Chapitre 9 : Les affreux

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Vendredi 15 juillet 1988. Matinée. Île d'Oléron.

L’humidité couplée à l’odeur de plastique du matelas gonflable chatouillait désagréablement les narines de Tristan. Il ouvrit péniblement un œil, puis un deuxième, aveuglé par la lumière bleutée éclatante de sa toile de tente. Il s’étira dans son sac de couchage, encore un peu endolori par ses mauvaises positions de la nuit. Il tâtonna le sol à la recherche de sa montre. Il était déjà 10h. Il se massa nonchalamment l’entrejambe. Là, au moins, on est bien réveillé ! Il entendit quelques gloussements étouffés provenant de la tente d’à côté.

— Arrêtez vous deux, je vous entends. Pour votre information, je suis réveillé, dit-il à voix haute.

Des rires chuchotés redoublèrent.

— Épargnez-moi, s’il vous plaît ! Vous n’allez pas remettre ça, comme cette nuit !

Les éclats de rire de ses amis ne s’arrêtaient plus. La discrétion n'était décidément pas leur fort. Tristan entendit la fermeture éclair de leur tente remonter. Bientôt, le bruit d’une casserole et d’un réchaud que l’on allume. Il prit son temps pour les rejoindre, avec l’envie de traîner un peu.

— Aaah, il se lève enfin ton copain, Paul ! Le café de monsieur est servi, plaisanta Tom, accroupi au-dessus d’une casserole fumante.

Tristan le gratifia d’un bonjour de la main en sortant de sa tente. Il remonta le col de son pull et vint s'asseoir auprès d’eux.

— Merci pour le caf’!, répondit-il d’une voix rauque.

— C’est pas vrai que tu portes encore ce vieux truc miteux ! le taquina Paul.

— Ce pull est à peine troué, tu rigoles ! répondit Tristan, faussement vexé, encore endormi.

— Qu’est-ce-qu’il a ce pull, il est collector ou quoi ? demanda Tom, curieux.

— Oui, tout à fait très cher ! C’est ce que j’appelle un pull de survie. Il a tout vécu, n’est-ce pas Paul ?

Regard entendu entre Paul et Tristan. Des souvenirs communs remontaient à la surface.

— Vous me raconterez ça une prochaine fois, hein ? Qui veut de la brioche ce matin ? continua Tom, un couteau à la main.

Deux mains se levèrent bien haut.

— Outch, il est brûlant ton café Tom ! Rendez-moi celui de Lucas pour l’amour du Petit Marcel ! s’écria Tristan, soufflant sur sa tasse.

Tom lui jeta une serviette à la figure qu’il esquiva de justesse.

Les branches du chêne filtraient les rayons du soleil, bien décidé à briller fortement toute la journée. Le café finit tranquillement de les réveiller tous les trois.

— C’est quoi le programme aujourd’hui ? demanda Paul.

— Bah comme hier, non ? Glandouille ce matin, et plage cet aprèm ? proposa Tom, déjà son livre à la main.

— Ça marche pour moi ! répondit Paul, attrapant un pot de confiture.

Tristan hésita.

— Ok pour la plage les mecs, ça me va. Mais avant, j'aimerais bien vous parler d’un truc, dit-il, devenu soudain plus sérieux.

— Je ne sais pas comment vous le dire. Vous allez vous foutre de ma gueule.

Surpris, Paul et Tom se regardèrent.

— Bah non, t’inquiètes. Qu’est-ce qu’il y a ? T’es enceinte ?

*

Le gérant du magasin : Et voilà monsieur, c’est fini. Vous avez un miroir pour voir le résultat. Je reviens tout de suite.

Tristan le remercia. Il ouvrit le rideau qui le séparait de ses amis.

Tristan : C’est bon, vous pouvez ouvrir les yeux.

Paul et Tom le regardaient sans rien dire.

Tristan fébrile : Vous en pensez quoi ?

Paul et Tom se consultèrent, amusés.

Paul : Ça lui va pas du tout, tu es d’accord avec moi Tom.

Tom : C’est clair que ça lui va pas, on dirait un pédé avec ça. Surtout du côté droit.

Tristan affolé : Putain j’en étais sûr, ça fait cliché, c'est ça ?

Paul : Mais non, t'inquiète. Tu t’en fous.

Tristan : Mais comment je vais faire maintenant, c’est fait, c’est fait !

Paul : Ah bah c’est clair, c’est fait, et très bien fait pourtant, mais c’est trop tard et c’est moche.

Tom : Sinon, tu peux toujours l’enlever et attendre que ça se referme et cicatrise.

Tristan : Je suis dégouté que vous n’aimiez pas, parce que moi….j’adore ! Depuis le temps que je voulais le faire.

Paul : Mais nous aussi on adore, idiot !!!

Tristan : Hein, quoi ? Vous aimez, en vrai ? Putain vous faites chier à me faire marcher.

Paul : Tu marches pas, tu cours !

Tom : Cette petite boucle d’oreille en argent te va super bien. C’est discret. Et sexy. Non sans rire, c’est cool. Les filles vont craquer, certain. Et puis, ça change ton visage, c’est fou.

Paul : Oui c’est fou, tu ressembles à quelque chose maintenant.

Tristan : Gna, gna, gna, c’est malin. Vous êtes vraiment cons vous deux.

Tom : Ouais on sait, et c’est pour ça que tu es notre pote, non ? Parce que t’es aussi con que nous !

Paul : C’est ton père qui va faire une de ces gueules !

Tristan : Tant mieux, content si je le fais chier celui-là. De toute façon, ce n'est pas comme si j’allais le voir demain.

Paul : Faudra bien un jour quand même.

Tristan : Oui, je sais bien, mais le plus tard sera le mieux.

Tom : Bon, allez on se bouge, si on veut profiter de notre après-midi à la plage.

Le gérant du magasin, de retour : Ouais, c’est plutôt une bonne idée les jeunes, vous êtes bien mignons, mais il y a les deux jeunes filles qui attendent derrière vous !

Paul : Ah, excusez-nous monsieur. On n’avait pas fait attention. Tristan, on t’attend dans le magasin de fringues d’en face, Tom y a vu une marinière en vitrine. On va y jeter un coup d'œil, le temps que tu règles ton opération de chirurgie esthétique.

Tristan : Gna, gna, gna. Allez, sortez bande de débiles profonds. Je vous rejoins tout de suite.

Après être sortis du magasin, les deux garçons profitèrent de l’ombre de sa devanture. Ils attendaient sagement sur le trottoir.

Tom : Merci pour ce cadeau. Cette marinière est vraiment sympa. Mais qu’est ce qu’il fout ton copain ? Il drague ou quoi !

Paul : J’en sais rien. Ah tiens, le voilà qui ressort enfin.

Tristan regarda de chaque côté de la route avant de traverser.

Tristan : Bon alors, vous foutez quoi, je vous attends moi !

Tom : Oh l’autre, comment il exagère !

Paul : C’est quoi cette tête d’abruti qu’il nous fait ? Il est tombé amoureux ou quoi ?

Tristan : Arrête de dire n’importe quoi. Allez, j’ai la dalle les mecs. Venez, je vous invite à déjeuner. Suivez-moi.

Tom : Classe, merci !

Tristan : Vous emballez pas les affreux, j’espère que vous aimez les paninis.

Paul : Je me disais aussi.

Tristan le regarda de travers.

Paul : Non, mais c’est bon, c’est parfait. On adore les paninis. On te suit !

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