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John parla d’une voix calme et mesurée pendant près de cinq minutes, guère plus. Pendant tout ce temps, il garda ses mains jointes au-dessus de la table. Il avait comme récité une leçon apprise par cœur.
Ce fut Richard qui rompit le silence :
- C’est une plaisanterie ?
John resta de marbre. Il avait vécu cette scène des centaines de fois et comprenait parfaitement la réaction de son interlocuteur. Il avait appris avec le temps à ne pas sur-réagir, à ne pas insister ou contraindre ces gens à accepter leur nouvelle situation. Tout cela devait faire son chemin, certains admettaient rapidement le tragique de ses révélations, d’autres luttaient et mettraient beaucoup plus de temps à rendre les armes. Ceux-là allaient souffrir bien inutilement.
- Vous nous prenez pour des imbéciles ! Vous êtes quoi en faite ? Une secte qui emprisonne les gens qui sont entrés par inadvertance dans votre village ?
John ne répondit pas. Il se tourna vers Marie et lui demanda :
- La chambre des Williams est bien libre ?
- Elle l’est, répondit d’une voix d’outre-tombe la mégère.
- Mets-là à disposition de cette gentille famille, s’il te plait.
Puis il se leva et quitta le saloon. Marie partit derrière le comptoir de l’établissement et décrocha une clé du tableau des chambres. Elle l’a tendit à Monica en lui faisant remarquer le chiffre inscrit dessus.
- Chambre 1-2. Le 1 signifie premier étage et le 2, le numéro de la chambre qui a quatre lits. Laisser les lieux aussi propres que vous les avez trouvés.
La grosse dame n’ajouta pas un mot et quitta à son tour le saloon.
Richard Peck n’en croyait pas ses yeux. Ils étaient tombés chez les dingues et fuir restait leur seule option. Ils devaient pourtant rester prudents.
- On se calme et on retourne tranquillement vers la voiture. On récupère nos blousons et objets de valeur puis on se casse en courant !
Pour une fois, l’idée du père sembla convenir à tout le monde. Richard ouvrit donc la marche, d’un air décontracté, jusqu’à leur voiture. John les regardait de loin, impassible.
Comme Richard s’en doutait, aucun Bill ne travaillait sur sa voiture.
Chacun récupéra ses affaires et la petite troupe s’enfuit en courant dans la direction d’où ils étaient arrivés. Ils coururent bien vingt minutes puis, après avoir vérifié que personne ne les suivait, ils ralentirent. Dix minutes plus tard, ils regagnèrent le village mais par une autre route.
Comprenant leur erreur, les Peck rebroussèrent aussitôt chemin. Trente minutes plus tard, ils étaient de retour devant le saloon. John n’avait pas bougé, il était toujours assis sur les premières marches de l’établissement et leur fit un signe discret de la main.
Richard n’en croyait pas ses yeux. Il était certain d’avoir marché droit devant lui et ne jamais avoir fait demi-tour pouvant expliquer leur retour devant le saloon. Tout cela n’avait aucun sens.
Il devait réfléchir et comprendre comment ce cow-boy miteux pouvait bien ainsi se jouer d’eux. John lui indiqua une nouvelle rue qui partait vers le sud.
La petite famille s’y engouffra et trente minutes plus tard resurgit d’un chemin qui les ramena inexorablement au saloon.
John finit par se lever et se dirigea vers Richard :
- Y a encore une petite rue, un peu plus loin, que vous n’avez pas essayée. Allez-y, puis, quand vous serez revenus au saloon, je vous y attendrai avec un bon café chaud et on pourra discuter plus sereinement.
Richard restait sans voix. Ce clown de cow-boy lui tapait vraiment sur les nerfs. Plus par acquis de conscience qu’autre chose, les Peck testèrent la petite route qui se perdait vers l’ouest. Comme ils s’y attendaient, trente minutes de marche plus tard, elle les ramena directement devant le saloon.
Dépités, Richard conduisit les siens dans l’établissement et se rassit face à John.
- Ne comptez pas sur moi pour croire à toutes vos conneries…
- Et si je vous disais que j’ai cent-trente-quatre ans, vous en penseriez quoi ?
- Qu’en plus d’être taré, vous vous droguez ! Et que ça finira par vous tuer.
- Voilà la seule bonne nouvelle de votre situation actuelle. Vous êtes désormais immortel.
- Mais arrêtez de délirer… Vous croyez impressionner qui avec vos conneries ?
- Personne. Je tente juste de vous persuader de vivre jusqu’à demain.
- Je croyais qu’on était désormais immortels ?
- Oui, mais y a des conditions et elles sont drastiques.
- Des conditions ? Du genre ?
- Du genre de rester dans les bâtiments la nuit où certaines rencontres pourraient vous être fatals !
- Du genre, le grand méchant loup ?
- C’est l’idée. La nuit appartient à d’autres que nous et ils ne sont pas vraiment sociables.
- Et si on reste bien tranquilles dans notre piole, on ne craint rien ?
- Parfaitement.
- Et ces « autres » c’est qui ?
- On aura tous le temps d’en parler demain, si vous respectez cette deuxième règle.
- Et la première règle, c’est quoi déjà ?
- Si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous ne pouvez plus en repartir.
- Ah.
Monica, de sa voix fluette, intervint dans la discussion.
- On peut payer, vous savez. Donnez nous votre prix et on payera.
John lui adressa un regard teinté de peine et de tendresse.
- Payez qui ? Je suis comme vous, prisonnier de ce lieu et depuis si longtemps, que le monde que j’ai laissé derrière moi, n’existe plus.
- N’importe quoi… conclut Richard.
D’un geste brusque, le père de famille se leva et entraina les siens dans la chambre mise à leur disposition. Une fois la porte verrouillée, il laissa éclater sa colère :
- Mais qui comprend quelque chose à tout ce bordel ?
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