrique, à défaut d’autre mot pour le qualifier. Et la sensation semblait toute nouvelle avec Dalil, comportant cette part d’inconnue qu’il ne pouvait pas obtenir seul. Il haleta, dans l’attente de chaque mouvement, à l’écoute des effleurements, puis une fois que Thibault sembla en confiance, Dalil sembla prendre plaisir à le surprendre en changeant le rythme de ses doigts, en le pénétrant très légèrement, le faisant couiner d’envie, puis soudain, très profondément jusqu’à lui arracher un gémissement qu’il attrapait entre ses lèvres. Il s’arrêta lentement, ses doigts frôlant son anus, le taquinant avec sadisme.
« Tu te sens bien ?
– Si je me sens bien ? Si tu bouges pas dans une seconde, c’est moi qui bouge !
– Tu aurais fait un adjudant du tonnerre ! se moqua Dalil en basculant sur le dos et en l’attirant sur ses hanches.
– Qu’est-ce que tu… »
Dalil lui lança un préservatif et Thibault l’attrapa. Puis, alors que le plus jeune essayait de se concentrer pour dérouler la capote sur le sexe de Dalil, celui-ci écarta ses fesses et alla à nouveau le titiller de ses doigts. Il leur fallut de longues secondes pour être parés, et pourtant, Thibault ne ressentait plus le moindre embarras. Il faisait l’amour avec Dalil et il n’était pas loin de penser qu’il existait réellement une licorne adjudant-chef qui envoyait des Dalils aux gars méritants de par le monde.
Et mince, quand ce n’était pas sa licorne qui se manifestait, c’était lui qui ne pouvait s’empêcher d’y penser.
Dalil glissa ses mains sous ses cuisses et le souleva.
« C’est toi qui vas faire comme tu le sens, dit-il en rappelant la formulation de Thibault. Descends à ton rythme, ok ? »
Les joues en feu, Thibault baissa les yeux sur le sexe de Dalil et lécha ses lèvres. Il remonta sur le ventre aux abdominaux tracés, sur les pectoraux visibles, sur les biceps forçant pour retenir son poids jusqu’au visage.
« Prends ton temps. Je ne bougerai pas. »
Thibault prit appui sur la tête de lit, et il devint posément tout ce dont il avait besoin, tout ce qu’il voulait. Il était acteur de cette première fois, maître et esclave de son plaisir, complété par le sexe de Dalil avec une plénitude surprenante et envahissante. Et il voyait toutes ses émotions se répercuter sur le visage de son amant de l’été, la retenue en plus et les gémissements en moins. Ce n’était pas un souvenir extraordinaire, mais c’était le sien, le leur, et il était unique.
La jouissance ne fut pas au rendez-vous pour Thibault, pas de cette manière, mais il prit un plaisir intense à s’approprier le corps de Dalil, à le sentir en lui, à s’ajuster, à rechercher cet endroit qui envoyait des décharges délicieuses dans les reins, il adora voir Dalil jouir dans des coups de hanches saccadés, les mains agrippées à ses hanches. Et il ne lui fallut que quelques allers-retours de la bouche de Dalil sur son sexe et de ses doigts au plus profond de lui pour venir à son tour. Cette fois-ci, ils mirent un temps fou à reparler, se contentant de baisers, de caresses, de chatouilles et de rires étouffés contre le drap. Puis Thibault lâcha avec une concupiscence qui contrastait totalement avec son visage adorable :
« J’ai hâte d’arriver à la quatrième fois, mais on va quand même faire les deux et troisièmes fois, histoire de respecter les règles.
– Évidemment, on est des joueurs honnêtes.
– Absolument ! »
Ils éclatèrent de rire et leurs lèvres se trouvèrent. Dalil plongea dans ce baiser d’après et l’attrapa pour ce qu’il était : un souvenir qui crée et qui ne détruit pas, un souvenir qui le magnifiait et qui, il le comprit soudain, le hanterait l’hiver venu.
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