Chapitre 2 : Un vague air de renard (lelivredejeremie)
Le 25 janvier 2022 à 8h00 près du Saule.
Je joue décidément trop, j’ai l’impression de me retrouver dans un vidéogame en ligne : le foin sauvage est lentement agité de mouvements réguliers, comme lorsqu’on est en stand-by, avec au sommet de la colline, le saule, symbolique, où on trouve forcément les indices d’une quête.
Une chose est déjà sûre, je suis au bon endroit : la cascade, le saule, et… Céline qui n’est pas là. Pourtant, j’ai suivi ce que je suppose être ses traces : une mince ligne de hautes herbes écrasées, le passage d’une seule personne, forcément elle, mais alors, serait-elle repartie par le même chemin ? Non, ça n’a aucun sens, sinon pourquoi nous convoquer ?
En contournant l’arbre, je découvre une autre piste, plus large, et donc marquée par plusieurs paires de pas, qui mènent à un chemin de terre, trop sec que pour y discerner des traces de roues, mais tâché de gouttes d’huile, trop peu cependant pour imaginer pouvoir suivre une quelconque piste.
Le seul indice précieux est la présence de son camée fétiche au bord du sentier, un cadeau de sa grand-mère adorée, qui luit faiblement sous le soleil de fin de matinée. Il est improbable qu’il se soit détaché tout seul, les bijoux anciens étaient faits pour durer, donc… Elle a dû le laisser tomber pour nous laisser un signe, vraiment peu rassurant pour le coup.
Je suis lentement remonté vers le saule, n’ayant d’autre choix que d’y attendre les autres destinataires de son mail finalement assez cryptique, à détruire après lecture…
J’en ai pourtant retenu l’essentiel, le lieu du rendez-vous, que je pensais être notre arbre, mais qu’elle partage visiblement avec trois autres mecs, qui lui y ont peut-être accordé, eux, plus que leur conversation, vu que, perso… Non mais où je vais, là ? Je serais jaloux des fréquentations d’une fille ?
Je vois une silhouette lentement remonter le pré, mais qui est-ce ? Tom-le-méditatif, Alex-le-redresseur-de-torts, ou Mike-le-hardi ? Le premier, je pense… Mais qu’est-ce que ça fait de moi ? Les qualificatifs d’Attrape-Rêve me flattent légèrement, pas sûr de les mériter, mais bon…
— Hmmm… Tu as un vague air de renard, je capte l’allusion de Céline mais on verra si tu es vraiment rusé, tu dois être Jérémie…
— Sympa, merci, et tu es ? ai-je demandé.
— Tom, mais tu ne devais pas non plus savoir bien plus que mon prénom, comme moi les vôtres, je n’ai vraiment appris votre présence dans sa vie qu’à la réception de son mail. Tu as dû également tenter d’imaginer les autres… Dans ton cas, ce que Céline avait écrit éliminait l’option du guerrier tout couturé, alors, malice et art du camouflage, dis-moi… sorcier ?
— Hein ? Aaah ! Ouais, enfin, mage en fait. Mais du coup, on peut voir tes cicatrices… guerrier ? j’ai grogné, d’un ton boudeur.
— Hahaha ! Non, je n’en ai pas. Au quotidien, je ne risque qu’une occasionnelle microcoupure sur le fil d’une feuille de papier, je suis documentaliste. Ce qui risque de ne pas beaucoup me servir, vu le ton inquiétant du mail de Céline, et du danger de plus en plus réel qu'elle court...
— Il ne reste qu’à espérer que les autres seront moins bras cassés que nous s’il y a de la castagne. Sinon, sans prétendre être particulièrement rusé, j’ai tout de même remarqué…
Je lui expose rapidement mes découvertes.
— Tu prends des points, petit ! Tout ça se tient, et colle assez avec ce que Céline craignait.
— C’est si sérieux ? ai-je murmuré, bien inutilement, au milieu de nulle part.
— Tu n’es pas trop au fait de l’actualité, on dirait. Tu sors de ta chambre, parfois ?
— Non mais ouiiiii ! Je m’informe, et j’ai des relations sociales… avec d’autres… humains, et tout.
— Sur quelles plateformes ?
— Ben… 9gag et… OK, Neverwinter, puis Grin… Enfin, une autre. Bref, ça va, j’ai compris ! Mais je sais tout de même que Céline devient ambassadrice des droits de l’homme pour les Nations Réunies.
— Je te taquine, tu n’es pas un geek absolu, j’ai compris. Mais sinon, dans la vraie vie, socialement… ?
— C’est parfois… un peu plus… compliqué. Mais on ne parle pas de moi, là, juste de Céline ! Alors, on fait quoi ?
— On attend les autres, il y a plus dans quatre têtes que dans deux…
Je l’observe discrètement, et je capte le truc de respiration transcendantale dont Céline parlait dans son mail. Il s’est assis en position du lotus et a fixé un point dans le paysage, à donner l’impression de s’être détaché du monde. Bon, je n’ai peut-être pas été si discret, car il m’a soufflé : "Je peux littéralement sentir ton regard entre mes omoplates, tu sembles être très focalisé sur la réalité proche et immédiate, et c’est bien, les détails que tu as découverts, tout ça, mais essaie de capter la plénitude des choses, et de faire un avec l’univers entier, ça t’offre la distance nécessaire pour l’apprécier dans son entièreté".
Mais pourquoi il me parle d’univers, là ? J’ai toutes les peines du monde à retenir le nom de tous les mecs au bar gay-friendly où je traine avec Hugo ! Après, c’est pas mal des losers, j’aurais peut-être intérêt à m’ouvrir sur un monde plus vaste, c’est pas faux.
Et un truc me dit que la mission que Céline nous a confiée pourrait bien m’y forcer, et plus tôt que prévu…
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