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Un long silence suivit la question de monsieur Peck. Comment comprendre ce qu’ils vivaient ?
- Un cauchemar… on vit un cauchemar, répéta Madame Peck. On va se coucher et demain… on reprendra le cours de nos vies en oubliant cet épisode sans queue ni tête.
- Oui c’est ça, surenchérit Caroline. Demain on aura tout oublié et on repartira à zéro.
Joseph confirma d’un signe de la tête qu’il pensait comme les femmes de la famille. Richard ne pouvait se résoudre à accepter cette version de l’histoire. Pourtant, face à l’angoisse des seins, il décida de se calmer :
- Ok, on dort et on oublie toute cette folie.
Après avoir bloqué la porte, à l’aide d’une chaise, toute la petite famille se mit au lit et s’endormit, sauf Richard. Le père de famille ne pouvait se résoudre à accepter cette situation. Ils étaient prisonniers d’une secte ! Le gourou, ce John, jouait un jeu subtil dont il ne comprenait pas la finalité.
Après avoir tourné, puis retourné des dizaines de fois dans son lit, Richard finit par se lever. Sans bruit, il déplaça la chaise qui bloquait la porte et descendit dans la grande salle du saloon.
Une dizaine de personnes étaient attablées et bavardaient de tout et de rien. À la vue du père de famille, les conversations cessèrent. Conscient qu’il était l’attraction de la soirée, Richard décida de détendre l’atmosphère.
- Salutations à tous, ne faites pas attention à moi, je ne suis que de passage.
Quelques-uns sourirent, d’autres détournèrent le regard et reprirent leurs conversations. En arrivant face au comptoir, Richard prit place sur un tabouret.
- Pas facile de dérider ces joyeux lurons…
- C’est que la nuit est longue, ici, répondit Marie en nettoyant son comptoir.
Richard jeta un œil par les grandes fenêtres qui donnaient sur la rue. Des gens, aux tenues disparates, déambulaient sous la pleine lune. Il en compta plus d’une vingtaine. Cette brochette d’individus se croisait sans se parler, sans se regarder. Il reconnut un soldat sudiste en uniforme puis une danseuse de cabaret et même un indien, un vrai carnaval !
Richard se retourna vers Marie :
- C’est eux les « autres » ?
- C’est eux !
- Ces pouilleux ? Z’ont pas l’air bien dangereux.
- Détrompez-vous. J’en ai vu dépecer et dévorer vivant l’un des nôtres en moins de cinq minutes !
- Si vous le dites, répondit négligemment Richard
- Oui, je l’affirme, car c’est moi qui ai ramassé leur reste au petit matin.
La grosse dame le fixait d’un regard si dur qu’il se sentit agressé.
- Moi, j’dis ça, j’dis rien…
- Alors, dis rien l’ami, ça vaudra mieux !
Plus par habitude qu’autre chose, il commanda un scotch à son interlocutrice.
- Un scotch pour le monsieur ! répéta-telle d’une voix tonitruante.
La salle éclata d’un rire si communicatif que Richard lui-même sourit.
- Je dis un scotch, mais autre chose ira tout aussi bien. Servez ce que vous avez, ça fera l’affaire.
Marie affichait une grimace qui aurait pu passer pour un sourire, pour ceux qui avaient assez d’imagination. Alors que les rires s’atténuaient, la grosse dame se pencha vers Richard.
- Ici… Y a rien ! Et par chance, nous n’avons besoin de rien. Plus besoin de boire, de manger, de chier…Voilà, on attend de crever et le seul moyen d’y parvenir c’est de tomber entre les pattes des « autres » et ça… je le souhaite à personne !
- Et ça, c’est la règle numéro combien ?
- Ch’ais pas, je ne sais ni lire, ni écrire, ni compter.
- Ah bon ?
- C’est que ça fait un bail que je suis là. À mon époque, les filles n’allaient pas à l’école et on s’en sortait pas plus mal pour autant…
- Vous êtes arrivée avec John ?
- Non, lui était déjà là. C’était le seul survivant du premier groupe, ceux qui bâtirent cette ville. L’indien lui prit tous les siens et chaque nuit, ils venaient le narguer. Il n’est pas devenu fou pour autant. C’est un gars solide ce John… On lui doit tous beaucoup.
- Je vois… Il m’a dit qu’il avait cent-trente-quatre ans ?
- Sûrement, ch’ais pas compter…
Marie se retourna et partit rappeler à une femme, qui s’approchait de la porte d’entrée, qu’elle devait retourner à sa place. La femme obéit sans discuter.
- Et tuer ces « autres », c’est faisable ?
Richard avait parlé plus fort qu’il n’aurait cru. À nouveau, tous les regards se tournèrent vers lui. Ce fut un certain Berny qui lui répondit :
- C’est pas facile, mais c’est faisable. Moi, j’en ai déjà tué deux. Celui qui avait bouffé le bras de ma femme et… ma femme ! Mais John m’avait aidé. Pour tout ce qui concerne les « autres » faut voir avec John, c’est lui qui les connait le mieux.
Richard tentait de classer dans sa mémoire les renseignements qu’il venait de glaner. Mais tout cela lui semblait tellement peu crédible qu’il avait les plus grandes difficultés à ne pas éclater de rire. Pourtant… les routes qui menaient toutes devant le saloon, cela n’était pas dans son imagination !
Le père de famille resta encore une bonne demi-heure à observer les « autres » errer sans but dans la rue. Tout cela avait-il vraiment un sens ? Il en doutait.
Finalement, il regagna sa chambre et se coucha. Il dormit d’un sommeil agité où les rêves et les cauchemars se succédèrent de façon assez désordonnés. Un fil directeur les liait pourtant tous ; ce maudit village !
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