Chapitre 1: Rencontre d’un buisson avec des yeux

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  Personne n’aurait pu affirmer que cette journée grise serait différente des autres. En tout cas, les quelques oiseaux perchés dans les feuillages du Parc Valfeur n’en avaient strictement rien à faire.

Ils chantaient, paresseusement caressés par les faibles rayons qui parvenaient à braver les nuages. Certains traversaient les rangées d’arbres pour rejoindre la statue centrale d’un cavalier, encore humide des pluies matinales. Les petites bêtes se nichaient alors sur l’arrière-train du cheval cabré, et se blottissaient pour gagner quelques degrés.

D’autres préféraient les hauteurs du chapeau à plumes du chevaucheur, même si la plupart se réfugiaient dans les corniches de la structure qui enveloppait le général et son destrier. Ladite structure représentait un parfait écho aux tours de la cathédrale située en fond.

On ne pouvait pas dire que l’endroit attirait grand monde. Quelques joggeurs foulaient le sol d’un pas régulier, mais les bancs sous les arbres restaient vides. Enfin, presque tous vides. Sur l'un d'eux, à proximité d'une haie qui servait de frontière entre le parc et la cathédrale, un homme lisait un journal. Sur la une s'étalait la photo d'un clocher avec pour phrase d'accroche : « Un prêtre tombe du ciel ». En dessous, un petit paragraphe s'étendait sur quelques lignes :


« Hier soir aux alentours de minuit, le prêtre Henry Guerin, qui officiait depuis de nombreuses années à la cathédrale de Morribon, a été retrouvé mort sur le parvis de sa cathédrale. Il semble avoir fait une chute mortelle suite à l'attaque d'un volatile. La piste du meurtre n'est pas écartée... Suite page 5. »


Un joggeur passa à proximité de l'homme et ralentit pour le dévisager d'un air éberlué. Il lui fallut plusieurs secondes pour secouer la tête avant de reprendre sa vitesse de croisière.

C'est vrai que l'on pouvait qualifier la tenue de Samuel Waren d'étrange et peut-être même de bizarre ! Un long manteau en cuir gris-noir couvrait un gilet à plis entremêlé. Celui-ci tendait vers les marrons sombres, ce qui se mariait avec une certaine classe au col d’une chemise blanche négligemment serré par une cravate noire.

Mais loin de ces simples habits, l’individu dégageait une sorte d'aura. Une aura qui incitait plutôt à s'occuper de ses propres affaires que des siennes.

La fermeté de son visage ne lui donnait pas pour autant un air renfrogné. Ses cheveux bruns mi-longs combinés à ses yeux bleus ne laissaient pas indifférentes certaines femme. Et la petite cicatrice sous son œil droit renforçait même cette attirance chez d’autres.

Il referma son journal avant de le plier sur ses genoux, clairement peu convaincu par les nouvelles. Samuel en avait lu des conneries, mais là, ils avaient fait fort. Un piaf ? pensa-t-il. Comment un simple oiseau aurait pu provoquer des blessures pareilles ?

L’étrange personnage se leva, puis lança insoucieusement sur le banc ce qu’il qualifierait de « torchon ». L’une des choses qu'il détestait le plus, c'était bien les journalistes. Peu importe la situation, ces rapaces trouvaient toujours le moyen de fureter autour de lui, ce qui compliquait son « travail ».

Samuel s'avança jusqu'à la haie, ses yeux à la recherche du moindre mouvement à proximité.

Personne... C 'est le moment ?

Ses paupières se plissèrent face à l’imposante barrière végétale haute d’environ deux mètres. Elle ne présentait rien d’insurmontable, même pour un gabarit aussi moyen que le sien. Après un dernier regard aux alentours, Sam se hissa par-dessus les branchages et tomba de l'autre côté dans une roulade. Des feuilles s'accrochèrent à son manteau lors de son bref passage au sol, rapidement chassées par une série des gestes vifs une fois qu’il fut relevé.

Un jeu d'enfant.

Un sourire confiant s’esquissa sur son visage tandis qu’il observait les environs. Au moins, personne ne devrait l’attraper en passant par l'arrière de l’édifice. Enfin, en théorie. Le couloir dans lequel se tenait notre curieux personnage tournait en angle droit aussi bien d'un côté, que de l'autre. Cet angle était formé par un mur d'enceinte partiellement camouflé par l’épaisse haie du parc. Un espace de trois ou quatre mètres séparait le bâtiment de sa paroi extérieure, et laissait suffisamment de place à une voiture pour passer. Sous ses pieds s’étendait une herbe haute, parsemée de buissons collés à l'enceinte.

Droite ? Gauche ?

Il porta sa main à son flanc gauche, sous sa veste, et en sortit un saphir bleu taillé en octaèdre. Aux yeux de n’importe quelle personne, ce caillou passerait pour une simple pierre précieuse. En réalité, cette gemme possédait une caractéristique très particulière : elle permettait de détecter les monstres et toute autre créature dans les parages.

Samuel la regarda pendant quelques instants au creux de sa main. Rien de surnaturel ne se produisit.

Ses épaules se haussèrent avant de la ranger, puis il se dirigea finalement à gauche. Que pouvait-il lui arriver de pire qu'à Mexico après tout ? Au moins, cette fois, il ne s'agissait pas d'égouts. Aucun risque de remontée soudaine des eaux usées.

D’un pas lent, Sam longea les parois de la cathédrale. Ses sens restaient à l’affût du moindre signe suspect, comme si la mort pouvait le frapper à tout instant.

Un reflet attira brièvement son regard sur l’une des rangées de vitraux, rapidement éclipsé par un nuage.

— Les cavaliers de l'apocalypse... j'espère ne jamais les rencontrer ceux-là.

Des voix lui parvinrent. Il tourna la tête vers le parvis et sa barrière, un peu plus loin. Une bande jaune typique des séries policières pendait à un des barreaux, et bloquait la rue adjacente à la cathédrale. Une voiture de police stationnait sur la chaussée, du moins, c’est ce que devinait Samuel en apercevant le capot de cette dernière.

Depuis la découverte du corps, les policiers avaient jugés bon d’interdire tout passage dans les environs. D'ailleurs, ils le faisaient si bien qu’à son arrivée, trois agents l’interceptèrent dès qu'il s’aventura un peu trop près. N’étant pas le seul curieux à gérer, ces aimables messieurs se contentèrent de lui demander d'aller voir ailleurs s'ils y étaient, ce qui l'obligea à être un peu plus inventif pour ne pas finir au poste.

Son corps se colla une nouvelle fois au mur avant que ses pieds n’adoptent un pas plus feutré. C'était le moment de récolter quelques informations.

Telle une ombre, il parcourut le couloir, son ouïe focalisée sur les bribes de mots qui tombaient dans ses oreilles. Arrivé au tournant, la conversation lui parvenait suffisamment clairement pour en saisir le sens :

— Le légiste a emporté le corps il y a au moins deux heures et on est toujours là en train de poireauter. Il ne faut pas trois plombes pour faire une autopsie quand même, se plaingnit une voix grave.

Une bruyante inspiration s’éleva, suivit par une expiration, comme si quelqu'un recrachait la fumée d'une cigarette. Une voix plus frêle, presque cassée lui répondit :

— Surtout que ça semble plutôt clair : une chouette lui a tailladé le visage d'un coup de griffe pendant qu'il admirait les étoiles sur la cour de la cathédrale et pouf, il est tombé.

— Sérieusement ? Tu crois vraiment qu'un oiseau pourrait faire une blessure de cette taille ? Tu as vu le corps ?

Il y eut un bref moment de silence.

— Non, j’ai préféré ne pas le regarder.

L’évocation du cadavre ramena à Samuel les images en tête. Un mystérieux « coup de vent » avait soulevé le tissu qui recouvrait le prêtre lorsque les légistes l’emportèrent à leur corbillard. Il avait alors aperçu le corps et… disons qu’il aurait préféré voir des chatons. Des tas de chatons.

Plusieurs membres du cadavre défiaient les lois de la physiologie humaine pour se positionner dans des angles fantaisistes. Mais le pire restait la large entaille qui parcourait tout son visage et ouvrait presque en deux l'avant de son crâne. De beaux cauchemars en perspective.

— Bien, donc si c'est pour raconter des idioties pareilles, tu la boucles.

Un autre moment de silence s'installa entre les deux comparses, du moins, jusqu’à ce que le policier à la voix grave ne reprenne :

— Je serai curieux de savoir ce qui peut occasionner autant de dégâts en un seul coup. Un sabre peut-être ? Ou une faucille ?

Sam leva les yeux au ciel, comme pour dire : « oh, je crois bien que j'ai affaire à de petits génies ».

Les policiers partirent dans des divagations sur les raisons de l’assassin, mais ça n’intéressait pas Samuel dont le saphir resplendissait dans sa main. De la fumée se baladait aléatoirement entre les reflets bleutés de la pierre, ce qui le surprenait.

Tu es tout près ?

Malgré plusieurs regards furtifs au coin du mur, les seuls mouvements qui titillaient ses pupilles restaient ceux des deux agents. L'un était grand et imposant tandis que l'autre arborait une taille plutôt moyenne, le visage marqué par le temps. Ils se tenaient tous deux près du seuil de la porte, sur le chemin dallé qui menait au portail du parvis. Même après avoir levé les yeux vers ces horribles gargouilles qui ornaient les hauteurs de l’édifice, rien ne se profilait à l’horizon.

Un craquement sur sa gauche attira son attention, rapidement suivit par quelques bruissements de branches. Quelque chose se cachait dans les buissons.

D’un geste, sa pierre fut rangée sous son manteau et Sam garda une main suspendue près de sa ceinture. D’autres bruissements firent tomber des brindilles, et cette fois, deux yeux bleus apparurent entre le feuillage des branches. L’homme au long manteau gris-noir bondit, puis écarta les feuilles d'un geste vif. Ce n'était pas un monstre, c'était pire : une journaliste.

Assise en tailleur, une jeune femme blonde tenait un calepin, crayon en main. Une expression mi-étonnée, mi-horrifiée figeait son visage partiellement éclairé par les reflets du soleil sur sa chemise blanche. Plusieurs brindilles pendaient aussi bien sur son col que son jean.

Visiblement, cette demoiselle se tenait là depuis un sacré moment.

La branche que tenait Samuel céda. Une action qui déplairait sûrement au jardinier de la cathédrale au vu du trou que laissa son absence dans le buisson.

— Que faites-vous ici ?

— Je pourrai vous retourner la question.

Son ton demeurait drôlement sec pour quelqu’un caché dans un buisson dans une zone interdite par la police. Mais le pire, c’était qu'elle marquait un point, ce qui l’obligea à sortir la première réponse qui lui vint à l'esprit :

— C'est… pour le travail.

Une réplique cinglante et indémontable.

— Ça tombe bien, moi aussi.

L’impétueuse fouineuse l'examina tout en le jaugeant d'un œil perplexe.

— Vous, vous n'êtes pas journaliste.

Sans blague… faillit franchir ses lèvres.

Il se ravisa au dernier instant pour répondre de manière blasée :

— C'est exact.

La jeune femme fronça les sourcils, comme soumisse à une intense réflexion.

— Vous n'êtes pas flic sinon vous ne vous amuseriez pas à jouer à cache-cache, je pencherai pour un détective, ou bien même, vu votre tenue... Un chasseur d'ovni ? De fantôme ?

La surprise dut se lire sur son visage au vu du petit rire triomphant que poussa la journaliste.

— Bingo, j'imagine que ça doit être du lourd cette affaire. Un enlèvement qui a mal tourné ? C'est la vierge Marie dans son vaisseau spatial doré qui s'est trompé de manœuvre ? Un gnome tueur ?

Sam roula des yeux dans un soupir de mépris. Son intuition lui indiquait que celle-là lui casserait les pieds plus que les autres.

— Oh, tant de sarcasmes venant d'un parasite, c'est presque trop d'honneur.

— Parasite ?!

La blondinette se leva tandis que ses traits se déformaient sous la rage.

— Comment osez-vous... l'avis d'un taré qui voit des choses qui n'existent pas ne vaut pas mieux.

— Ah oui ? s’écria-t-il à son tour. Eh bien...

Des toussotements l’interrompirent, suivit par une voix grave qui s’élevait de quelques pas dans son dos :

— Qu'avons-nous là ? Ça ne sentirait pas les ennuis ?

Samuel fit volte-face.

L’expression des deux policiers balançait entre la réprobation et l’agacement. Une chose était sûre : aucune chance qu’ils ne filent après une simple réprimande.

Le plus petit sortit des menottes.

— Les tourtereaux, vous êtes en état d’arrestation.

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