Chapitre 6

7 minutes de lecture

 Je la regarde, ébahie, manquant d’éclater de rire.

Ah ouais, elle est comme ça, elle ?

 Ça ne m’arrive pas souvent de rencontrer des personnes cash comme ça. Et, malgré son naturel, je ne m’attendais vraiment pas à ce que Betty me sorte une proposition pareille après quelques heures. Une pensée me frappe tout à coup.

 — Attends, comment t’as su que j’étais intéressée par les filles ?

 Ses joues rosissent sous son teint ambré, et elle rit doucement. On ne peut pas louper ses origines hispaniques : de grands yeux marron surplombant une jolie bouche pulpeuse et des courbes magnifiques. Sa robe fluide les suggère d’ailleurs admirablement, voletant en rythme avec ses longs cheveux brun foncé lui tombant au creux des reins.

 — À vrai dire, je n’en avais aucune idée. Mais je me suis dit que j’allais le découvrir vendredi. Ça m’arrange un peu que tu aies confirmé ma théorie avant, ça m’évite de prendre le risque de me ridiculiser sur place.

 J’apprécie son honnêteté. Je ne sais pas si, moi-même, je me serai jetée dans la gueule du loup de cette manière. J’aurai sûrement mené mon enquête plus ou moins subtilement avant de savoir s’il y avait du potentiel.

 — Ma foi, c’est une réponse sensée. Je ne peux qu’admirer ton courage, répliqué-je en plaisantant.

 Ses épaules se détendent et elle part d’un rire franc. Je la trouve amusante, naturelle. Rafraîchissante.

 — Bref, si ça te tente, tiens-moi au courant, ça pourrait être sympa !

 Elle m’adresse un clin d’œil, puis rejoint l’agence sans attendre ma réponse. Et bien, cette journée est pleine de surprises !

Et elle est loin d’être finie, Sanders. Prête à retrouver le tyran ?

 Je soupire à cette perspective, mais cet après-midi, nous sommes sur le terrain, ça devrait être excitant. J’arrive à peine dans le hall quand je tombe sur une Chloé agitée, raccrochant un appel qu’elle vient visiblement de terminer.

 — Charly ! me crie-t-elle, un air alarmé dans les yeux. Il faut qu’on se dépêche, le groupe Dangon a déplacé leur rendez-vous de demain à cet après-midi, on doit être à Annecy dans une heure.

 Dans une heure ? Ça va être tendu, j’espère que Chloé est un As du volant si on veut arriver ponctuellement ! Je la suis sur le parking en essayant de deviner sa voiture. Je mise sur la Fiat 500 rouge pétant en face de nous. Les autres semblent soit trop familiales, soit trop luxueuses. Je sais qu’on est à Megève, mais quand même. Je ne pense pas que Miss Noisettes ait les pépètes suffisantes pour se payer la Tesla flambant neuve qui trône vers l’entrée de l’agence ou la Ferrari jaune bien trop clinquante à mon goût. Je louche sur l’Audi R8 blanche qui dort tranquillement à l’ombre d’un orme quand le bip d’ouverture d’une voiture me sort de ma torpeur.

 — Sanders, t’actives là ?

 — Navrée, mon cœur ne résiste pas aux belles voitures.

 Elle lève les yeux, sans parvenir à cacher l’esquisse d'un sourire qui se dessine sur ses lèvres.

Le démon a donc de l’humour ! Si je gratte bien, je pourrais peut-être même bien y trouver une âme !

 Elle s’engouffre au volant de la Tesla, et ma mâchoire s’écrase bruyamment par terre.

J’HA-LLU-CINE !

 Je m’installe côté passager, les yeux ressemblant probablement à ceux d’un merlan frit, en restant comme deux ronds de flan.

 — Une Tesla ? Ça va, tu te fais pas chier.

 Elle rit doucement, amusée, et s’attache. Elle démarre en trombe et s’élance sur l’asphalte comme dans une course automobile. Je m’agrippe à la portière et parviens difficilement à boucler ma ceinture.

 — Oh, Schumacher, on se calme ! L’idée c’est d’arriver en vie, hein.

 Presque hilare, elle tourne un œil vers moi :

 — On aime les jolies voitures, mais on flippe une fois à l’intérieur ?

 M’installant un peu plus confortablement, je fixe la route sinueuse face à moi pour réprimer l’envie de vomir qui s’insinue en moi.

 — Si tu sais conduire, il n’y aura pas de problèmes !

 Elle a sûrement remarqué mon visage blême, car elle ralentit et ne dit plus rien, mais l’atmosphère reste légère et mes intestins se remettent en place sans broncher. Je me détends et, arrivant sur l’autoroute, je lui propose de mettre un peu de musique dans l’habitacle devenu trop silencieux. Elle trafique quelques secondes sur l’écran ultra large de son tableau de bord tout en gardant un œil sécuritaire sur la route, puis la voiture s’emplit de la mélodie douce et enivrante de Clean Bandit.

 — T’as déjà vu le clip de cette chanson ? me demande-t-elle en baissant légèrement le son.

 — Euh… J’ai pas la télé chez moi.

 Elle tourne vers moi ses yeux noisette grand ouverts.

 — Sérieux ?

 — C’est si grave que ça ? je réponds, amusée.

 ­— Non, non, mais je t’avoue que ça me surprend. C’est assez rare maintenant les gens qui n’ont pas la télé.

 — Je sais, c’est devenu comme un meuble. À tel point que tu payes automatiquement la redevance télévision, même si tu n’en as pas ! C’est à toi de faire la démarche pour en être exonérée.

 — Allez, bouges putain !

 Je sursaute et remarque qu’elle s’adresse à la voiture devant nous, qui a décidé de rouler aussi vite qu’un escargot en plein sprint. Il ne nous reste pas beaucoup de temps pour arriver à l’heure et encore un peu trop de route à faire. Comme si elle avait entendu mes pensées, elle écrase son pied sur l’accélérateur dès qu’elle dépasse le papy. Je suis propulsée dans le fauteuil de cuir et je me rattrape à ce que je peux. Le visage de Chloé est fendu d’un immense sourire.

 — Ça va, tu te fais ton petit kiff ?

 — Faut bien arriver à l’heure, non ? répond-elle avec un petit sourire coin. Il y a un radar dans 25 kilomètres, je ralentirais à ce moment. En attendant, j’en profite, et je te garantis qu’on n’aura pas une seule minute de retard !

 Je vois le compteur dépasser largement les cent trente kilomètres-heure, pendant que Chloé pianote sur le rebord de la fenêtre, tranquilou, à la cool.

Si on atterrit dans le fossé, je la tue.

 Le plaisir qu’elle prend à conduire est évident. Elle semble relaxée au volant, comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde. Et malgré sa vitesse, je ne peux pas lui enlever sa qualité de conduite. Elle n’oublie jamais un clignotant, vérifie constamment ses rétroviseurs et même les angles morts, chose que je fais… à peu près jamais.

 Arrivées au radar, elle reprend un rythme normal et nous avons gagné quelques précieuses minutes.

Et on est toujours en vie ! Important à préciser.

 Repensant à la discussion lors du pique-nique de midi, et vu que Chloé a l’air de bonne humeur, je me lance dans la gueule du loup.

 — Chloé ? T’étais là quand il y a eu l’histoire avec l’ancienne équipe ?

 Je vois ses épaules se crisper et elle ne répond pas tout de suite. Elle ralentit afin de laisser le temps au système automatique du péage de reconnaître son télépéage, puis acquiesce simplement, sans développer. Mais ma curiosité mal placée me pousse à savoir.

 — Tu sais ce qu’il s’est passé ?

 — Ça ne te regarde pas, Charly, tranche-t-elle sèchement. Tu es là pour faire ton boulot, pas pour écouter et transmettre les ragots au sein de l’agence, à ce que je sache.

Elle gagne un point.

 — Ouais, ouais, je marmonne.

 Je ne parviendrai jamais à découvrir les dessous de cette histoire à ce train-là. Mais comme elle le dit, je ferai mieux de me concentrer sur autre chose. Je viens d’arriver dans l’agence, je n’ai pas très envie d’être déjà cataloguée comme la commère de service. Et très honnêtement, je ne comprends pas pourquoi cette histoire m’intéresse à ce point.

 L’atmosphère a radicalement changé, et elle ne semble même pas un brin victorieuse quand elle gare la voiture, trois minutes avant notre rendez-vous.

 L’après-midi se déroule sans encombre, et nous n’avons pas le temps d’échanger d’autres mondanités sur le trajet du retour. Le groupe Dangon nous a recrutés il y a quelques mois pour nous occuper d’un rallye interentreprises assez conséquent sur lequel aucun laxisme sera toléré.

 Moins pressée qu’à l’aller, Chloé roule tranquillement pour me permettre d’analyser les nouveaux documents fournis lors de notre rendez-vous, et lui lire les informations qui sont pertinentes pour nous. Virgin Radio tourne en fond, presque sans bruit, pendant que je prends des notes sur ses remarques.

 Lorsque j’ai terminé de passer le dossier en revue, elle ne m’adresse plus la parole et je m’accoude à la portière pour regarde le paysage défiler, les yeux sur les montagnes. Je me rends compte, tout à coup, de la fatigue qui s’abat sur moi. J’ai hâte de rentrer chez moi. De toute façon, Chloé s’est rétractée dans sa coquille et a repris son poste de nana anti-Charly, il n’y a plus rien à en tirer.

*****

 Claquant la porte derrière moi, je lance mes clés dans le fourre-tout de l’entrée, balance mon sac sur le canapé et abandonne mon portable dans ma chambre. J’ôte mes chaussures, laisse tomber ma chemise au sol et dégrafe mon soutien-gorge.

Oh my god. Meilleure sensation au monde.

 Je troque mon jean pour un short large et enfile mon T-shirt gris préféré orné du logo de Game of Thrones. Je réfléchis à la proposition de Betty. À part l’épisode énigmatique survenu après l’anniversaire de Pauline, cela fait un moment que je ne me suis pas amusée un peu.

 En ouvrant l’application textos de mon portable pour lui envoyer un message, je retombe sur la missive de Miss — j’espère — Mystère. Je m’étale sur mon lit et réfléchit. Quelle est la probabilité pour que la personne se soit simplement trompée de numéro ? Je me contente de cette explication sensée, sereine, quand mon portable vibre à côté de moi.

Comme l’impression que tu n’as pas prévu de me répondre. Tu n’as même pas envie de savoir ce que tu as oublié… Charly ?

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