Chapitre 33 : Troubles (Tom Ripley)
Deux ans plus tard...
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28 janvier 2022 18h, Chambre de l'hôtel de Stuttgart, Allemagne
— Une invitation ?! Décidément, c'est la journée. Qu'est-ce qu'on fait ? me demande Mike.
— Je reste sur ma première impression, cette histoire ne sent pas bon.
Karl et Sofia : qui sont-ils ? Décidément, Céline a beaucoup d’amis dont nous ignorons l’existence !
— Donc on n'y va pas !
— Evidemment que si, on y va ! Jetons-nous dans la gueule du loup ! Il n’y a plus qu’à enfiler nos tenues de pingouin. Il nous reste deux heures, on a largement le temps !
Mike vérifie la taille de nos smokings et m’en propose un.
— Je pense que le tien doit être celui-ci, contrairement au mien, il est davantage ajusté, regarde !
Un soupçon de gêne vient nous cueillir lorsque nos regards se croisent de nouveau.
— Prends la salle de bain pour te faire beau, j’irai ensuite, me propose-t-il en me faisant un clin d'œil.
Je suspends le smoking derrière la porte et la referme. Je me regarde dans le miroir, les mains de chaque côté de l’évier pour reprendre ma respiration. Qu’est-ce qui s’est passé tout à l’heure dans le bain avec Mike ? Je me suis tellement détendu, que je ne me suis même pas aperçu que je m’étais endormi moi aussi. Heureusement je me suis réveillé quelques minutes avant lui ! Il avait l’air dans tous ses états. Je crois avoir réussi à cacher mon trouble, mais il s'en est fallu de peu. À croire que lui aussi a fait le même rêve érotique que moi, si tant est que ça soit un simple rêve. Je ne ne l’ai quand même pas embrassé et encore moins branlé ? Qu’est-ce qui nous a pris ?
Pourtant, je revois très nettement les images de sa tête et de ses épaules partir en arrière avant qu’il ne lâche un cri de plaisir au moment de jouir. On aurait dit un volcan en éruption. Je me revois aussi ma main constellée de sa semence douce et chaude qui me laisse un moment interdit avant d’empoigner avec envie mon sexe qui finit en quelques secondes par offrir à mon partenaire un feu d’artifice identique au sien. Sans oublier notre dernier baiser fougueux que j’avoue avoir intensément savouré, me laissant, en y repensant, encore quelques frissons de plaisir parcourir mon ventre.
Pourquoi ai-je la sensation que c’est Alexis, qui par son pouvoir, a projeté sur nous cette scène ? Mais à une telle distance… C’est tout simplement impossible ! À moins que… À moins que quoi ? Non, ce n’était donc pas un rêve ! J’aimerais me tromper pour me rassurer, en cherchant une autre explication. J’ai trouvé ! L’explication la plus plausible est la séance avec Maître Xing.
Durant la méditation, mon énergie sexuelle qui n’est d’autre que mon énergie vitale s’est exprimée de manière libre et naturelle. J’ai ressenti un bien-être incomparable et un moment d’extase incroyable, comparable à celui d’un orgasme. Soudain, me revient en mémoire une de mes lectures sur la méditation micro-cosmique. Celle-ci me permet au pratiquant de faire circuler l’énergie dans tout le corps et de le nettoyer par la même occasion. Un des effets secondaires d’une telle séance peut être l’expulsion énergétique sous toutes ses formes, sans que la personne ne puisse la contrôler.
Par réflexe, je baisse la tête et glisse ma main dans mon caleçon pour vérifier s’il ne reste pas de traces de semence sur mon sexe, des fois que… Oh, putain ! Je renifle mes doigts, pas de doute. Je souris bêtement devant le miroir, tel un adolescent qui a joué une fois de plus avec son intimité. Tout ça ne me dit pas pour autant si Mike et moi c’était oui ou non un rêve. Je me revois dans le wagon-restaurant, assis en face de lui, me promettant qu’il s’agirait entre nous uniquement d’amitié. Rien que l’idée de penser à la possibilité que nous ayons fauté fait grossir ma…
— Tom !
— Hein, quoi, tu me parlais ?
— Ton portable vibre. Je te le passe si tu veux. T’as dû recevoir, comme moi, un message des garçons !
Par automatisme, je lui ouvre la porte, attrape mon téléphone et le regarde droit dans les yeux. Il faut que j’en aie le cœur net pour lui et moi.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ? Tout va bien ?
— Heu, oui, oui, c’est que... Je crois que la séance de méditation et celle du bain m’ont complètement vidé. Pourtant, je ne me suis jamais senti en pleine forme depuis bien longtemps.
Il écarquille sensiblement les yeux.
— Heu.. Moi aussi…Le tigre est en mouua ! me répond-il en imitant le rugissement de l’animal.
Je lui souris mais, devine qu’il reste aussi gêné que moi. En fait, me voilà incapable de lui poser la question, comme ça, de but en blanc. Ce n’est pas le moment. Alors pour ne pas laisser paraître mon trouble plus longtemps, je regarde l’écran de mon téléphone : un message de Maître Ly. Tiens, donc ! Il a organisé le retour imminent des garçons à Paris. J’en fais part à Mike qui ne peut s’empêcher d’être admiratif..
— Il est incroyable ton Maître Ly ! Pour mes prochaines vacances, je ne m'embête pas de passer par une agence de voyage. Tu préviens Alexis ? Moi, je réponds à Jérémie pour nos tatouages, ils vont halluciner.
Je referme aussitôt la porte pour expédier mon texto et surtout pour me retrouver seul. Je sais que je ne vais pas pouvoir rester dans cette salle de bain une éternité, mais j’ai besoin de faire le point avant de m’habiller. Plus j’y pense, plus je me dis que cette histoire de sauvetage de Céline part complètement en sucette. Et dire que son discours est toujours programmé dans deux jours ! Nous n’avons aucune piste pour le moment. Il faut impérativement que nous en trouvions une, aussi minime soit-elle ! Cette deuxième invitation au château tombe à pic un peu trop facilement mon goût. Cela ne m’inspire pas la moindre confiance. Restons vigilant.
Je retire mes vêtements pour enfiler ce qui s’avère être, au toucher, un luxueux smoking. Je me regarde une nouvelle fois dans le miroir. Mon nom est Ripley, Tom Ripley, pour vous servir, dis-je, le sourire aux lèvres, en imitant le plus célèbre des agents secrets, sortant son pistolet Walther fétiche de sa poche. Fais le malin, Tom, pendant qu’il est encore temps ! Je regarde ma montre : malgré un corps reposé, je ne dirais pas non à une petite sieste avant les éventuelles hostilités. Heureusement, nous avons encore un peu de temps devant nous.
Lorsque je sors de la salle de bain, je constate que Mike est déjà habillé, allongé sur le lit. Il est vraiment chic dans cet habit, et encore plus désirable dans cette tenue. Étendu sur le dos, il dort paisiblement. Je souris, décidément, nous avons eu la même idée ! Je m’autorise à venir délicatement m’allonger à ses côtés. On dirait un enfant, la bouche entrouverte, avec sa respiration régulière, les traits paisibles d’un visage innocent. Je m’approche de lui, en me plaçant sur le flanc, ma tête posée sur la main. À cet instant, je réalise tout ce que nous avons déjà vécu ensemble d’incroyable, sans compter qu’il m’a déjà sauvé la vie. Avec lui, je me sens en sécurité. Je me répète ce mot “sécurité” en boucle pour évacuer la bouffée d'angoisse qui vient me saisir à la gorge. J’ai vraiment un très mauvais pressentiment pour la suite.
Je continue à regarder quelques minutes le visage de Mike. Celui d’Alexis vient se superposer au sien. Un sentiment ambigu s’empare de moi. Me reviennent en mémoire les moments où il me prenait dans ses bras pour apaiser mes tempêtes intérieures. J’ai une terrible envie de revivre ces instants rassurants. Mais, en même temps, je me souviens aussi de la douleur de notre séparation il y a deux ans. S’il n’y avait pas eu ce voyage dans les hauteurs des Monts Wutang avec Céline, je ne sais pas qu’elle aurait été ma vie. Tout cela me paraît à la fois si loin et si proche à présent.
Je viens me blottir doucement contre le large torse de Mike, en posant mon bras sur lui. Je me sens bien. Je ferme les yeux et m’endors aussitôt.
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