Chapitre 10 : Slendy
Une question trottait dans la tête d’Ashley alors qu’elle courait, éclairée par la lueur de sa lampe combinée à celle de la page.
Quel est le meilleur moyen de vaincre sa peur ? Maintenant qu’un mur magique ne la séparait plus de Slendy, la terreur rongeait de nouveau son être. Oui, elle lui avait trouvé un surnom. Au bout d’une dizaine de minutes, ses conclusions la menèrent au rire comme meilleure solution à sa question. Ashley avait hésité avec « Jean-Michel Stalker », mais « Slendy » sonnait mieux.
Une pointe de tristesse ne la lâchait plus depuis son départ des ruines de la maison en pain d’épices. L’odeur de cannelle et de confiseries se dissipait pour ne rester qu’un souvenir que sa gourmandise peinait à oublier. Flottait-elle par magie ? Sûrement. Endommager sa provenance avait-il détruit le sort ? C’est fort possible.
Plus elle avançait, plus la page brillait. C’était plutôt une bonne nouvelle car la noirceur de la forêt s’accentuait également. Les arbres prenaient des allures menaçantes, certains troncs ressemblaient presque à des visages humains. Pendant un instant, une idée stupide lui passa par la tête : « Et si ces arbres étaient de vrais gens transformés par des fées, ou un autre truc du genre ? ». La blondinette secoua la tête. Elle devait chasser cette pensée de son esprit, ce n’était pas le moment de se faire des films.
Une lumière blanche, qu’elle reconnaissait à présent entre mille, apparut au loin. Ashley ralentit dans sa course jusqu’à avancer d’un pas hésitant.
C’était… facile.
Même pas un petit clignotement de sa torche. Même pas un tout petit grésillement pour lui rappeler que Slendy voulait la transformer en hachis parmentier.
Ashley se ressaisit.
Tu ne vas pas te plaindre quand même !
Elle arriva au pied de l’arbre comportant la page, et allait la saisir quand ce qu’elle entendit l’arrêta net dans son geste : un cri strident rempli d’une peur indescriptible. Cela aurait pu s’arrêter là, mais une explosion suivit par un deuxième cri plus aigu rejoignit le premier. La seule chose qui rassurait Ashley, c’était qu’ils provenaient de suffisamment loin pour ne pas l’inquiéter dans l’immédiat.
Elle arracha la page, puis attendit que les écritures se forment. Deux blocs distincts apparurent, séparés par un rond ressemblant vaguement à une tête avec deux croix dessinées à l’emplacement des yeux : « Même sans yeux », « il te voit, où que tu sois ».
Ashley fourra la page précédente dans sa poche et reprit sa course. Les cris ne provenaient pas de si loin que ça après tout. Sa migraine reprit de plus belle, lui tambourina la tête. Des images apparurent dans son esprit comme une vision : le Slenderman, des arbres. Il avançait sans même que ses pieds ne touchent le sol. Son visage était si inexpressif, si envoûtant.
Sa lampe s’éteignit, elle manqua de trébucher. Ashley la ralluma précipitamment. Ses jambes ralentissaient à chaque pas sans qu’elle ne sache si c’était dû à la fatigue d’avoir tant couru ou s’il s’agissait d’un autre effet du monstre. Les images continuaient de défiler dans sa tête, changèrent pour montrer celles d’une femme qui fuyait.
Il est juste derrière moi...
Ashley regarda brièvement derrière son épaule, et aperçut la silhouette en costume du monstre. Ce fut loin de se passer comme la première fois qu’elle le vit. Sa migraine se décupla, son sang battit à ses tempes. Une chose invisible tentait de lui écraser le crâne.
Détourne le regard, détourne !
La douleur s’apaisa instantanément pour retourner au stade de simple mal de tête. Sa lucidité retrouvée, ses pieds piquèrent un sprint laborieux entre les branches, feuilles et autres fourberies de la forêt. La jeune femme ne voulait même pas savoir ce que le monstre pourrait lui faire s’il l’attrapait.
Les visions furent rejointes par des murmures. Des murmures qui accentuèrent son sentiment d’oppression :
« Abandonne. » « Tu ne peux pas t’échapper ».
Ashley connaissait cette voix, et ça ne la faisait que courir plus vite.
Les chuchotements redoublèrent :
« Tu n’es qu’une ratée. » « Minable ».
La voix était sèche, dénuée de tout amour et compassion. Aucun doute, c’était la voix de sa mère.
Les chuchotements se muèrent en paroles audibles :
« Tu m’as toujours déçue ». « Bonne à rien ».
Ashley rit. Si Slendy croyait la briser comme ça, il se mettait le doigt dans l’orbite jusqu’au coude. Sa génitrice les lui avait déjà tant dit qu’ils ne lui faisaient plus ni chaud, ni froid.
Elle rentra dans un arbre, mais continua de courir. Toujours harcelée par la voix, Ashley s’éloignait peu à peu du Slenderman :
« Tu ne deviendras jamais quelqu’un ». « La seule chose que tu n’aies jamais su faire, c’est fuir ».
Mais ferme-là ! aurait-elle voulu crier, cependant Ashley préféra conserver ses forces.
Un amas de boue manqua de l’étaler au sol. Non contente d’être extrêmement glissante, la gadoue collait à ses chaussures, ce qui ralentissait considérablement sa progression. De jolies feuilles la couvraient par endroits afin de la rendre plus fourbe et dangereuse qu’elle n’était déjà. Quelle joie de progresser sur un tel terrain. Instable, sournois et imprévisible... pile comme elle les haïssait !
D’un œil averti, Ashley jeta un second regard furtif dans son dos. Sa migraine s’accentua, néanmoins, rien de comparable à ce qui s’était passé plus tôt. Slendy perdait du terrain. Il était suffisamment loin pour qu’elle ne puisse plus le distinguer nettement.
Subitement, les paroles se transformèrent en cris :
« Tu n’aurais jamais dû exister ». « Tu n’es qu’une honte pour moi ».
Ashley tourna immédiatement la tête. Ses visions cessèrent, remplacées par des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier. La mort de son père, les familles d’accueil, les disputes avec sa mère, ses fugues.
« Journaliste ? Et puis quoi encore ? Tu n’en as pas l’étoffe ».
Sa vue se troubla. La feuille brillait tellement à présent qu’elle en devenait éblouissante. Elle ne pouvait pas abandonner. Pas après tout ça. Surtout pas à cause de cette stupide voix.
Bam. La journaliste rentra dans une masse lumineuse qui la projeta en arrière. Elle dut cligner plusieurs fois des yeux avant de distinguer Samuel, lui aussi tombé à la renverse.
Ashley vit ses lèvres bouger, mais n’entendit rien. Ses oreilles sifflaient à lui en percer une nouvelle fois les tympans. Cependant, elle devina ses paroles grâce à son expression, identique à celle de son retour d’excursion de la pâtisserie d’Hésat :
— Tu as encore changé de coupe de cheveux ?
***
Des traces de sang, un bout de tissu, puis plus rien. La flamme de l’espoir s’ébranla dans le cœur du Chasseur. La piste ensanglantée ne menait nul part, les empreintes s’arrêtaient net sans aucune explication. Une rage intense l’envahit. Une rage qu’il s’était juré de ne plus jamais ressentir.
Prison apparut dans ses mains avant de trancher en deux un pin à proximité.
— Sapristi, j’aurai dû comprendre plus vite. J’aurai dû la mettre en sûreté, puis tuer cette chose.
Samuel planta sa lame dans le sol d’un geste rageur. Ses yeux fixèrent un point, comme si une personne invisible s’y tenait.
— C’est à moi de détruire tes créations. De détruire toutes celles qui me barreront la route. À moi et à moi seul.
Sam saisit brutalement la poignée de son épée, après quoi il s’élança au pas de course, plus déterminé que jamais. Ses pensées ne se préoccupaient plus que d’une chose : trouver les pages pour pulvériser le Slenderman.
Saphir de nouveau en paume, il s’enfonça davantage dans la forêt. Ses pas le menaient toujours plus loin, toujours plus vite. Samuel ne tarda pas à atteindre un point qu’il n’avait pas prévu de visiter : les obscures profondeurs centrales de la Forêt-Noire, un endroit réputé pour accueillir nombre de monstres et de créatures en tout genre. Pourtant, rien ne croisa son chemin. La chose en costume devait les avoir fait fuir.
Une lumière se manifesta entre des troncs. Le Chasseur connaissait l’émetteur d’une telle lueur, et ne tarda pas à arriver devant l’arbre où une page magiquement accrochée se tenait.
Samuel l’arracha sans se faire prier. Des traits se dessinèrent sur toute la feuille pour former la terrifiante silhouette du Slenderman bordée par deux colonnes de « NON ».
— La cinq ? s’exclama-t-il avec surprise en voyant le numéro en bas de la page. Comment a-t-elle fait pour aller aussi loin ?
De ce que savait Sam, les pages n’apparaissaient qu’une à une afin de rendre impossible la découverte d’une page supérieure à celle qu’on devait trouver. Cette vicieuse manœuvre permettait d’insuffler l’espoir de le vaincre en ses victimes, mets délicieux pour tout monstre qui se respecte.
En réalité, chaque page creusait un peu plus profondément la tombe de la cible en le rendant un peu plus visible aux orbites creuses du Slenderman. Certes, les réunir toutes le détruiraient, mais cette hypothèse était tellement improbable que même lui ne devait pas l’avoir prévu.
Alors mon petit Slender, tu n’as pas envisagé que je puisse me joindre à la partie avant que tu n’aies tout réinitialisé ?
Samuel jubila. Une seule et unique page manquait pour vaincre un monstre d’une rare dangerosité, une véritable aubaine pour sa personne. Néanmoins, cette hypothèse paraissait peu plausible à ses yeux. L’autre possibilité l’était encore moins. Comment elle, une simple journaliste, aurait pu semer LE Chasseur ? C’était impossible sans que la jeune femme ne se soit téléportée.
Repenser à Ashley raviva sa rage. Samuel avait perdu un autre compagnon malgré sa propre promesse…
Son esprit se vida, il devait se concentrer sur sa tâche. Une chose essentielle lui vint alors en tête.
Il faut que je retrouve celles d’Ashley, sinon je ne pourrai pas passer à la suivante.
Les informations du saphir combinés aux indications de la page lui tirèrent un froncement de sourcils. Comment pouvaient-elles foncer droit dans sa direction ? Une fois prisent, le Slenderman devenait incapable de les toucher sans les matérialiser ailleurs. Le Chasseur ne voyait qu’une possibilité : quelqu’un se promenait avec ses pages.
Ashley ?
Un sourire en coin s’invita sur son visage, une lueur d’espoir renaissait en lui.
En parlant de lueur, une lumière fonçait entre les arbres à une trentaine de mètres de sa position. Ses jambes démarrèrent, sautèrent au-dessus d’un trou, enjambèrent des buissons. Au fur et à mesure de son avancement, ses yeux éprouvaient de plus en plus de difficultés à rester ouverts.
L’autre lueur maintenait sa trajectoire sans se soucier de sa rencontre prochaine avec Sam. Sam dont la page resplendissait tel un mini soleil.
Il se faufila entre deux arbres, la lumière ne devais plus se trouver très... BAM. Le Chasseur fut projeté en arrière. La lueur des pages s’estompa pour laisser apparaître une Ashley au visage effrayant.
Samuel lui adressa un sourire maladroit.
— Tu as encore changé de coupe de cheveux ?
Pour une raison qui lui était inconnue, Ashley cria comme s’il se situait à l’autre extrémité d’un stade de football :
— Il faut qu’on parte tout de suite. Le Slenderman est juste derrière moi.
La blondinette se releva brusquement, après quoi, elle tira le bras de son compagnon pour qu’il fasse de même.
— Sam, qu’est-ce que tu n’as pas compris dans « tout de suite » ?
Samuel se mit sur ses deux pieds, puis transforma sa pierre en épée.
— J’ai un meilleur plan : tu me donnes les pages et toi tu te tires par là.
Son doigt montra la direction qu’indiqua le pommeau de Prison.
— Hors de question, c’est le pire plan que je n’ai jamais entendu. Si on fait ça, tu vas mourir.
Samuel balaya l’air de sa main gauche.
— Je ne vais pas mourir, je suis LE Chasseur !
— Non, tu es un idiot !
Ashley subtilisa la feuille de ses mains, le prenant totalement au dépourvu.
— Qu’est-ce que tu fais ? C’est ma responsabilité, c’est à moi de faire ça. Je t’ai assez mis en danger, maintenant va là où je t’ai montré. Je te retrouverais quand j’en aurais fini avec l’autre croque-mort.
Une grimace de douleur vint sur le visage d’Ashley. La voix dans sa tête s’intensifiait :
« C’est bien, reste ici ». « Pour une fois que tu fais quelque chose de bien ».
Elle tituba de quelques pas en arrière avant de se ressaisir.
Il sera là dans quelques secondes.
— Fais-moi confiance. Partons, vite. Le combattre ne nous mènera qu’à notre mort.
— Je n’ai aucune intention de le combattre éternellement, juste le temps que tu fuies. Après, je réunirai les pages et détruirai cette foutue créature.
Même Samuel subissait les effets du monstre. Une de ses paupières tressaillait alors qu’une voix aussi désagréable que celle qu’Ashley entendait devait résonner dans sa tête.
— Sam, ce n’est définitivement pas le moment de parl…
Pop. Il la tira brusquement vers son torse. Le bas de sa chemise se déchira et une lame effleura sa peau.
Le Chasseur fit un demi-tour, puis pointa Prison dans le sens opposée. Son regard fixait obstinément le sol.
— Ne...
— Je sais.
Ashley n’en avait nullement besoin pour savoir que le Slenderman se trouvait là.
— On aurait dû fuir.
Des grésillements s’ajoutèrent à la voix qui continuait de la tourmenter. Elle sentit le corps entier du Chasseur tressaillir.
— Ash, on ne pouvait et ne pourra pas fuir. Pas tous les deux.
Il l’entraîna un pas en arrière.
— Maintenant, tu vas me donner les pages et me laisser régler ça. Je n’aurai jamais dû t’emmener avec moi, c’était une erreu...
L’air siffla. Sam balaya un tentacule, évitant qu’il ne lui transperce la tête. Ashley en profita pour se dégager. Cependant, dans sa hâte, elle vit la silhouette de la chose en costume parsemée d’appendices.
Le choc obligea ses jambes à reculer jusqu’à heurter un arbre où elle s’effondra. Son corps ne lui appartenait plus. Ses doigts refusaient de faire autre chose que serrer les pages. La vision cauchemardesque du Slenderman, à quelques mètres de ses yeux, la paralysait aussi bien par la douleur que la peur. Le chat l’avait prévenu, un affrontement direct avec le monstre signifiait la mort. Même sans lui, elle l’aurait su.
Le Chasseur para en un mouvement large plusieurs tentacules. Malgré ça, nombre d’entre eux s’infiltrèrent sous sa garde. Son manteau absorba les chocs, il recula sous les impacts répétés. Samuel resserra ses doigts autour de son épée, se priver de sa vue était inenvisageable face à une telle créature.
« Vous allez mourir ». « Ne bouge pas, ce sera moins douloureux ».
Cette voix envoûtante, douce, le déconcentrait tout comme les souvenirs lui revenant en mémoire.
Prison déjoua les nouveaux assauts menés par les appendices. Les membres du Chasseur s’alourdirent, ses muscles se contractèrent comme écrasés par un poids invisible. Pour ne pas lâcher la poignée de son épée, ses doigts se crispèrent davantage. La peau de Samuel pâlissait à vue d’œil, si bien qu’il ressemblait à présent à un spectre.
Un tentacule doté de la force d’un camion à pleine charge percuta ses cotes. Inspiré et expiré devint un supplice. Le dos courbé, l’homme au long manteau gris-noir grogna. Ses yeux commencèrent à dégager une aura bleue semblable à de la fumée.
Aussitôt, son ton teint reprit de la couleur, son corps cessa de trembler. Samuel reprit sa posture de combat sous le regard vide du Slenderman.
— Il est temps d’entamer ta dernière danse mon gros.
De son côté Ashley, la tête entre les mains, fixait un arbre sans ciller.
« Attaque le Chasseur ». « Tue-le ».
La mystérieuse disparition de son portable plongeait son visage dans une obscurité uniquement bravée par la faible lueur des pages. Ces dernières, froissées et éprouvées par les poings de la jeune femme, restaient malgré tout intactes.
— Non, non, non…
La voix ordonna avec plus d’intensité :
« Attaque-le ». « Tue-le ». « Détruis-le ».
Dans un cri de guerre, Samuel porta un coup latéral. L’épée s’enfonça dans le flanc gauche du monstre avant d’en être violemment expulsé. L’entaille se referma aussitôt.
— Sapristi !
Un tentacule fendit l’air. Le Chasseur leva son épée pour le stopper, mais six autres en profitèrent pour la contourner. La douleur le fit tituber en arrière, les mains plaquées sur ses côtes. Un goût métallique se répandit dans sa bouche avant qu’un filet de sang n’y coule.
— Qu… quoi ? C’est tout ?
D’un geste lent, Sam abattit son épée. Un tentacule la fit rebondir sans la moindre difficulté. Il reprit le contrôle de sa lame pour tenter un coup large, et elle fut immédiatement déviée de sa cible par un autre appendice.
La rage surpassa sa douleur, la rage décupla ses forces plus efficacement que la magie. Le Chasseur frappa frénétiquement toutes les parties du monstre à sa portée. Chaque coup se voyait stoppé par le Slenderman, cependant, Samuel ne cherchait plus à percer sa défense. Il savait très bien que c’était vain.
Soudainement, après un énième assaut infructueux de sa part, la chose en costume riposta. Le coup vicieux d’un des appendices brisa sa garde avant que tous les autres ne foncent à son ventre. La violence du choc fut telle, qu’il fut projeté jusqu’à rencontrer un tronc.
— Argh…
Le Slenderman s’avança vers sa proie, ses pieds flottant à quelques centimètres du sol. Sam le regardait s’approcher dans une respiration chaotique. La quasi-totalité de son corps lui faisait mal, de multiples coupures et contusions l’endommageaient. Ce n’était pas pour autant qu’il ne pouvait plus se battre.
Son aura augmenta en intensité. Une fumée blanche inquiétante se joignit aussitôt à celle-ci. Le Chasseur s’aida de Prison pour se remettre sur pied.
— Je peux faire ça toute la soirée.
D’un revers de la main, il essuya le sang qui dégoulinait de son menton, puis se remit en position de combat. Son corps tressaillit. Le regarder lui drainait beaucoup trop d’énergie, mais ne pas le faire serait du suicide. L’homme au long manteau gris-noir jeta un rapide coup d’œil en direction d’Ashley. Elle n’avait pas très bonne mine.
— Ash…
Pop. Le visage du Slenderman apparut à quelques centimètres de celui de Samuel. L’aura bleue se dissipa instantanément. Les tentacules commencèrent à l’entourer tel un voile. Ses jambes voulurent reculer, mais elles cognèrent contre le tronc. Il n’avait plus d’échappatoire.
Un liquide pourpre coula de son nez. Prison glissa de ses doigts, l’étau des innombrables bras de la chose en costume se resserrait un peu plus à chaque instant. Le Chasseur ne pouvait s’empêcher de fixer le visage blanc et sans expression si proche du sien.
« Ne résiste plus, c’est l’heure ».
La tête du Slenderman cogna brusquement celle de Sam. Les tentacules se rétractèrent et le monstre lui tourna le dos, le laissant tomber à quatre pattes.
— Alors face d’aspirine, tu ne veux plus jouer avec moi ?
Le Chasseur saisit son épée, puis releva la tête pour contempler Ashley.
La lumière tamisée des feuilles qu’elle tenait rendait son visage encore plus inquiétant qu’il n’était déjà. En plus de ses cheveux, qui semblaient avoir été coiffés à l’aide d’un pétard, et des différentes coupures à ses joues et son front, sa lèvre inférieure dégoulinait d’hémoglobines comme si elle venait de la mordre jusqu’au sang. Malgré tout, un air joyeux étirait ses lèvres, ce qui lui donnait un air de famille avec le Joker.
— C’est moi qui ai tes petites papages !
— Comment...
Ashley agita frénétiquement les pages au-dessus de sa tête tout en ignorant Sam.
— Bute-le, comme ça j’aurai le temps d’aller chercher la dernière et pouf, a plus le petit Slendy ! Pouf !
Ses deux mains se joignirent avant de s’écarter tout aussi rapidement qu’elles s’étaient approchées. Après quoi, Ashley se baissa pour ramasser un caillou qu’elle lança une nouvelle fois à la figure du monstre.
— Allez, rapporte Slendy !
La folie l’avait-elle gagné, ou bien, était-ce du génie ? La frontière entre les deux était souvent très mince, et tout ce que notait la jeune femme, c’était la réussite de son plan : le Slenderman ne s’intéressait plus au Chasseur.
— Allez, attrape-moi Slendy !
Pop. D’instinct, Ashley recula d’un pas malheureusement insuffisant pour échapper aux multiples bras de la chose en costume.
Une sensation étrange envahit la journaliste. Le temps ralentissait, les appendices progressaient en sa direction à une vitesse si réduite que cela en devenait ridicule. Une queue touffue lui chatouilla le nez avant de disparaître aussi soudainement qu’elle était apparue. Un rire fou s’ensuivit et se répercuta en écho dans la forêt.
Plop. Quelque part, un bouchon venait de sauter de son contenant. Son regard se porta immédiatement sur Sam : ce dernier ingurgitait un liquide gris transparent, aux allures de fumée, du goulot d’une fiole.
Au même instant, le chat apparut puis disparut dans des poses dénuées de sens tout en exécutant une ronde autour de Samuel :
Glouglou petit Chasseur,
Bois vite, bois tous sans peur.
Transcende tes limites, surpasse tes pouvoirs,
Mais oublie le repos, oublie la gloire.
Tel est le destin du tricheur prêt à toutes les horreurs.
Quand l’heure de la dernière goutte arriva, la boule de poil gloussa avant d’exploser en une multitude de gerbes de couleurs. Son rire se répercuta entre les arbres, puis fini par se perdre dans les feuillages.
Aux premiers abords, la boisson ne tira qu’une vague grimace au visage de Samuel. Et puis, la lueur bleue revint dans ses yeux, plus épaisse, plus volatile. Le temps s’accéléra. Les tentacules approchaient dangereusement d’Ashley.
Le Chasseur leva sa main, remua ses lèvres sans qu’un seul son n’en sorte. Ashley s’envola. Un puissant courant d’air l’emporta plusieurs mètres plus loin, comme transportée par une main invisible. Sa soudaineté conjuguée à sa vitesse lui arracha un cri strident, un événement qui la ferait tuer toute personne le lui rappelant.
La créature s’arrêta instantanément. Ses bras se rétractèrent, sa tête se tourna vers la jeune femme, puis la lame de Prison se figea violemment dans son cou.
— Cours.
L’aura bleue entourait à présent tout le corps du Chasseur.
— Va chercher la dernière page, je vais le ralentir.
Le monstre ne semblait pas de cet avis. Sam fut repoussé par une ribambelle de tentacules. Ses pieds solidement ancrés dans le sol l’empêchèrent de voltiger vers d’autres cieux. À la place, il glissa sur plusieurs mètres.
De nouveau, sa main se leva. Ses lèvres bougèrent sans qu’aucun mot n’en sorte. Un éclat apparut devant le Slenderman et le stoppa net dans sa tentative de téléportation. Des courants d’air, si puissants que l’on pouvait les voir, barraient son chemin.
— Vas-y, ne te retourne pas. Ne te retourne jamais.
Le monstre en costume martela de tous ses bras la barrière venteuse. Après un hochement de tête, Ashley tourna les talons, puis couru comme si le diable était à ses trousses.
Au même instant, Samuel poussa un hurlement déterminé tout en disparaissant dans un nuage de fumée bleu. Peu après, il en émergea à une vitesse ahurissante. Le tranchant de son épée brilla avant de s’enfoncer dans la masse du monstre et de le séparer en deux. La partie supérieure flotta quelques instants, après quoi, elle se rattacha à son homologue inférieur.
Il y eut un ultime coup de ses tentacules, puis les vents cédèrent et se dispersèrent dans une bourrasque.
Malgré ses tournoiements et la multitude de membres qu’il tranchait en vain, le Chasseur ne parvenait pas à détourner le Slenderman de sa proie. Ses incalculables assauts le ralentissaient à peine dans son avancée. Agacé, le monstre agitait parfois ses appendices pour faire reculer son assaillant. Rien de plus. Il paraissait le considérer comme une perte de temps, temps bien trop précieux pour être gaspillé.
Pour faire barrage à la créature, poussé par une idée soudaine, Sam lui passa devant et planta Prison en plein milieu de son torse. Ses pieds s’ancrèrent fermement dans le sol, puis tinrent position. Son aura était si dense qu’elle enveloppait en partie la chose en costume, toujours bien décidée à avancer. Une dizaine de bras tentèrent de l’écarter, chacun rebondit contre l’afflux de magie que dégageait son corps.
***
Les pensées d’Ashley se focalisaient sur la sensation de chaleur qui ne la quittait plus. Une chaleur à la fois familière et oubliée depuis trop longtemps pour qu’elle se souvienne de sa provenance. Dès lors que chacun des battements de son cœur la propagea, la voix se tue, la douleur s’atténua.
Une lueur apparut au loin tandis que la lumière des feuilles entre ses mains augmentait en intensité. Portée par le vent, Ashley arriva rapidement devant l’arbre qui arborait la dernière page. Un sourire enfantin se dessina sur son visage ensanglanté.
Te voilà.
Une joie indescriptible fit trembler tout son corps alors que des pas précipités s’approchaient.
J’ai réu…
La jeune femme fut soulevée avant d’être plaquée au sol. Une vive douleur enflamma son dos, des mains se portèrent à son cou. Ashley les repoussa avant de reculer aussi vite qu’elle le pouvait.
Une idée lui vint subitement à l’esprit.
— Marie.
Rupert Grümer, hébété, relâcha sa prise sur sa jambe gauche avant de se prendre la droite en pleine face. Il se ressaisit immédiatement.
— Non, non, non. Pas prendre la page ! Pas prendre ! Chaussette ! Chaussette !
Le professeur raffermit sa prise pour la tirer vers lui.
— Lâche-moi espèce de…
Il ne sut jamais de quoi Ashley voulait le traiter. Les mots se perdirent dans sa gorge lorsqu’elle vit ses yeux recouverts par un filtre blanc. Cette vison la motiva à pulvériser son menton de son talon. Le coup fut si puissant que son agresseur tomba à la renverse.
Ashley se releva dans une roulade arrière, accrochée par plusieurs feuilles qui tombèrent aussitôt des restes de sa chemise. Ses poings se mirent en position de combat. Une étrange sensation s’insinuait au sein de son estomac. Ce n’était pas de la peur mais plutôt une sorte d’excitation. Enfin, elle était devant quelque chose qu’elle connaissait bien : l’art de botter des fesses à coup de pied et de poing.
Rupert se redressa difficilement, puis chargea. Un horrible craquement résonna dans la forêt alors que la karatéka finissait son tour sur elle-même, emportée par son coup de pied circulaire. En une fraction de seconde, Ashley se remit en garde et eu aussitôt un haut-le-cœur : un nœud grossissait le cou du vieillard en plus de pendre sa tête sur le côté. D’un air ahuri, il recula sans comprendre l’origine de cette soudaine instabilité.
— Pas… euh… prendre… page ?
Le professeur tenta de coordonner ses jambes et ses bras pour saisir Ashley, mais c’était sans compter l’angle original que prit sa tête. Ses doigts saisirent le vide et il s’écrasa au sol dans un bruit sinistre.
Ashley peina à réaliser ce qu’elle venait de faire. Une minute entière fut nécessaire à son cerveau pour assimiler l’information et décider de s’élancer vers la page.
— Non ! s’égosilla Rupert. Non ! Pitié...
Elle fonça avec un pincement au cœur en entendant les cris du professeur qui tentait désespérément de se relever.
— Noooon !
Ashley arracha la feuille de l’arbre.
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