Le Médecin de la Chaumière aux Oiseaux (1/2)

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Elle arriva dans un fracas assourdissant. Cette rue, à la différence de la plupart de celles qui couraient dans le village, avait été pavée. Les sabots de son cheval, certes relativement peu énergique malgré la nuit qu’il venait de passer, annonçaient un régiment au lieu d’un cavalier seul, ce qui avait de quoi effrayer non seulement les passants, qui craignaient les armées, mais également toute la faune des environs. Chaque foulée résonnait dans l’air cristallin du matin, en brisant l’harmonie et la paix pour la fuite panique des rongeurs, des volatiles et de tous les animaux de compagnie. Chiens et chats s’écartaient avec force miaulements et aboiements, les chevaux faisaient des écarts, renâclaient, hennissaient, même les volailles tentaient maladroitement de s’envoler en hurlant à gorge déployée leur cri répétitif. En fait, sur le passage d’Els, tout ce qui était éveillé s’écartait le plus loin possible en s’égosillant.

Pourtant, elle n’était pas au bout de ses surprises. En effet, la maison qui lui avait été indiquée lui réserva un spectacle unique. Repassée au trot pour aborder un sentier accidenté, la jeune cavalière sentit soudain l’air claquer devant elle, avant que le bruit n’emplisse ses oreilles. Un bourdonnement immense, qui dépassait tout ce qu’elle avait connu jusque-là, et qui venait du ciel. Un mélange de cris stridents, gutturaux, répétés ou uniques, qui composaient une symphonie cacophonique aux gammes indéchiffrables. Elle fit ralentir sa monture et leva les yeux, découvrant fascinée le bal d’une centaine d’oiseaux, tous différents, tous de couleurs qu’elle n’avait jamais vues jusque-là, du moins sur des spécimens vivants. Des plumes bleues se mélangeaient à celles d’or et de jaspe dans un dôme chromatique d’une exceptionnelle netteté malgré le mouvement ininterrompu des ailes, qui semblaient comme briller sous la douceur de ce matin de printemps. Comme si le ciel avait changé de couleur et ne parvenait pas à choisir celle qui lui convenait le mieux. Il lui sembla bien reconnaître des perroquets, aux côtés d’un aigle immense et d’un geai irisé, mais elle n’eut pas vraiment l’occasion de les observer, car ils s’envolèrent loin derrière elle, tandis qu’elle remettait sa monture au trot. Il n’y avait pas de temps à perdre.

Le chemin qu’elle suivait s’arrêta brusquement devant elle sans qu’elle comprenne où il l’avait mené. Baum lui avait expliqué qu’à cet endroit, elle trouverait la chaumière où résidait le médecin. Elle ne voulait pas mettre sa parole en doute, mais elle avait plutôt l’impression d’être arrivée au bord d’une falaise. Certes, le chemin avait été tortueux, difficile, tout ce qu’il voulait, mais elle ne comprenait pas comment elle était arrivée si proche du vide, d’un vide vertigineux qui plus était, et encore moins où elle pouvait trouver une maison.

Un claquement d’aile attira son regard. Quelque part, sur sa droite, un oiseau se posa sur un toit de chaume. Puis un autre. Et encore un autre. Bientôt, ce fut la nuée claquante, bruissante qui recouvrit le ciel pour se poser quelque part sur le toit d’une chaumière qui côtoyait l’abîme par un côté. De l’autre, elle se faisait avaler par un jardin qui n’avait rien à voir avec les espaces bien détaillés, proprement taillés et savamment orchestrés pour donner l’impression du sauvage. Là, devant ses yeux, régnait la définition d’un jardin sauvage. En s’approchant, elle se rendit compte qu’il s’agissait sans doute d’un sauvage entretenu, mais selon quelles lois, elle l’ignorait. Sans doute valait-il mieux que ce soit le cas pour sa santé mentale.

Elle mit pied à terre, laissa sa monture paître, attachée à un arbre et s’approcha prudemment de la bâtisse. Cette dernière n’avait pas l’air en mauvais état, mais… Elle ne semblait pas non plus habitée. Du moins il semblait que la nature ait repris ses droits, malgré les quelques traces de lutte qui pouvaient suggérer une présence humaine. Une présence humaine un peu… perchée, sans doute. Du moins c’est ce qui lui passa par la tête lorsqu’elle frappa à la porte et la vit s’ouvrir sur un individu qui la dépassait de plusieurs têtes tout en ayant la carrure et l’épaisseur d’un bout de bois. Et le teint aussi frais et coloré que celui d’un cadavre en décomposition.

Ce qui expliqua le cri de surprise que ne put s’empêcher de pousser Els, qui fut suivi par un nouvel envol collectif des habitants du toit. Le squelette, apparemment habitué à ce genre de réaction, attendit qu’elle reprenne ses esprits avant de lui faire signe d’entrer. Il disparut immédiatement après dans l’ombre de ce qui devait être sa maison. Après un coup d’œil rapide, la jeune femme hésita. Mais le temps pressait. Elle s’engagea malgré ce que lui soufflait la prudence.

Son cœur battait à tout rompre, ses yeux fouillaient l’obscurité, cherchant l’inconnu de peur qu’il ne surgisse dans son dos. Il ignorait qu’elle était une combattante plus que compétente et elle ne souhaitait pas faire usage de ses talents simplement parce qu’il l’avait effrayée.

Heureusement pour lui, il était parti ouvrir les volets pour faire entrer un peu de lumière dans l’unique mais interminable pièce qui constituait la chaumière. Au fur et à mesure que sa silhouette, presque inhumaine, invitait le soleil chez lui, Els se demandait comment il pouvait se déplacer si vite, si silencieusement, sans rien bousculer du bazar qui régnait. Chaque fois, la lumière révélait un amas de pots et de fioles, de vases, de verres, d’assiettes, de bols, de pilons, de carafes, de mixtures plus ou moins épaisses, plus ou moins colorées, de cuillères, de bâtons et d’ustensiles en tous genres, en tous matériaux, au milieu de plantes accrochées au plafond, qui tombaient parfois jusqu’au sol ou couraient langoureusement le long de la charpente.

Ce ne fut que lorsqu’il eut fait le tour de la pièce qu’il revint se poster devant sa visiteuse, laquelle n’avait pas bougé du pas de la porte. Il pencha la tête, le temps de l’examiner.

« Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il d’une voix rapide, légère, étrangement saccadée. Un remède contre la maigreur ? Un somnifère ? Quelque chose pour le stress et l’anxiété ? »

Els grimaça. Malgré sa bonne nuit de sommeil, elle ne pouvait pas prétendre aller parfaitement bien. Mais il y avait une explication à ses cernes, à ses joues creusées, à son teint qui, à la réflexion, n’était sans doute pas plus attrayant que celui de son interlocuteur. Elle lui concéda donc avec un sourire que son diagnostic n’était pas mauvais, mais préféra lui exposer directement l’origine de tous ses maux et, par conséquent, la raison pour laquelle elle venait lui demander de l’aide.

« J’ai besoin de votre aide contre une malédiction. »

Il la regarda un instant, commença à jouer avec ses mains et les plaça dans son dos, tandis qu’il gardait la bouche entrouverte et fronçait les sourcils, tapant du pied.

« Ah oui. Mais, je suis médecin, madame, pas magicien.

— Ce n’est pas ce que la famille Boisrenart soutient, monsieur, lui opposa la jeune femme avec un regard qui trahissait son épuisement. D’ailleurs, à les croire, je ne suis plus vraiment humaine moi-même. »

C’est à cet instant que les pièces s’alignèrent dans l’esprit du médecin et qu’il ouvrit les bras en grand pour l’accueillir et la faire rentrer dans le perchoir à oiseaux qui lui servait de maison en s’exclamant avec un peu trop d’enthousiasme pour la jeune femme, qui se retrouva bousculée vers un banc sans ménagement :

« Aaah, c’est vous l’Edelweiss ! Mes félicitations, madame ! Vous êtes donc ma nouvelle patiente ! Racontez-moi tout ! Venez, venez, venez vous asseoir, madame ! Alors, redites-moi, une malédiction ?

— Ce n’est pas pour moi, c’est pour Linden.

— Le petit Linden ? Maudit ? répéta-t-il en haussant les sourcils. Il vient à peine de quitter le nid, pourtant ! »

L’obscurité déjà bien installée entre les murs n’empêcha pas le regard d’Els de s’assombrir tandis qu’elle détournait le regard, les lèvres tremblantes. Elle se força à respirer, à balbutier quelques mots en guise de réponse, tout en sachant qu’il allait falloir qu’elle lui raconte. C’était une longue histoire, qu’elle entama donc à nouveau. Elle détailla du mieux qu’elle put les circonstances de la maladie, les effets du sortilège, son rayon d’action, tout ce qui lui vint à l’esprit.

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