Chapitre 3 - Nuits d'ambre n°3

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Jeudi 14 juillet 1988. Fin de matinée. Centre-ville.

La voiture de monsieur Lapierre prit le virage un peu trop serré. Les pneus frottèrent contre le trottoir dans un crissement qui fit grincer les dents de madame Lapierre, une main agrippée à son sac à main vermillon, l’autre à la poignée de la portière. Monsieur Lapierre jura une nouvelle fois, pour la vingtième fois exactement. Depuis qu’ils étaient arrivés en centre-ville, il était devenu de la même couleur que le sac de son épouse, mais avec une touche orangée plus vive, signe que ses séances d’ultra violet effectuées depuis trois mois n’avaient pas donné le résultat escompté, celui d’un bronzage naturel. Ici les gens roulent comme des sauvages, c’est insensé ! répétait-il en vociférant.

— Attention Jean, si tu continues à conduire de la sorte, c'est l'accident assuré !

— C’est bon, c’est bon, calme-toi Marie-France. Regarde, droit devant nous, une place de parking enfin libre ! Voilà…une dernière petite manœuvre et hop, le tour est joué.

Mais dans sa précipitation, le pied de monsieur Lapierre ripa si bien que la voiture ne s’arrêta pas comme prévu mais s’encastra dans le mur. Madame Lapierre poussa un cri strident.

— Oh seigneur dieu, Jean, nous venons d’avoir un accident !

— Oh seigneur dieu, Marie-France, mais c’est impossible ! Et moi qui venait de faire faire la révision complète avant de partir !

ll se précipita pour constater les dégâts à l’avant du véhicule. Sa femme vint le rejoindre, navrée du résultat. Elle regarda son mari, affligé, aussi triste qu’un enfant qui vient de casser son camion de pompier.

— Ça n'a pas l’air si grave chéri.

— Le week-end commence bien. Et dire que j’ai cédé à tes caprices en venant ici.

— Et je t’en remercie Jean. Écoute, soyons pra-gma-tique ! Dans un premier temps, le plus simple est de déposer nos valises à l’hôtel. Ensuite, nous demanderons à l’accueil d’emprunter leur téléphone et espérer qu’un garagiste puisse venir nous remorquer le plus tôt possible !

Dans les cas d’urgence, madame Lapierre aimait prendre les choses en main, monsieur Lapierre suivait. Il lui ouvrit le coffre, sorti deux petites valises à roulette et un petit vanity de couleur vermillon. L’hôtel quatre étoiles où ils avaient fait leur réservation se trouvait heureusement à deux pas. À la réception, on leur assura qu’une solution rapide serait trouvée à leur petit souci d’automobile et qu’il n’entacherait en rien leur séjour. Une fois dans leur chambre, ils se rafraîchirent. Il n’était pas encore midi mais les températures étaient déjà élevées. Marie-France sortit de sa valise une chemisette beige pour son mari. Celui-ci avait abondamment transpiré lors du trajet. Une petite jupe bleu marine pour elle, histoire d’être plus à son aise. Remis de leurs émotions, ils décidèrent d’aller déjeuner à l’adresse que leur avait conseillé un client du magasin de chaussures dont ils étaient propriétaires.

— Jean, avant de partir, regardons le plan de la ville si tu veux bien. Vu notre position, le restaurant n’est finalement pas si loin à pied. L’appartement de notre fils est ici. Et là c’est le magasin de disques, Le Microsillon, dans lequel il travaille. Quel nom charmant, ne trouves-tu pas ?

Le visage de monsieur Lapierre se raidit imperceptiblement.

— Jean, ne fais pas cette tête, je t’en prie. Tu m’avais promis de faire un effort. J’ai envie de voir comment notre fils est installé et s’il va bien. Depuis février, nous ne l’avons pas vu ! Et comment expliquer son silence depuis avril où nous avons appris qu'il déménageait, si ce n’est ton comportement buté ?

— Marie-France, je sais, je sais, nous en avons parlé mille fois. Tu es marié à une tête de mule. Emmanuel d’abord. Puis Tristan aujourd’hui. J’ai quand même le droit d’être déçu. Je réalise qu’aucun de mes enfants ne reprendra le magasin de papa ! Oui, je sais ce que tu vas me dire. Ils ont le droit de choisir leur vie.

— Exactement ! Mais ne nous fâchons pas à peine arrivés. Aujourd’hui, c’est férié. Alors, profitons-en pour nous balader. Après nous verrons. Qu’en penses-tu ?

— Tu as toujours réponse à tout, voilà ce que j’en pense. Pour plaider ma cause, je tiens aussi à te rappeler que j’ai été “cool” comme ils disent, cet hiver, quand j’ai proposé à Tristan d’emmener son meilleur ami Paul à la montagne alors que notre fils nous annonçait à demi-mot qu’il arrêtait la faculté !

— Et tu as bien fait !

— Merci de le reconnaître. Mais je continue de penser qu'il aurait dû continuer l'université.

— Ne te fais pas plus dur que tu ne l’es mon grand ! répondit-elle amoureusement pour apaiser son mari. Elle lui caressa le torse à travers la chemise qu’il venait d’enfiler. Jean sourit malgré lui.

— Tu aimes le parfum que je t’ai offert avant de partir ? Ce “Nuits d’Ambre n°3” te va divinement bien ma chérie, lui susurra-t-il à l’oreille avant de lui déposer un baiser dans le cou.

Marie-France rougit de plaisir. Ajusta la chemise de son mari. Elle eut une petite hésitation. Il s’agissait de ne pas vexer monsieur :

— Merci mon chéri pour ce cadeau. Je… l’aime beaucoup. Vraiment…Il a ce côté …. comment dirais-je…ah, oui, classique mais intemporel.

Elle l’embrassa tendrement pour finir de le convaincre. Elle lui posa la question qui agitait son esprit depuis leur départ en voiture.

— Tu crois que Tristan aimera notre surprise ?

— C’est toi qui a insisté ! Si nous faisons chou blanc chez lui, nous tenterons notre chance au Microsillon, comme tu n’as cessé de me répéter pendant toute la durée du trajet. Mais tu sais ce que j’en pense. Obtenir par d’autres moyens l’adresse de ton fils alors que lui-même ne te l’a pas donnée…

— Qu’il t’en veuille, à toi, c’est un fait, mais, moi, sa mère ! Et s’il lui arrivait un accident ? Comment ferions nous pour être prévenu ?

— Toujours à s’inquiéter ou à imaginer le pire, mais les mères sont faites pour ça, n’est-ce pas ? répondit Jean, sarcastique.

Marie-France préféra ne pas répondre mais vérifier quelque chose dans son sac avant de lui indiquer qu’il était l’heure de déjeuner.

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