Chapitre 5

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 Sortant de mon désarroi, je me tourne pour récupérer ma besace lorsqu’un membre de l’équipe présente ce matin s’approche de moi, tout sourire :

 — Salut ! Toi c’est Charly, non ? Celle qui est arrivée en retard au jeu ?

 — Hey ! Oui, c’est moi en effet. On ne peut pas dire que mon entrée était discrète. Même pas eu le temps de me prêter au jeu que ma référente m’a grillé direct.

 — Moi c’est Matthieu, dit le jeune homme en me tendant une main que je serre. On pensait tous aller manger au parc à côté. Je ne sais pas si tu as amené ton repas, mais on est plusieurs à aller acheter quelque chose à la boulangerie, si tu veux venir avec nous !

 Je n’ai aucune raison de refuser, et il a l’air sympa. J’acquiesce donc et nous sortons rejoindre deux autres personnes en train de fumer un peu plus loin. Matthieu est grand, encore plus grand que moi qui fais déjà partie des géantes parmi la gent féminine. Ses cheveux sont un vrai champ de bataille doré et son sourire pourrait en charmer plus d’une. Il semble respirer la joie de vivre, c’est agréable après la réaction inattendue de Chloé. J’espère que tous les référents ne se comportent pas comme elle dans cette agence !

 Matthieu me présente aux deux autres. La fille, Betty, me fais une bise et me propose une clope que je refuse gentiment.

Me cramer les poumons avec cette merde ? Non merci.

 Un peu plus en retrait, Samy hoche la tête dans ma direction avec un sourire timide en guise de bonjour. Il est plus petit que Betty et porte un gros manteau alors qu’il fait vingt-cinq degrés à l’ombre. Mais il a l’air sympathique et ses petits yeux bleus brillent d’une fantaisie contenue. Je pense que je vais bien aimer ce petit groupe !

 — Alors, cette matinée ? lance Betty.

 Samy baisse la tête, un peu gêné. Il écrase sa cigarette dans le cendrier mis à cet effet et jette son mégot dans la petite poubelle de l’entrée. L’air dépité, il se retourne vers nous :

 — Je ne sais pas s’ils vont me garder longtemps, j’ai déjà réussi à enchaîner trois boulettes en quatre heures…

 — Mais non, t’inquiète pas, lui dis-je. Ce n’est que notre premier jour, ils seront indulgents, et puis je ne sais pas qui est ta référente, mais la mienne m’a déjà prise en grippe, alors tu n’es pas seul dans ta misère !

 Nous rions tous de bon cœur et nous dirigeons vers la boulangerie. Après avoir acheté de quoi nous sustenter, nous rejoignons le reste du groupe dans le parc arboré qui longe la boîte. Des sapins se mêlent aux chênes dont les branches semblent être un terrain de jeu palpitant pour les différents oiseaux qui viennent s’y poser. J’entends une mélodie qui me plaît, un peu plus loin, s’élevant dans les airs, et ma tête se tourne vers sa source.

 Chloé est installée sur un banc avec un bol de salade sur ses genoux, son iPod branché à une petite enceinte colorée diffusant les notes électroniques et douces de Møme et de sa chanson « Aloha ». J’adore cette chanson, elle convient parfaitement à l’ambiance estivale du moment.

Caractère de merde, mais goûts musicaux de qualité.

 Je m’assieds dans le cercle formé par mes collègues et me présente aux autres. En dehors de Thomas, Betty et Samy, deux des personnes assises n’étaient pas présentes à la petite réunion de ce matin. Agnès et Sandie font partie de l’ancienne équipe. Si Johanne a mentionné qu’une nouvelle équipe débutait aujourd’hui, elle n’en a pas dit plus sur les raisons de ce recrutement abondant.

 — Du coup, vous travaillez là depuis longtemps ? demande Matthieu à Agnès et Sandie.

 — Six mois pour moi, répond Sandie. Et Agnès est arrivée deux mois après. On faisait partie d’une ancienne équipe avec trois autres personnes, mais il y a eu des soucis. Du coup, il ne reste qu’Agnès et moi.

 — Des soucis ? relève Samy. Qu’est-ce qui est arrivé aux trois autres ?

 Sandie regarde Agnès et s’intéresse un peu trop à son sandwich. Cette dernière jette un coup d’œil discret à Chloé qui passe visiblement inaperçu, mais je regardais Agnès et je n’ai rien loupé. Elle croise mon regard et se détourne.

 — On ne sait pas trop. On n’a pas vraiment été mises au courant, mais un jour Johanne est arrivée en nous disant qu’elle allait procéder à une vague de recrutement pour une nouvelle équipe, et qu’on avait le choix de rester ou de partir. On a décidé de rester parce que l’agence est vraiment bien.

 — Quelle idée ! s’exclame Betty. Ça fait même pas vingt-quatre heures que je suis ici et je veux y rester toute ma vie !

 Cette réplique relance la discussion entre les autres et je croque vivement dans mon sandwich. Je n’avais pas remarqué à quel point j’avais faim. Tout en dégustant mon repas, je réfléchis au discours d’Agnès. Son regard dans la direction de Chloé signifiait forcément quelque chose. Comme sa participation aux ennuis qu’il y a eu, peut-être ? En même temps, vu l’aperçu de son caractère ce matin, ça ne m’étonnerait pas qu’elle ait torturé un assistant jusqu’à la dépression !

 Je regarde en direction du banc, et la surprend en train de m’observer. Elle tourne les yeux, coupe Martin Garrix dans son élan et remballe ses affaires avant de se lever et quitter les lieux sans une œillade vers notre petit pique-nique improvisé.

 Ça m’intrigue vraiment. Je ne suis pas du genre à m’occuper de ce qui ne me regarde pas…

Ha ha ha. La blague.

 … mais cette discussion a clairement piqué ma curiosité. Chloé Matteson, bombe explosive à Extra’Time. Bon, je m’emballe un peu quand-même. Si elle était si problématique que ça, elle ne serait plus là.

 — Charly ?

 Betty me coupe dans mon raisonnement plus que douteux et je refais surface.

 — Mmmh ? j’interroge en levant un sourcil et en croquant dans ma tartelette chocolat noisettes.

 — Un bowling vendredi, ça te tente ? Christophe était en train de dire que c’était un rituel depuis presque 2 ans ! Toute l’agence y va.

 Je tourne la tête vers le fameux Christophe qui acquiesce d’un hochement de tête et lève une main pour me saluer avec un sourire. D’après ce que j’ai compris, il est le référent de Sandie. Ses cheveux grisonnent déjà malgré sa trentaine à peine passée, et il a l’air d’être le papa sympa de l’agence. Et puis, c’est le seul qui mange avec les assistants, c’est bien qu’il n’est pas comme les autres !

 — Eh bien, oui ! Avec plaisir ! Je n’avais rien de prévu de toute manière.

Betty frétille et tape des mains. On dirait une enfant le jour de Noël. Elle a l’air du type de fille qui ne se prend pas la tête à réfléchir à ce que peuvent penser les autres, et plutôt s’atteler à vivre sa vie comme elle l’entend, le plus joyeusement possible. C’est tout à fait ce qui décrit le mieux mon groupe d’amis et je suis contente qu’une personne comme ça fasse partie de mon équipe, bien qu’on ne soit pas souvent amenées à se voir.

 — Ils mangent où, généralement, les autres ? demande Matthieu.

 Je le remercie mentalement de poser la question qui me brûle les lèvres depuis que j’ai vu Chloé assise seule sur son banc. Je ne sais pas depuis combien de temps elle travaille ici, ni même si son comportement m’est réservé, mais j’ai trouvé ça assez triste. J’aime ma solitude, mais je m’imagine assez mal manger seule face à un groupe qui travaille dans la même agence que moi en train de partager un agréable moment à l’heure du repas… Je me demande si elle fait partie du rituel bowling du vendredi.

Franchement, si c’est pour venir avec une gueule de six pieds de long, c’est pas la peine.

 — Ça dépend, répond Christophe. Mais ça sera une discussion pour plus tard, il va falloir bouger.

 Dommage. Je me lève et me dirige vers les poubelles pour jeter l’emballage de mon repas. En me retournant, les mains vides, je remarque une jolie pomme bien verte trôner sur le banc où Chloé était assise. Je regarde autour de moi, mais les parages sont déserts, et je ferai bien de cette pomme mon dessert. Je la prends, la lance en l’air, la rattrape, la frotte sur mon T-shirt et croque dedans à pleine dents.

Mmmhhh, une granny smith, mes préférées !

 — Tu fais quoi, là ?

 Perturbée dans mon délice gustatif, je me retourne vers la voix de Chloé en me demandant ce qu’elle peut bien foutre là. Je l’avais vue partir, je ne suis pas folle. Elle nous fixe, ma pomme et moi, comme si on était tout droit sorties du monde des Schtroumpfs.

 — Euh… je mange une pomme. Plutôt évident, non ?

 Avec une lueur de défi dans ses noisettes brûlantes, elle me l’arrache des mains en sifflant :

 — Tu manges MA pomme, nuance.

 Elle croque dedans, tourne les talons et retourne vers l’agence comme si l’échange qui venait d’avoir lieu constituait une discussion des plus banales.

Une pomme. Une putain de pomme quoi. Cette nana est vraiment grave !

 En revenant sur le lieu du repas, il ne reste presque plus personne et la pluie commence à tomber. Il est temps de rentrer en effet.

 — Charly ?

 Betty m’attrape par le coude alors que je suis en train de récupérer mes affaires. Elle semble hésitante, ce qui ne ressemble pas au naturel extraverti dont elle a fait preuve durant tout le repas.

 — Hum, je me demandais si ça te tenterait de sortir un peu plus tôt vendredi ? Peut-être, je sais pas, aller boire un verre ?

 — Ouais, pourquoi pas ! Qui a prévu de venir ? Juste les assistants ?

 Elle rougit avant de me sortir sa dernière phrase d’une traite :

 — En fait, je pensais plutôt juste toi et moi…

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