28 janvier 2022 Après-midi dans les rues de Stuttgart.

Nous nous sommes éloignés du centre-ville. Cela va faire presque une heure que nous marchons.

— T’es sûr que le GPS de ton téléphone indique la bonne direction ? demande Mike pour la troisième fois. Je ne sais pas si tu as remarqué mais…

— … Nous tournons en rond, oui, je sais. On va bien finir par trouver, dis-je, aussi impatient que lui.

En effet, nous avons beau suivre la petite flèche de l’écran pour nous repérer, celle-ci, au moment de se stabiliser dans une rue, tourne sur elle-même et repart dans le sens opposé.

— Et voilà, regarde ! Une fois de plus, ton machin déraille !

Je souffle à mon tour, énervé. Il y a manifestement quelque chose qui cloche, et ce n’est pas mon téléphone qui a un défaut.

— C’est comme si quelque chose l’en empêchait, dis-je en regardant dans tous les sens. En plus, j’ai la désagréable sensation que nous sommes suivis.

— Moi aussi, mais j’arrive pas à les repérer, cette bande de blaireaux. Bon, on fait quoi ? A gauche ou à droite ? demande Mike, alors que nous retombons une énième fois au même croisement . Et merde, voilà qu’il se met à pleuvoir, maintenant !

Par réflexe, je lève la tête. De sombres nuages laissent tomber une pluie fine, qui en quelques minutes ne tardera pas à grossir. Un éclair illumine le ciel, et fait aparaître au-dessus de nous, la forme de la queue d’un dragon qui disparaît à travers un gros nuage noir.

— Par ici ! Il faut suivre la queue de ce dragon ! crie-je, en indiquant du doigt un point vers le ciel.

— Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ?

Un nouvel éclair zèbre le ciel dans un impressionnant grondement.

— Oh, putain, mais qu’est-ce que c’est ce bordel ? crie à son tour Mike, qui, comme moi, n’en revient pas de ce qu’il vient de voir très nettement. C’est ça ton GPS ?

Nous regardons autour de nous, mais les rares passants que nous croisons sont bien plus préoccupés à ouvrir leur parapluie ou à courir pour se mettre à l’abri que de lever les yeux vers le ciel.

En quelques secondes, un torrent de pluie se déverse sans retenue dans la rue. Malgré nos nombreux allers et retours dans le quartier, il me semble que c’est la première fois que nous passons par ici. Nous suivons tant bien que mal le cerf-volant ailé, qui disparaît par intermittence dans le ciel qui se noircit davantage. La pluie se mêle à une épaisse fumée blanche, sortie de nulle part.

— Tom, regarde, là-bas, une lueur rouge ! Mais qu’est-ce-que c’est ?

Nous nous regardons, intrigués et pas très rassurés non pas. Notre intuition et notre détermination nous font avancer malgré tout.

— C’est une lanterne, comme dans ton quartier chinois ! s’exclame Mike, victorieux.

Nous nous précipitons dessus. Devant une porte en bois, nous fixons un lampion en verre, décoré du même dragon noir que celui du Lotus Bleu. Mike, plein d’assurance, n’attends pas frappe trois fois nerveusement.

— Tu crois qu’il nous faut aussi un mot de passe ?

Question à laquelle je n’ai pas le temps de répondre, puisque la porte s’ouvre aussitôt.

— Vite, entrez vous mettre à l’abri, messieurs ! nous accueille chaleureusement un homme à lunettes rondes, entre deux âges, au visage asiatique. À ses côtés, un garçon plus jeune nous propose de nous débarrasser de nos manteaux.

— Je suis enchanté de faire votre connaissance. Je suis Maître Xing, et voici mon fils, Liang. Bienvenue au Centre Tao. J’espère que vous n’avez pas eu de difficultés à nous trouver…dit-il.

— Nous avons suivi votre… répond Mike, avec excitation, en levant le doigt au plafond.

Un mince sourire se dessine sur les lèvres de l’homme.

— Remercions Céline d’avoir eu la délicate attention de vous guider.

— Vous connaissez Céline ? dis-je, spontanément, tout en me demandant par quelle magie elle a pu faire apparaître ce dragon.

— Oui, tout à fait. Et bien sûr, Maître Ly. Il m’a si souvent parlé de vous ! C’est un honneur de vous avoir parmi nous, Tom. Ce n’est pas tous les jours que je rencontre l’un de ses meilleurs élèves, dit-il avec enthousiasme.

Je rougis. Moi, l’un des meilleurs élèves de mon Maître, c’est une plaisanterie ?

— Il doit y avoir erreur sur la personne ! Je ne suis qu’un simple élève qui manque de...

— Ne soyez pas si modeste, Tom. Vous êtes tel que je l’imaginais, avec les belles qualités et l’aura dont mon frère m’a fait l’éloge. Il sera heureux de vous savoir en sécurité avec nous. Je suppose que vous avez de nombreuses questions à nous poser…

Son frère ? Je ne savais pas qu’il avait un frère en Allemagne. Il ne m’en a jamais parlé ! Moi qui connaît Maître Ly depuis l’enfance, je suis soudain blessé qu’il n’ai même pas évoqué son existence. Pourquoi me l’avoir caché ?

Mike qui a dû s’apercevoir de mon trouble prend la parole.

— Merci pour le Haïku !. Il est très…Harmonieux.

Je suis agréablement surpris par le choix de ses mots. Le regard qu’il me lance me fait comprendre : tout va bien, laisse-moi gérer.

— Avez-vous des nouvelles de Céline ? Et comment vous nous avez trouvé ?

— La dernière fois que nous l’avons eu au téléphone, c’était il y a une semaine. Elle m’informait de son passage en ville pour le congrès. Avant son discours, elle désirait prendre un temps de méditation à nos côtés, pour calmer son esprit et se ressourcer. Depuis, plus de nouvelles. Ce qui a commencé à m’inquiéter.

— Pourquoi ça, si elle vous avait déjà dit qu’elle venait ?

— Parce que depuis que je la connais, il y a de cela un an déjà, nous avons l'habitude de nous envoyer chaque jour deux ou trois haïkus, en guise de conversation. Cela nous amuse beaucoup de communiquer de cette façon, répond-t-il, avec malice.

— Une sorte de code secret… intervient Mike.

— Oui, en quelque sorte, jeune homme. Vous êtes Mike, n’est-ce pas ?

Mon ami ose un clin d'œil que je ne sais comment interpréter. Notre hôte ne s’en formalise pas et continue.

— Il y a deux jours, je me suis rendu à votre hôtel dans l’espoir de l’y trouver. La personne de l’accueil me certifie alors qu’elle est déjà dans sa chambre. Mais impossible de la voir. À mon retour au Centre, je reçois un message de mon frère m’informant de sa disparition et de votre arrivée imminente. Il m’a confié que vous courriez de gros dangers en venant ici.

Mike me jette un regard aussi inquiet que doit être le mien.

— Et dire que vous êtes là en chair et en os, alors qu’il y trois jours, je vous rencontrais en rêve ! enchaîne Maître Xing..

— Mais… Comment ça ? Quel rêve ?

— Celui où vous étiez sous le saule, à la recherche de Céline, puis dans une grotte, derrière une cascade…

— Incroyable ! s’exclame Mike.

— Père, si je peux me permettre, il va être bientôt être l’heure… Nous interrompt Liang.

— Oui, tu as raison, mon fils. Excusez-nous messieurs, mais si nous vous avons fait venir ici, c’est à la demande de Maître Ly. J’ai accepté sa requête avec honneur. J’espère qu’il en sera de même pour vous deux. La confiance qu’il porte en vous, Tom est manifeste. La présence de votre ami Mike à vos côtés vient confirmer ce que j’ai pu ressentir dans mon esprit lors de mon rêve : confiance, amitié et persévérance dans l’adversité.

Avec Mike, nous nous regardons, émus. L’aura que dégage Maître Xing, est aussi puissante que celle de mon Maître. Pas de doute, ils sont bien frères, et pourtant, je reste mal à l’aise face à cette révélation de leur lien de parenté. Il va me falloir digérer cette information rapidement, car il ne s’agit pas de s'appesantir sur ma petite personne.

Notre hôte a lui aussi dû percevoir mon trouble, car il me sourit comme pour m’apaiser. Il nous propose une séance préparatoire à notre future aventure.

— Unissons nos forces et nos faiblesses, notre amitié et notre sagesse pour vaincre l’ennemi et l’Empreinte du Mal qu’il parsème dans le monde, déclare Maître Xing, d’une voix à la fois déterminée et martiale.

Nous acquiesçons, comme deux soldats, prêts au combat, même si j’avoue ne pas savoir à quoi m’attendre. Liang propose à Mike de le suivre dans un couloir qui mène je ne sais où, tandis que Maître Xing m’invite de l’autre côté d’une grande tenture vert émeraude.

*

Je reconnais la pièce dans laquelle je suis. Elle est similaire dans sa disposition à celle qui existe au Lotus Bleu. Plusieurs zafus sont disposés en cercle sur un grand tapis ancien. Ses couleurs chaudes se devinent à travers le faible éclairage de la pièce. Une odeur d'encens embaume le lieu et me rappelle immanquablement les heures passées à méditer dans cette ambiance. Maître Xing monte sur une petite estrade et s'assoit en lotus sur un coussin moelleux. Il me propose de m'asseoir à mon tour, face à lui. Je comprends évidemment que nous allons pratiquer une méditation. Je m’en réjouis d’avance, me ressourcer ne peut me faire que du bien. À peine ai-je trouvé ma position confortable et digne, que je ressens des fourmis dans les pieds, signe que mon esprit est effectivement bien trop agité en ce moment même. Les yeux bienveillants de Maître Xing sont les mêmes que ceux de mon Maître. Ils tentent de m'apaiser, mais l’agitation continue de se propager au-delà. Mes jambes, puis mon ventre vibrent de manière inhabituelle, sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit. Qu’est-ce qui m’arrive ? Je n'ai jamais ressenti ça auparavant.

— Ne te formalise pas Tom. Ce que tu ressens est tout à fait normal. Ton dos va également…

Il ne croît pas si bien dire, car une vive chaleur se manifeste dans mon périnée pour remonter le long de ma colonne vertébrale. Même si je suis habitué à faire circuler l’énergie à travers mon corps, la vitesse à laquelle elle se déploie me déroute. Je ne devrais pas m'inquiéter, mais les sensations sont si fortes !

— Maître Ly m’a indiqué que tu étais près pour ta deuxième naissance.

Je cligne des yeux, abasourdi. Moi qui était persuadé qu’au contraire, je ne saurais être digne de l’enseignement de mon Maître…Un frisson me parcourt l'échine. Mon cœur palpite dans ma poitrine.

— Quand je te regarde, je le pense aussi, malgré l’incertitude que je lis dans ton regard. Décidément, tes doutes ne cessent de t’assaillir, Tom. Sache que la force du dragon qui est en toi est bien réelle, mon ami. Céline ne s’était pas trompé. Il s’agit à présent de le laisser s’exprimer pleinement, sans réserve.

Je déglutis, soudain transis par une émotion troublante qui m’envahit entièrement. La chaleur de mon corps s’élève un peu plus à présent. J’essaye de calmer ma respiration, sans la forcer, afin qu’elle prenne le contrôle de mon être. Des pensées tout azimut traversent mon esprit. Je revois défiler le visage rayonnant de Céline, son pendentif autour du cou de Mike qui hurle dans la bulle lorsque nous traversons les cascades, le regard timide et polisson de Jérémie dans le café, après notre fuite de l’appartement de Céline, les beaux yeux d’Alexis viennent me décrocher un sourire malgré moi. Soudain, une vision m’apparaît et disparaît aussitôt : une grande tension envahit le corps d’Alexis et de Jérémie. Je ressens leur peur. Puis tout s’arrête et d’autres pensées sans queue ni tête défilent en rafale. Après quelques minutes de concentration, j’arrive avec bonheur à entrer dans la méditation telle que je le souhaite. Mes pensées diminuent progressivement et laissent un espace de sérénité m’envahir. Je focalise mon attention sur l’ensemble de mon corps qui respire naturellement, sans que j’ai à forcer.

Tout à coup, je ressens comme la pointe d’un crayon dessiner une forme sur l’ensemble de mon dos. Si la sensation de picotement est tout d’abord agréable, la pointe s’enfonce un peu plus dans ma chair, gravant des lignes et des boucles ininterrompues.

— Ouvre-toi et accueille sa force et son agilité.

Est-ce la voix de Maître Xing ou celle de mon Maître que j’entends ? J’ai l’impression d’être dans une dimension parallèle, à la fois bien ancré au sol et en même temps dans un espace hors de ce lieu que je ne saurais définir. Je redouble ma concentration respiratoire en évitant de me focaliser sur la douleur lancinante qui se grave en moi pour l’éternité. La température de mon corps augmente d’un cran supplémentaire. Des gouttes de sueur viennent perler le long de mes tempes. Je suis obligé de serrer les dents, tellement j’ai envie de crier.

— Bien, mon ami, je vois que le processus est enclenché. Ouvre la voie, Toooom !!!

Paradoxalement à la douleur, je ressens un bien-être immense. Je suis soulagé que la cérémonie que j’ai tant attendue se déroule ainsi. Pas le temps de m’y préparer, c’est peut-être mieux ainsi. Je n’imaginais vraiment pas ça comme ça ! Le temps commence à se dissoudre autour de moi.

— Continue mon ami, tu y es presque !

Soudain, je me sens littéralement décoller du sol. Pas la peine d’ouvrir les yeux, je sais que je flotte dans la pièce. Je sens la bulle de mon Wei Qi protecteur se former autour de moi. Deux petits dragons, l’un blanc, l’autre noir, apparaissent devant moi durant quelques secondes. Je sens que l’équilibre se fait en moi. Mon rythme cardiaque ralentit, ma température corporelle diminue lentement. Je ressens un bien-être nouveau, incomparable. Une nouvelle force m’appartient. Saurais-je en faire bon usage ? Pour l’heure, je me sens invincible.

*

Je quitte le vestiaire dans lequel j’ai retiré tous mes vêtements, afin de passer un kimono en soie que l’on a laissé sur un banc à mon attention. Le programme est le suivant : me rendre dans la salle du grand bain dans laquelle Mike est censé me rejoindre. Nous allons pouvoir nous relaxer après nos séances respectives.

Je le vois à l’autre bout de la pièce me rejoindre, lui aussi habillé d’un kimono identique au mien. Vêtu de cette façon, il est d’une beauté saisissante. Son visage n’est plus le même. Quelque chose a changé en lui. Il semble apaisé et maître de lui-même. J’espère avoir sur mon visage les mêmes expressions de félicité que lui. Je ne sais pas comment ça s’est passé exactement en ce qui le concerne, mais ce que je ressens à cet instant est de bon présage.

Nous nous faisons face, ne sachant quoi dire, encore sous le coup de l’émotion de ce que nous venons de vivre chacun de notre côté. Nous sommes absolument seuls. Nous regardons les nombreuses volutes de vapeur s’échapper du bain à remous.

— Bon, bein, quand faut y aller, faut y’aller, non ? déclame Mike, qui défait le nœud de la ceinture de son kimono et le laisse tomber le long de ses épaules. Il m’offre sa nudité sans fard et sans lueur grivoise. Je fais de même en desserrant mon habit de soie qui tombe à son tour à mes pieds.

J’entre le premier dans le bain, en poussant un petit cri de plaisir au contact de l’eau dont la température élevée me ravit. Je sais que Mike a tout le loisir de regarder mon dos et d’apercevoir ce que je n’ai pas encore pu admirer dans un miroir.

— Putain, mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait dans le dos, Tom ??? C’est un dragon, ma parole ? Pourtant, ce matin, à l’hôtel, tu ne l’avais pas !!! Trop trop classe. On dirait un vrai !

Je me retourne face à lui et m’assois. Je réalise à peine ce qu’il vient de me dire. Un dragon est tatoué dans mon dos. Incroyable ! Je le regarde entrer à son tour.

— Tourne-toi que je t’admire s’il te plaît.

— Comment sais-tu que moi aussi j’ai… ?

Au ton de sa voix, je sais qu’il ne me renverra pas chier comme à son habitude.

— Il est très beau, Mike. Et je ne parle pas de ton cul.

— Liang m’a dit que mon tatouage était très réussi. S'il est aussi élégant et classe que le tiens, je vais faire un malheur auprès des gonzesses, crois-moi !

Le tigre dessiné et gravé sur son dos est saisissant de réalisme. On le croirait prêt à surgir pour vous attaquer, malgré la sérénité gravée dans ses yeux.

— Ça fait un mal de chien au départ, et puis tout à coup plus rien ! C’est dingue ce truc ! dit-il en s’asseyant à son tour à mes côtés. Tu sais, Liang est un mec fantastique. Il m’a initié au Tai Chi Chuan. C’est comme ça, qu’on dit ? Au départ, j’ai cru qu’il se foutait de ma gueule, on aurait dit qu’il me faisait faire de la gymnastique pour vieilles. Puis on a commencé à enchaîner une série de mouvements très lents. Tu me croiras, ou pas, mais c’est comme si j’avais toujours su en faire ! C’est super physique en vrai ! Tu dois te concentrer et penser à rien d’autre. Même s’il ne laissait rien lire sur son visage, je voyais bien que Liang était impressionné ! Et comme il a vu que je kiffais, il m’a dit que j’étais prêt pour la cérémonie. Vu ton tatouage, tu y as eu droit, toi aussi, à ce que je comprends.

— Heu… Oui, on peut dire ça comme ça. Mais je ne suis pas sûr que ce soit pour les mêmes raisons, Mike. De mon côté, nous avons fait une séance de méditation… Un peu spéciale, on va dire.

— Ouais, je sais, le fils XIng m’en a parlé. Il m’a dit que ça avait un rapport avec ton enseignement avec Maître Ly. Il n’a pas voulu m’en dire davantage.

J'acquiesce en souriant.

— Quand je lui ai demandé pourquoi j’avais eu droit au tigre dessiné dans mon dos, Liang m’a expliqué que j’étais un être pur et tout le bordel. La grosse blague. Mais bon, j’ai pris ça pour un compliment. Je vais finir par croire qu’il y a un peu de vrai dans ce qu’il raconte. Céline m’a assez bassiné avec ça. Liang m’a aussi dit que je pourrais, à tes côtés, affronter l’Empreinte du Mal. Je ne vois pas en quoi un tatouage me servirait en plus de mes muscles. T’y comprends quelque chose ?

— Je pense, oui. Maître Ly m’a expliqué que dans la légende, ce genre de tatouage agissait comme une sorte d’avatar. Il peut se mouvoir, se défendre et combattre à notre place, seulement en cas de nécessité absolue.

— Une légende, v’la autre chose ! Tu me fais marcher, Tom ! Mais tu as l’air d’y croire, ma parole !

— J’ai envie d’y croire, oui.

— Perso, je crois pas avoir besoin d’un tigre pour me défendre. Ma force herculéenne me suffit. A la rigueur un tatouage pour Jérémie et Alexis… D’ailleurs, je ne sais pas comment ils s’en sortent en Argentine. Ce matin, je me suis dis que nous avions peut-être fait l’erreur de nous séparer.

— Oui, moi aussi, même si je fais confiance à Alexis. J’ai eu une drôle de sensation durant ma méditation. Je les sentais en danger. Ça a duré quelques secondes seulement, heureusement. J’espère que mon intuition me trompe.

— Ouais, bah j’espère aussi ! Tu crois que Céline a déjà parlé de nos facultés à Maître Xing ?

— Vu ce qui vient de nous arriver, elle en a aussi parlé à Maître Ly. Je ne sais pas ce qu’elle leur a dévoilé exactement, mais décidément, on ne cesse d’aller de surprise en surprise avec elle. Une vraie cachottière, ma parole.

A le regarder réfléchir, je pense que Mike est du même avis que moi. Si Céline nous a caché des choses, c’est qu’elle a ses raisons.

— Putain, qu’est-ce que ça fait du bien d’être ici, relax. Quand on nous regarde, on ne dirait pas qu’on est venu la sauver ! C’est pour la bonne cause, pas vrai ?

Je ne peux m’empêcher de partager son sentiment, malgré mes nombreuses questions qui trottent dans ma tête. C’est comme si cette étape au Centre Tao était déjà inscrite dans nos chemins de vie et que Céline le savait. A moins que je fasse complètement fausse route.

Je regarde Mike se délasser en poussant de longs soupirs de bien-être. Allez, Tom, arrête de cogiter deux minutes ! Tout mon être finit par s’abandonner et se charger de particules d’énergies relaxantes.

— C’est comme une bonne séance de sport, mon pote. En général, j’ai toujours une de ses envies de… Enfin, tu vois ce que je veux dire ! se lâche Mike, sans complexe.

— Je crois bien, oui. S’il te plaît, range moi ton périscope qui remonte à la surface !

Mike me regarde, en explosant de rire.

— Oh, et puis, merde, désolé, mais je ne peux pas toujours tout contrôler ! répond-il le plus simplement du monde. Ah, mais, je vois que je ne suis pas le seul !

Je rougis à peine et me met à rire aussi. La situation est à la fois embarrassante et joyeuse. Je sens que cette aventure à peine commencée ne va cesser de nous surprendre. Il va falloir faire preuve d’adaptation et de souplesse. Il s’agit de profiter de l’instant. Comme si vous avions besoin, pour l’heure, d’une grande bouffée de légèreté avant d’affronter la noirceur du danger qui nous attend.