Deux ans auparavant...

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23 décembre 2020, Montagnes du Wutang, Chine.

*Tom Ripley*

Nous étions partis depuis deux jours, notre sac à dos sur les épaules, avec le sourire aux lèvres. L’énergie de la montagne du Wutang traversait chaque cellule de nos êtres impatients et nous préparait à ce séjour cosmique dont nous rêvions depuis six mois déjà. Nous étions loin de la grisaille du climat automnal parisien, de l’ambiance morose des rues nerveuses et fatiguées de la vielle capitale. Nous respirions à présent l’air régénérant de la roche noire et millénaire des lieux. Nous réalisions déjà l’immense présent que nous avait concocté Maître Ly. Dans quelques heures, nous allions enfin pénétrer dans la cité taoïste, franchir ses lourdes portes sculptées, parcourir ses ruelles millénaires et enfin pouvoir nous accorder un temps méditatif bien mérité. Malgré l’afflux massif de touristes, nous savions que la population locale tenait à préserver l’âme de ce lieu traditionnel, chargé d’histoire. Maître Ly avait eu la gentillesse de nous loger chez un de ses amis. Nous lui en étions déjà reconnaissants.

*Céline alias Attrape rêve*

Je regarde Tom qui grimpe chacune des marches avec un enthousiasme qui me charme. Son visage reprend cette couleur de quiétude qu’il semblait s’être figée depuis quelques jours. De mon côté, j’admire les montagnes, petites dentelles azurées, qui défilent sous mes yeux. Les questions se bousculent dans ma tête. Maître Ly a été très clair, ne surtout pas laisser mes émotions prendre le pas. Tom n’est pas encore prêt à entendre ce que j’ai à lui avouer. Je ne supporte plus de mentir à chacun de ceux que j’ai rencontré et qui font ma vie. À cette heure, mes idées voyagent du vide qui m’attire et m’effraie au sommet qui m’appelle rêvant d’un avenir plus serein. Tom se retourne dans ma direction, s’inquiétant de ne pas me tenir à ses côtés. Il me perce à jour avec tant de facilité, dans ses yeux brillent cette étincelle qui m’a capté dès notre première rencontre.

– Céline, allez encore un effort, nous sommes presque arrivés.

– Oui. Juste un instant, j’avale de grandes bouffées d’air. J’ai besoin de m’imprégner du lieu.

*Tom*

Je la laisse reprendre sa respiration ou plutôt reprendre ses esprits, car malgré le plaisir qui se lit dans ses yeux et l’environnement incroyable dans lequel nous sommes, je ne la sens pas sereine. Je ne peux lui en vouloir. Il me faut, moi aussi, un temps d’acclimatation pour profiter pleinement de notre retraite. J’ai tant besoin d’apaisement après la tempête de ces derniers jours ! A mon grand regret, mon cœur vient d’être brisé une nouvelle fois. L’homme avec qui j’ai partagé de longs mois est parti définitivement. Il a eu raison de me fuir. Je suis devenu un poison. Si Céline m’entendait prononcer ces mots, elle bondirait sur place ! Elle qui a toujours été à l’écoute, je vais la décevoir. Je n’ai pu lui partager mes tourments de ces dernières semaines. Pourquoi est-ce que je me sens toujours obligé à me replier sur moi-même, persuadé d’être assez fort pour me relever seul, sans l’aide de personne ? Vais-je réussir à lui en parler au risque d’assombrir notre voyage ou au contraire lâcher prise durant ces quelques jours ? Demain sera pour nous deux, un moment précieux, unique, et inoubliable, j’en suis certain. Je ferais mieux d’être plein de gratitude envers moi-même au lieu d’être sur le point de tout gâcher.

*Céline*

J’ai toujours aimé la neige, et encore plus aujourd’hui. Le vent glacial est mordant et balaye mon visage chassant mes cheveux en arrière. Je sens mes joues rosies par l’effort que m’impose cette ascension. Ce qui pourrait s’avérer fastidieux, impossible devient tout à coup aux côtés de Tom un instant magique. Il aime à me cacher ses fantômes et me rassurer en permanence. Je ne suis pas dupe et je me rends compte qu’il ne l’est pas plus. Il reprend sa marche en avant, je suis ses traces légères dans la neige. S’il avait conscience de ce qu’il serait capable de faire et de ce qu’il va apporter à ma vie, peut-être que tout serait plus simple. Là une seule idée folle me traverse l’esprit et je vais la mettre à exécution avant que nous franchissions le portail.

– Tom.

Surpris de m’entendre l’interpeller, il se retourne et esquive de peu la boule de neige que je lui adressais.

– Décidément tu me surprendras toujours.

Alors que Tom est distrait par ma dernière remarque, j’en profite pour envoyer la seconde que j’avais dissimulé dans mon dos. Le projectile d’une fine poudreuse vient s’écraser sur le pompon de son bonnet. Je découvre sa tête et dans son regard coquin je comprends qu’il est temps que je cours jusqu’au portail rouge qui se dresse devant nous.

*Tom*

– La vengeance est un plat qui se mange froid, ma chère Céline ! Nous voilà arrivés…

Elle me regarde, hilare de me voir recouvert de neige, en train de m’ébrouer tel un chien mouillé.

– …Nous voilà arrivé, répète-t-elle sur un ton cérémonieux.

Je sonne la cloche qui résonne de longues secondes dans les airs. Nous patientons quelques instants avant d’apercevoir au loin une silhouette approcher lentement. Nous nous regardons comme deux enfants, impatients.

*Céline*

Quelle n’est pas ma surprise de me rendre compte que la personne qui vient nous accueillir n’est autre qu’un enfant. Dans son manteau noir, capuche rivée sur le crâne, seules des petites perles d’un bleu gris clair apparaissent. Il nous sourit et spontanément nous tend les bras pour que nous le suivions. Mes doigts s’entrelacent dans les siens, ils sont chauds alors que les miens sont glacés. Je ne peux le quitter des yeux, il est d’autant plus touchant lorsqu’il rapproche mes mains de celles de Tom.

*Tom*

La main du jeune enfant se glisse dans la mienne et me réchauffe instantanément. Une douce et belle énergie s’en dégage et atteint mon cœur en quelques secondes. Une émotion vive s’empare de moi. Je suis bouleversé, au point d’en verser une larme. Je n’ose pas le regarder, au risque de m’effondrer. Avec Céline, nous regagnons le temple qui apparaît à son tour à travers la lumière du soleil couchant.

Le jeune moine nous fait signe de retirer nos chaussures et nous invite à déposer nos sacs. Nous le suivons le long d’un couloir obscur jusque devant une porte rouge. Celle-ci s’ouvre sur un homme dont il est impossible de donner un âge.

– Bienvenue à vous. Je suis Maître Kumeï, dit-il en abaissant légèrement son buste.

Silencieux, nous le saluons respectueusement. Il nous fait entrer dans une pièce vide, avant de s’approcher de la large baie vitrée. Nous le rejoignons, et admirons la vue splendide des montagnes dont les dégradés de bleus s’harmonisent subtilement avec les deniers rayons du soleil. C’est tout simplement irréel tant la beauté du paysage est saisissante.

*Céline*

Dans cette salle immense, le temps semble s’être arrêté suspendu aux lèvres du Maître, que va-t-il nous proposer ? Que devons-nous faire ? Dois-je prendre les devants et révéler bien plus que je ne pourrai vraiment le faire ? Est-il lui-même au courant ? Tom est silencieux, je le connais, il s’imprègne des lieux et de l’énergie qu’elle diffuse. Sa respiration s’est ralentie. L’enfant qui est venu à notre rencontre, s’est installé en tailleur à mes côtés, à nouveau il saisit ma main, un frisson parcourt mon bras. Nous n’avons pas besoin de nous parler, dans ses yeux je vois mon reflet et je perçois toute la bienveillance qu’il me renvoie.

Le gong résonne, une douce mélodie nous enveloppe. La montagne si visible il y a encore cinq minutes vient de disparaître dans une brume. Plus aucun bruit n’interfère avec le moment de partage qui s’annonce. Le troisième son retentit. Nous calons notre souffle, nous inspirons et nous expirons, la méditation vient de commencer.