Chapitre 3 : Wei Qi power (Tom Ripley)
Le 25 janvier 2022 7h00, appartement de Tom
Je me réveille avec un mal de crâne atroce. La nuit a été courte. Décidément, il faut absolument que je change de canapé, surtout quand je m’endors lamentablement dessus, à quatre heures du matin. Je m’étire, lâche un bâillement infini, je vais avoir du mal à émerger. De minuscules bulles de champagne pétillent encore dans ma tête, aussitôt me reviennent les images de la délicieuse soirée de la veille. Je m’étais promis de ne plus revoir Cindy, ma partenaire de jeu. Mais cela aurait été dommage de ne pas tester Francis, sa dernière conquête. Effectivement, pas farouche et très à l’aise pour ce nouveau trio. Je souris bêtement de ma dernière friandise, avant de revenir à la réalité et de réaliser l’heure qu’il est. Merde ! Je vais être en retard à mon rendez-vous !
Je bondis et vérifie si mes amis complices dorment encore. J’ouvre discrètement la porte de ma chambre. Je ne sais pas comment a fait Cindy, Francis va réussir à me fissurer le plafond s’il continue à ronfler comme ça. J’ai vraiment bien fait de me rabattre sur le canapé. Les cheveux en bataille, ma fidèle amie émerge de sous la couette, avec son sourire qui me fait immanquablement craquer. Elle lorgne du côté de Francis en le poussant sans ménagement. Un grognement surgit et celui-ci se réveille en sursaut. Il nous regarde l’un après l’autre, encore dans le cirage, avant de nous sourire à son tour. Sans que j’ai à parler, mes yeux leur font signe que je suis pressé et qu’il est temps qu’ils s’en aillent. J’ai autre chose à faire.
La douche froide tente de me réveiller. Je sèche rapidement mes cheveux longs que j’attache en queue de cheval, me regarde dans le miroir de ma salle de bain : mes yeux verts ont connu un meilleur éclat, mais je devrais m’en contenter. Je sais que je ne serai pas à l’heure au rendez-vous, mais il ne peut en être autrement, si je veux avoir les idées claires. Car le message de fin de soirée de Céline, juste après mes galipettes, m'a noué l’estomac.
Contrairement à ses articles de presse enflammés où le mot “urgent” est employé pour éveiller les consciences dans un monde qui court à sa perte, celui qui est apparu en sujet de son mail est un véritable signe de détresse. Elle a beau déployer sa poésie plein de charme pour faire appel à nous, ou à se raccrocher à de beaux sentiments humains, si elle nous a donné rendez-vous aux Cascades, sous le saule, c’est qu’elle est véritablement dans la merde. Céline est sûrement la seule femme dans ma vie pour laquelle je suis prêt à me sacrifier. Notre rencontre a été si importante et salvatrice que je lui serais éternellement reconnaissant.
Après m’être habillé de noir de la tête aux pieds comme à mon habitude, je ne saurais commencer une bonne journée sans une bonne tasse de thé. Je farfouille dans mes étagères et trouve enfin ma boîte japonaise parmi les nombreuses que j’ai (merci Céline de ce beau cadeau!). Je constate avec déception qu’il ne reste plus que quelques feuilles à l’intérieur. Je grimace, lui seul pouvait finir de me réveiller correctement. Note à moi-même : penser à en acheter rapidement. Je me rabats sur un thé noir fumé qui, je l’espère, fera l’affaire.
Deuxième cérémonial d’une journée comme je les aime : m’asseoir en lotus sur mon zafu pour une petite méditation. Je me recentre sur ma respiration. Le champ électromagnétique protecteur qui émane de mon corps diffuse sa lumière habituelle, celle des couleurs de l’arc-en-ciel, histoire de réaligner correctement mes chakras. Mon Wei Qi saura, si je me concentre bien, me protéger d’une potentielle attaque. Autant se préparer un minimum pour cette nouvelle aventure que je vois pointer à l’horizon. Je ne sais absolument pas qui m’attends à ce rendez-vous. Pourtant, je ne doute pas un instant de la confiance que Céline accorde aux autres garçons qu’elle a conviés. Mais l’expérience m’a prouvé que mon intuition était ma meilleure arme de défense, celle aussi que j’ai appris à développer pour tracer le chemin de ma vie. Et mon intuition me dit clairement que cette affaire sent mauvais, très mauvais.
Le 25 janvier 2022, près du Saule
C’est la première fois que je me rends au pied de ces Cascades, lieu dont Céline m’a souvent parlé. À leurs approches, je ressens instinctivement leur force naturelle et leur potentialité guérisseuse. Pas étonnant qu’elle vienne se ressourcer ici. Lorsque j’aperçois enfin le Saule au loin, un jeune homme s’y trouve déjà. Même à cette distance, je capte l’énergie positive de son propriétaire. Ce qu’il dégage est un mélange de timidité, de curiosité et de… Comment l’exprimer… Si ce n’est par la qualification de “fou-fou” ? Je m’approche nonchalamment de lui. Un jeunot plutôt charmant. Arrête Tom, tu n’es pas ici pour le fun. Soyons sérieux, deux minutes. Malgré les circonstances peu réjouissantes de se retrouver ici, il me donne envie d’être un brin badin. Je ne peux pas m’en empêcher.
— Hmmm… Tu as un vague air de renard, je capte l’allusion de Céline mais on verra si tu es vraiment rusé, tu dois être Jérémie…
— Sympa, merci, et tu es ? me demande-t-il.
— Tom, mais tu ne devais pas non plus savoir bien plus que mon prénom, comme moi les vôtres, je n’ai vraiment appris votre présence dans sa vie qu’à la réception de son mail. Tu as dû également tenter d’imaginer les autres… Dans ton cas, ce que Céline avait écrit éliminait l’option du guerrier tout couturé, alors, malice et art du camouflage, dis-moi… sorcier ?
— Hein ? Aaah ! Ouais, enfin, mage en fait. Mais du coup, on peut voir tes cicatrices… guerrier ? grogne-t-il, d’un ton boudeur.
Ne sois pas susceptible mon gars !
— Hahaha ! Non, je n’en ai pas, au quotidien, je ne risque qu’une occasionnelle microcoupure sur le fil d’une feuille de papier, je suis documentaliste.
Ça, c’est ma couverture officielle, parce que si je lui dis que ma véritable activité se rapproche davantage d’un Indiana Jones spirituel, il va totalement halluciner !
— Il ne reste qu’à espérer que les autres seront moins bras cassés que nous s’il y a de la castagne. Sinon, sans prétendre être particulièrement rusé, j’ai tout de même remarqué…
Il m’expose ses découvertes.
— Tu prends des points, petit ! Tout ça se tient, et colle assez avec ce que Céline craignait.
— C’est si sérieux ? murmure-t-il.
Il blague, ou quoi ? Bon, voyons voir comment il réagit, si je te titille un peu.
— Tu n’es pas trop au fait de l’actualité, on dirait. Tu sors de ta chambre, parfois ?
— Non mais ouiiiii ! Je m’informe, et j’ai des relations sociales… avec d’autres… humains, et tout.
— Sur quelles plateformes ?
— Ben… 9gag et… OK, Neverwinter, puis… une autre. Bref, ça va, j’ai compris ! Mais je sais tout de même que Céline devient ambassadrice des droits de l’homme pour les Nations Réunies.
Trop chou. Ça va, il suit, ouf !
— Je te taquine, tu n’es pas un geek absolu, j’ai compris. Mais sinon, dans la vraie vie, socialement… ?
— C’est parfois… un peu plus… compliqué. Mais on ne parle pas de moi, là, juste de Céline ! Alors, on fait quoi ?
— On attend les autres, il y a plus dans quatre têtes que dans deux…
Je vois qu’il m’observe et me jauge. Sans prévenir, mon plexus solaire palpite plus qu’il n’en faut. Oh, mais c’est qu’il cache bien son jeu, le petit ! I Son cerveau capte directement ma respiration transcendantale et arrive naturellement à visualiser ma bulle, pourtant invisible, dans laquelle je suis en position de lotus, véritable bouclier protecteur, malgré le fait que je me tienne debout, devant lui. Parfait, je vois qu’il y a un potentiel énorme chez lui, mais qu’il n’ose pas encore s’ouvrir à d’autres potentialités. Vu son regard mutin qu’il ne peut cacher malgré son trouble, il est à parier qu'il aime s'ouvrir à d’autres plaisirs. Tom, arrête de déconner, on avait dit sérieux !
Je prends le temps de le scanner à mon tour. Céline avait raison. C’est un mage exceptionnel. Mais peut-être pas aussi puissant qu’elle ne m’a laissé sous-entendre Bon ok, là, c’est la jalousie qui parle.
Un bref silence s’installe entre nous qui se brise par la présence d’une troisième personne. Il se tient juste derrière moi. Je ressens une aura aussi puissante que belle. Je reconnais bien évidemment. Je reste abasourdi par le recrutement de Céline. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle puisse avoir ne serait-ce qu’une once d’amitié avec lui. Comme quoi, je pensais bien la connaître… Là encore, la jalousie ou bien la rivalité, appelons-la comme on veut, vient me rattraper. Un frisson me parcourt l’échine. Je n’ai pas envie de me retourner. Ça fait longtemps que je n’ai pas vu ce garçon. Je ne peux pas lui tourner le dos plus longtemps, sinon, il se doutera de mon léger trouble, si ce n’est déjà fait.
Alors je pivote de la manière la plus naturelle possible et lui sourit. Putain, il est toujours aussi beau !
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